Entretien Aurélie Filippetti : « la culture, ce sont des investissements »

La ministre de la Culture défend son ambition et fixe le cap de sa politique

Par Christine Coste · L'ŒIL

Le 18 septembre 2013 - 4337 mots

Quelques jours avant la présentation de son budget 2014, la ministre de la Culture et de la Communication présente les grandes lignes de son projet de loi sur le patrimoine et revient sur les dossiers gérés par son ministère : la circulation des collections nationales, l’éducation artistique et culturelle, la reprise en main du Louvre-Abou Dhabi et la défense de la TVA des oeuvres d’art à l’importation.

Rentrée chargée pour la ministre de la Culture qui, vendredi 13 septembre, a dévoilé les grandes lignes de son projet de loi sur le patrimoine. Cette loi, Aurélie Filippetti la veut ambitieuse, couvrant plusieurs domaines de son ministère : le patrimoine, les musées, l’archéologie, les archives et l’architecture. Il faut dire qu’elle attend beaucoup de ce texte, notamment qu’il fasse taire, un peu plus d’un an après sa nomination, ses détracteurs qui lui dénient toute ambition culturelle. Ainsi, le 3 septembre, jour symbolique de la rentrée des classes, Aurélie Filippetti a-t-elle choisi de répondre aux questions de L'oeil pour détailler sa politique, expliquer, sinon convaincre.

LE BUDGET

En dépit d’un budget global réduit de 4,7 %, l’Allemagne augmente pour la neuvième année consécutive son budget de la culture de 2,3 %. Votre budget devrait quant à lui baisser de 2,8 % en 2014. Pourquoi la France ne s’inscrit-elle pas dans la même logique que l’Allemagne ?
Aurélie filippetti : Parce que nous ne partons pas du même point. L’Allemagne part de beaucoup plus loin ; elle avait du retard à rattraper. Le budget du ministère de la Culture allemand est largement plus réduit que celui du ministère de la Culture en France, le rapport est d’environ un à quatre entre nos deux ministères. L’Allemagne, qui dispose d’un ministre de la Culture et d’une ministre fédérale des Länder chargée de la Culture, est, par ailleurs, beaucoup plus décentralisée que nous. Davantage de compétences sont données aux Länder.
En France, nous partons d’un acquis en termes de structures et d’équipements culturels beaucoup plus fort. Notre réseau de musées, de centres d’art et de fonds régionaux pour l’art contemporain est bien ancré sur l’ensemble du territoire, et il est de très bonne qualité. Il faut donc valoriser cet acquis, mieux l’utiliser. D’autre part, en termes budgétaires, je peux vous dire que si le budget 2014 prévoit des diminutions pour certains établissements nationaux, nous avons en revanche sanctuarisé et même accru les crédits d’intervention en région pour la création : le spectacle vivant et les arts visuels augmenteront ainsi de 4,2 %.
Les écoles, qu’elles soient d’art, d’arts appliqués, d’architecture ou de photographie, verront de leur côté leur budget et leurs ressources en personnels se stabiliser ou augmenter. On oublie trop souvent que le ministère de la Culture est également un ministère de formation des jeunes. Cette mission est au cœur de notre action. L’énergie vive de la culture se situe à ce niveau-là aujourd’hui.

Les années fastes de la culture ne sont-elles pas malgré tout derrière nous ?
Je ne sais pas ce que veut dire « années fastes ». Est-ce lorsqu’il y a une grande ambition culturelle ? J’ai pour ma part une grande ambition culturelle qui est justement celle de l’éducation artistique. Et cela, tout au long de la vie, pas simplement à l’école ou pendant les vacances. Nous sommes dans un changement d’époque. La période économique n’est plus la même. Ce qui impose la meilleure utilisation possible des ressources autres que financières et, en même temps, une valorisation des artistes et de la création. Depuis trente ans, cette valorisation s’est beaucoup modifiée. Les collectivités locales sont devenues des acteurs importants, initiateurs de politiques culturelles. Le ministère est désormais dans un nouveau partenariat avec elles. Le rôle de l’État lui-même a changé, évolué, ce qui ne veut pas dire qu’il a reculé.

