Bazar aux Arts Déco

Par Colin Cyvoct · L'ŒIL

Le 19 septembre 2013 - 760 mots

À Paris, le Musée des arts déco s’apprête à convier le public à une (re)découverte quasi archéologique de Coucou Bazar, le spectacle créé en 1973 par Jean Dubuffet.

Quel prodigieux « bazar » ! Pendant cinq semaines, la nef du Musée des arts décoratifs se transforme en un spectaculaire temple dédié à l’unique spectacle théâtral conçu par Jean Dubuffet (1901-1985), Coucou Bazar, qui ne fut joué qu’à trois reprises. La fragilité des costumes originaux créés par l’artiste rend impossible toute nouvelle représentation, sauf à en réaliser des copies, hypothèse non retenue ici pour des raisons économiques. Seuls les matériaux ayant servi aux spectacles et de nombreux documents visuels et sonores sont donc présents dans l’exposition. Créé pour la première fois à New York de mai à juillet 1973 à l’occasion de la rétrospective Dubuffet au Musée Guggenheim, le spectacle sera repris à Paris sous la verrière du Grand Palais à l’automne de la même année, lors de l’exposition parisienne de l’artiste. Plus tard, une troisième et dernière version du spectacle, la seule qui ait pleinement satisfait Dubuffet, sera produite par Fiat à Turin en 1978.

Un groupe de praticables animé et des danseurs costumés
Coucou Bazar, sous-titré Bal de l’Hourloupe ou Bal des Leurres, conclut le cycle de L’Hourloupe. Partant de petits dessins machinalement griffonnés au stylo-bille alors qu’il était au téléphone, Jean Dubuffet développe durant une douzaine d’années, de 1962 à 1974, une œuvre en deux ou trois dimensions où se mêlent à l’infini des graphismes sinueux rouges, bleus et noirs répondant à des impulsions non contrôlées. Il était logique que l’artiste achève ce cycle mettant en avant le caractère illusoire du monde que nous pensons réel par une démonstration ambitieuse : « Il y a une clef constante à tout le cycle de L’Hourloupe et qui se manifeste aussi bien dans les réalisations à caractère monumental que dans celle à caractère théâtral de Coucou Bazar. C’est la présence d’un univers continu et indifférencié dans lequel les objets et les figures ne sont pas, comme ils le sont dans l’art classique, bien précisément individués et bien distincts du vide qui les entoure. » Et c’est spectaculairement ce qui saute aux yeux du public quand il découvre sur une scène disposée dans la nef du musée parisien une installation de « praticables » de toutes tailles constitués de panneaux de Klégécell (sorte de bois synthétique) découpés de façon irrégulière, recouverts de résine stratifiée et peints d’une couche de peinture vinylique. Les praticables, exécutés par des assistants – quelques rares sont signés de la main de Dubuffet – peuvent être montés sur roulettes ou animés par une machinerie. D’autres, plus légers, étaient déplacés par des animateurs dissimulés derrière.

Dubuffet conçut en tout cent soixante-quinze praticables, dont une partie seulement participait aux spectacles. Cinq danseurs revêtus de costumes extravagants découpés aux formes et peints aux couleurs de L’Hourloupe se mouvaient lentement devant et entre ces praticables. Les acteurs costumés devaient se distinguer le moins possible des personnages figurés par les découpes peintes au milieu desquelles ils évoluaient. Jamais montrés ensemble depuis quarante ans et restaurés grâce au mécénat pour l’exposition, les costumes aux titres évocateurs – la Simulatrice, le Grand Malotru, Nini la Minaude –, composés de masques, de chapeaux, de robes, de gants et de bottes, semblent tout droit sortis de l’imaginaire d’un audacieux et fantaisiste dessinateur de mangas. Sur une vingtaine de personnages différents, la première version du spectacle joué à New York faisait intervenir cinq danseurs et huit costumes. Dubuffet a laissé des textes précis sur Coucou Bazar, minutant chacune des treize séquences du spectacle de 60 minutes. « Les acteurs devront se comporter de manière à ne donner qu’à peine l’impression qu’ils sont vivants. Les lentes mobilisations imprimées aux découpes par les manipulateurs et par les mécanismes électriques, aussi bien que les mouvements mesurés et lents (et anormaux) des acteurs devront se ressembler afin de provoquer dans l’esprit du public un trouble à propos de ce qui, dans le spectacle, est vivant ou ne l’est pas. » De nombreux documents permettent d’imaginer le caractère novateur de ce spectacle hélas aujourd’hui impossible à remettre en selle. Une petite consolation tout de même : le public pourra assister à l’habillage laborieux et délicat de deux acteurs qui déambulent pianissimo dans l’exposition.

« Jean Dubuffet, Coucou Bazar »

du 24 octobre au 1er décembre 2013. Musée des Arts décoratifs de Paris. Ouvert du mardi au dimanche de 11 h à 18 h. Nocturne le jeudi jusqu’à 21 h. Tarifs : 9,5 et 8 €. Commissaires : Béatrice Salmon et Sophie Duplaix. www.lesarts decoratifs.fr

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°661 du 1 octobre 2013, avec le titre suivant : Bazar aux Arts Déco

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