Histoire

Diderot, 300 ans et toujours vivant

Par Marie Zawisza · L'ŒIL

Le 19 septembre 2013 - 1000 mots

Le 5 octobre, pour le 300e anniversaire du philosophe, un musée dédié à sa pensée est inauguré à Langres, sa ville natale, tandis que le Musée Fabre réunit les œuvres évoquées dans ses Salons. Qui a dit que Diderot était mort ?

Un hôte dans l’air du temps
Avec son regard intense, sa bouche entrouverte, sa tête qui semble s’être relevée subitement pour répondre, Diderot paraît ici en pleine conversation. Ce buste si vivant, sculpté par Jean-Antoine Houdon, accueille le visiteur dans la Maison des Lumières Denis-Diderot, inaugurée ce mois-ci à Langres, ville natale du philosophe. « Il ne s’agit pas de sa maison – elle existe déjà –, mais bien d’un musée, consacré à sa pensée et à la philosophie des Lumières », insiste Olivier Caumont, son conservateur général. Trois cents ans après sa naissance, à Langres comme à Montpellier (où le Musée Fabre consacre une exposition aux peintres et sculpteurs qu’il a aimés ou détestés), cet homme qui a eu le bon goût de se mêler de tout nous interpelle donc encore. L’auteur de l’Encyclopédie a dénoncé l’esclavage et la volonté des Européens de mettre la main sur les richesses d’un territoire bien avant la colonisation, ouvert la voie au théâtre contemporain et à ses sentiments en inventant le « drame bourgeois » ou encore préconisé un système éducatif public et laïc pour Catherine II de Russie…

Tenant en main le monde !
Dans son ouvrage Petite Poucette, le philosophe Michel Serres analyse le changement de société engendré par les tablettes numériques et les GPS, qui donnent soudain au mot « maintenant » tout son sens. Avec eux, on peut dire à tout moment : « Maintenant, tenant en main le monde ». Nouveau ? Certes. Mais l’heureux propriétaire de ce luxueux globe de poche, au XVIIIe siècle, devait déjà ressentir cette ivresse. À l’intérieur de la coque qui l’enserre, une liste de latitudes et de longitudes complète le petit globe, et une mappemonde du temps de César permet de mesurer les progrès des connaissances géographiques. « Le calcul des longitudes a permis d’explorer et de cartographier davantage la planète au XVIIIe siècle que dans tous les siècles précédents », commente Olivier Caumont. En 1771, le navigateur Louis Antoine de Bougainville publie son Voyage autour du monde et raconte son escale à Tahiti. Deux ans plus tard, Diderot, dans son Supplément au voyage de Bougainville, compare les mœurs européennes et tahitiennes, invitant ses lecteurs à poser un regard neuf sur la société occidentale.

Surfer sur une science universelle
En 1746, Denis Diderot et son ami Jean le Rond d’Alembert entreprennent la traduction de la Cyclopædia d’Ephraim Chambers, dictionnaire illustré en deux volumes qui avait connu un grand succès à Londres. « À l’époque, il était courant d’aller chercher ce qui avait marché commercialement outre-Manche et de le traduire », justifie Olivier Caumont. Mais très vite, s’apercevant « qu’il restoit beaucoup à y ajouter », les deux hommes décident de l’enrichir. Entre 1751 et 1772, paraissent ainsi vingt-huit volumes, qui seront ensuite complétés par sept autres réalisés sans Diderot et d’Alembert. Avec ses 18 000 pages, ses 73 000 articles reliés les uns aux autres par un système de renvois et ses 2 800 planches, l’Encyclopédie entend faire la somme des connaissances humaines et les diffuser. Vous pourrez en contempler l’impressionnante édition originale à Langres. Ici, une planche illustrant le métier de coutelier – celui du père de Diderot… à l’origine, sans doute, de la curiosité insatiable du philosophe pour les arts et les métiers.

« Une révolution dans les esprits »
Cette mécanique céleste construite en 1775, qui se met en mouvement grâce à une manivelle située sur son pied, témoigne de la diffusion au cours du XVIIIe siècle de l’idée copernicienne selon laquelle la Terre n’est pas le centre de l’univers : elle n’est qu’une planète en révolution autour d’un astre. « C’est l’un des grands déblocages du XVIIIe siècle : on se met à penser que, de même, Dieu pourrait ne pas être au centre de toute chose », précise Olivier Caumont. On remet ainsi en cause la transcendance divine en prônant la raison et l’esprit critique. Pour Diderot, l’Encyclopédie doit « changer la façon commune de penser ». Ainsi, l’article « Anthropophages », après avoir évoqué les mythes antiques et les pratiques de tribus lointaines, va jusqu’à renvoyer à la fin du texte aux articles « Eucharistie », « Communion », « Autel ». « L’Encyclopédie, parce qu’elle remettait en cause le pouvoir religieux et royal, a connu beaucoup d’attaques très virulentes », souligne Olivier Caumont.

Le goût affirmé de denis Diderot
« J’avoue que le coloris en est faux, qu’elle a trop d’éclat, que l’enfant est de couleur de rose, qu’il n’y a rien de si ridicule qu’un lit galant en baldaquin dans un sujet pareil ; mais la Vierge est si belle, si amoureuse et si touchante ; il est impossible d’imaginer rien de plus fin, ni de plus espiègle que ce petit saint Jean couché sur le dos », écrit Diderot au sujet de cette Nativité de Boucher dans ses Salons. Entre 1759 et 1781, Diderot, convaincu de la fonction morale de l’art et sensible à la poésie et à la touche des œuvres, rédige des comptes rendus des expositions de l’Académie royale de peinture et de sculpture pour la Correspondance littéraire, revue destinée à une élite européenne. Il y commente les œuvres de Chardin, Greuze, Vernet, Falconet, Pigalle… « Il est le premier à apporter une vision globale des œuvres, évoquant à la fois le sujet, la composition, la magie de l’exécution », observe Olivier Zeder, co-commissaire de l’exposition « Le goût de Diderot » au Musée Fabre. Mais surtout, avec ses Salons, qui inspireront Charles Baudelaire et Théophile Gautier, la critique devient un genre littéraire.

Ouverture de la Maison des Lumières Denis Diderot, le 5 octobre 2013 à Langres (52), diderot2013-langres.fr « Le goût de Diderot », du 5 octobre 2013 au 12 janvier 2014, Musée Fabre, Montpellier (34), museefabre.montpellier-agglo.com

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°661 du 1 octobre 2013, avec le titre suivant : Diderot, 300 ans et toujours vivant

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