Avez-vous l’impression d’être entendue par le président de la République et son Premier ministre ?
J’estime que je suis respectée en tant que ministre de la Culture. Ce qui n’a pas été le cas avec mon prédécesseur sous Nicolas Sarkozy, où l’on passait sur la tête du ministre pour les décisions concernant les nominations, les limogeages, les choix d’implantations de nouveaux équipements, ou pour des annonces à cor et à cri qui n’étaient pas budgétées. Certes, je m’inscris dans l’effort général de l’ensemble du gouvernement, mais les priorités que j’ai définies avec le Premier ministre sont claires, nettes. Pour les réformes structurelles, j’ai l’appui du Président et du Premier ministre. Ils me laissent une grande autonomie de travail. Ce qui est appréciable.

Les établissements publics participent à l’effort général d’économie des finances publiques. Peuvent-ils aller encore plus loin et comment ?
J’ai fait porter les efforts aux établissements qui disposaient de la plus importante surface financière et qui pouvaient compenser soit par des ressources propres, soit par du mécénat. Si l’on prend le Centre Pompidou, par exemple, nous avons veillé à ce qu’il ne soit pas affecté dans sa capacité d’acquisition, enjeu majeur de sa dynamique. Le réglage budgétaire a été très fin. Je pense que les établissements ont bien compris que la logique de l’effort demandé n’était pas un coup de rabot uniforme, mais adapté, ciblé en fonction des besoins. J’ai veillé à le faire en associant tous les dirigeants des établissements publics, car ils doivent être respectés tout en rentrant dans une politique générale.
Quand on a annoncé avec Jean-Paul Cluzel [le président de la RMN-Grand Palais, ndlr] que Monumenta n’aurait pas lieu en 2013 mais en 2014 [avec Ilya et Emilia Kabakov, ndlr], c’est un choix que je lui ai demandé d’accompagner afin que cette décision puisse s’inscrire dans la programmation du Grand Palais, mais aussi, plus largement, dans celle des autres événements du moment.

Monumenta, le Centre Pompidou, le Louvre sont aussi des outils de rayonnement de la France. Ne craignez-vous pas de fragiliser leur action et de faire reculer notre place dans le monde culturel ?
Je ne vois pas peser de menace ni sur le Louvre ni sur le Centre Pompidou quant à leur poids dans le concert des grands musées du monde qui sont, au demeurant, soumis aux mêmes contraintes économiques ! Mais l’essentiel est que l’on ait des manifestations qui permettent à la France d’avoir une influence forte dans le monde de l’art. Monumenta est, certes, importante, la Triennale aussi, pour d’autres raisons. Mais la Biennale de Lyon l’est tout autant. Les événements ne doivent pas se faire concurrence, ils doivent au contraire être complémentaires. J’ai la volonté de travailler sur le fond, de redonner de la cohérence à une politique publique qui permette aux artistes français, aux artistes en France également, de dire quelque chose au monde à travers l’art.
Nous disposons d’un réseau de musées et de Frac, et d’art dans l’espace public. La France toute entière est un musée à ciel ouvert où les artistes ont leur place et sont valorisés en tant que tels. Leur parole n’est ni une parole décorative, ni une parole consumériste dans le sens où nous ne sommes pas là pour les instrumentaliser, mais pour leur laisser un espace de liberté, de rencontre avec la population. Ceci est ancré maintenant dans les esprits, dans les mentalités. Je suis très fière de voir que ce sont aujourd’hui les collectivités, notamment dans les zones rurales, qui sont les premiers commanditaires d’œuvres d’art contemporain dans l’espace public. Dernièrement, j’ai inauguré à Delme, dans une zone très rurale de Moselle, la Gue(ho)st House de Berdaguer & Péjus dans l’ancienne synagogue devenue centre d’art contemporain. C’est extraordinaire, comme le sont les projets du « Vent des forêts » dans la Meuse ou de Nils Udo dans la Creuse. La politique culturelle passe par ces lieux trop souvent mis de côté. Évidemment, ce sont des commandes publiques où l’État joue tout son rôle. Mais il le fait avec des collectivités locales, des acteurs locaux et des populations qui sont impliqués dans ces projets formidables. Le rôle de l’art contemporain est là : créer de la discussion, du débat, de la réflexion au sein de la population.

Comment comptez-vous soutenir la création ?
En réaffirmant le principe essentiel de la liberté de création qui doit toujours être rappelé et préservé face, malheureusement, aux attaques d’intégristes comme ce fut le cas en 2011 à la Collection Lambert ou dans d’autres pays. Il faut d’autre part donner davantage de sécurité, de meilleures conditions aux métiers artistiques. J’ai commandé un rapport sur l’accompagnement et l’élargissement du régime social des artistes-auteurs à d’autres métiers, comme le design. Ce travail est long. Le rapprochement de la Maison des artistes et de l’Agessa est une piste qui nécessite du temps, de la concertation. Mais il est fondamental de s’intéresser à ces questions qui portent sur l’économie de la culture. Il reste que tout ne passe pas par le cadre législatif. J’ai notamment demandé à la direction générale de la Création artistique et à la direction générale des Patrimoines, en concertation avec le Fonds national d’art contemporain, les musées et les Frac, de réfléchir ensemble à la manière de mieux valoriser les collections publiques d’art contemporain et les actions des collectivités locales. Ce groupe de travail, dénommé « Collection 21 », m’a présenté vingt et une propositions concrètes et opérationnelles. Il suggère notamment de créer un prix de la commande publique.

LES COLLECTIONS NATIONALES

Alain Seban vous a remis le rapport que vous lui aviez commandé sur la circulation des œuvres des collections publiques. En quoi cette circulation peut-elle être aujourd’hui améliorée ?
Je lui ai commandé ce rapport parce qu’il doit y avoir une réappropriation par nos concitoyens – et une appropriation pour certains – des œuvres de nos collections, qu’elles soient contemporaines ou pas. Cela signifie qu’il faut aller chercher les gens où ils se trouvent. Ne pas toujours attendre qu’ils aillent dans les musées. En cela, on s’inspire des expériences qui ont été faites par les Frac. J’ai donc demandé au président du Centre Pompidou de travailler sur cette question de circulation des œuvres en partenariat avec d’autres musées. Comment peut-on notamment améliorer la législation pour faciliter les prêts et les dépôts dans les musées, mais aussi dans des établissements qui ne sont pas des musées, et qui peuvent être des hôpitaux, des supermarchés, des mairies, des préfectures ou tout simplement des entreprises ? L’entreprise est l’endroit où les gens travaillent, passent du temps. On a perdu un peu de cet idéal d’éducation populaire. L’idée est de faire rayonner, circuler des œuvres dans des espaces qui sont des espaces de travail, de loisir ou de consommation.
Parallèlement, j’ai invité Alain Seban à réfléchir à l’avenir du Centre Pompidou-Metz. Aujourd’hui, le CPM est un espace qui n’accueille que des expositions temporaires. Il doit y avoir une collection permanente pour faire vivre ce très bel équipement au quotidien. Le Centre Pompidou travaille à ce projet à partir des collections du Musée national d’art moderne.

Concrètement, verra-t-on le Musée national d’art moderne prêter des pièces de sa collection à une PME du Périgord ?
 Absolument. Il n’y a aucune raison pour qu’aujourd’hui cela ne se fasse pas, d’autant que nous avons les moyens de sécuriser les dépôts. Les collections appartiennent à tous.

N’est-ce pas une vision un peu utopique ?
Mais c’est bien d’avoir de l’utopie ; l’utopie est au cœur de l’art.

Comment allez-vous inciter les musées à le faire ?
C’est une dynamique nationale qui passe par une volonté politique forte. Je demanderai à l’ensemble de nos établissements nationaux d’y participer. Je pense que d’autres suivront. Mais il n’y a pas que le ministère. Nous ne partons pas d’une table rase. Ainsi, ce que Dominique Lefebvre [député du Val-d’Oise, ndlr] a réalisé dans l’agglomération urbaine de Cergy-Pontoise en matière d’art contemporain dans l’espace public est exemplaire. Ces démarches, nous devons les accompagner, les encourager.

Les musées nationaux sont-ils aujourd’hui suffisamment prêteurs ?
Il faut les inciter à l’être davantage. Ils doivent être plus volontaires et, pour cela, certains leviers, parfois législatifs, devront être levés. Je pense notamment à la question des assurances, qui pose problème. La grande loi sur le patrimoine en 2014 traitera des questions législatives du rapport Seban ; d’autres décisions passeront par voie réglementaire, comme cette question d’assurance des prêts ou des dépôts où l’État pourra se porter garant.

LOI SUR LE PATRIMOINE

Dès votre arrivée au ministère, le projet de loi sur le patrimoine, que vous venez de présenter, a été l’une de vos priorités. Il concerne les musées, l’archéologie, le patrimoine, les archives, l’architecture. Quels en sont les enjeux ?
Le patrimoine est le bien premier de tous nos concitoyens. Il est une des richesses de la France, nous avons avec lui un lien particulier. La culture, ce ne sont pas des subventions, mais des investissements, un enjeu économique crucial pour notre pays qui génère un million d’emplois, 29 milliards de PIB et bien plus que cela encore. Le patrimoine, ce sont aussi des entreprises, et notamment des PME de pointe qui offrent un emploi hautement qualifié, non délocalisable et valorisant pour les salariés.

Que va changer cette loi sur le patrimoine ?
Une amélioration de circulation, des prêts et des dépôts des œuvres. Pour les archives, une plus grande ouverture ; pour l’archéologie, une valorisation du travail des archéologues – il faut arrêter de penser que les archéologues sont des empêcheurs de construire ; pour l’architecture et l’urbanisme, nombre de changements porteront sur les classements. Si nous n’avions pas prévu de modifier la loi sur le patrimoine, nous aurions eu une perte en 2015 de la moitié de nos zones protégées en France. Il s’agit de simplifier pour être plus efficace, pour mieux protéger. Il existe aujourd’hui onze catégories différentes de protection.

N’y a-t-il pas un risque d’hyperpatrimonialisation qui jouerait contre la création ?
Je ne le crois pas. Si on prend le patrimoine du XXe siècle, on s’aperçoit qu’il ne bénéficie pas assez de protection. Il va falloir élargir la notion de ce qu’est ce patrimoine pour avoir des repères. Je veux que l’on travaille en amont à détecter sur le territoire ce qui nous semble intéressant. Nous avons très peu de bâtiments inscrits au patrimoine du XXe siècle. Ce qui est extrêmement dommage. Le patrimoine industriel a été, de manière constante, sous-évalué, sous-estimé, sous-protégé en France. Si l’on compare à ce qui se fait en Allemagne, c’est le jour et la nuit. Ce que l’on a fait dans certaines de nos régions, c’est vraiment du gâchis. Je demande donc aux directions régionales des Affaires culturelles de veiller particulièrement à ce patrimoine et de faire des propositions pour un certain nombre de sites. Cela ne veut pas dire que l’on va tout classer, cela n’aurait guère de sens et le coût serait trop élevé, mais il faut garder des témoignages, en concertation évidemment avec les élus.

Le Louvre, la BnF font face à d’importants problèmes de stockage de leur propre patrimoine. Le risque de crue centennale menace chaque année le Louvre. Le projet de centre des réserves à Cergy-Pontoise est-il définitivement enterré ?
Dominique Lefebvre s’est beaucoup engagé sur ce projet qui n’a jamais eu le début d’un financement de l’État à l’époque de mon prédécesseur. C’est bien beau de dire : « On y va. » Si l’on ne met pas en œuvre les moyens concrets pour y arriver, on crée de faux espoirs. Le projet, par ailleurs, était devenu pharaonique, incorporant tous les musées de Paris. Il a été totalement redimensionné. Le besoin urgent, et réel, est celui des réserves du Louvre. Leur déplacement est notre priorité. Elles seront placées dans la région de Lens, à proximité du Louvre-Lens récemment ouvert. Cette installation se fait en collaboration avec la région Nord-Pas-de-Calais. Nous allons signer une convention avec Daniel Percheron, son président.

Et pour le déplacement du Centre de recherche et de restauration des musées de France, un temps envisagé à Cergy ?
Le C2RMF doit rester à Paris. Il n’y a aucune raison que ses ateliers se déplacent du centre de la capitale. Ils ont besoin d’être sur place pour pouvoir travailler au plus près des œuvres. Il ne faut pas faire des délocalisations de complaisance quand cela ne correspond pas à un besoin ou à une vision. En revanche, j’accompagnerai le territoire de Cergy-Pontoise sur l’art dans l’espace public et sur la circulation des œuvres. Il sera un territoire prioritaire.

L’ÉDUCATION ARTISTIQUE ET CULTURELLE

L’éducation artistique et culturelle a été une autre de vos priorités dès votre arrivée au ministère. Vous aviez confié une mission à Marie Desplechin qui a été un fiasco. Pourquoi cette priorité des différents ministres qui vous ont précédée n’arrive-t-elle pas à aboutir ?
D’abord, il faut dire que ce n’est pas la faute des professeurs, quoi qu’en disent certains – ils sont les premiers défenseurs de cet enseignement –, ni des parents d’élèves – au contraire, ils y sont favorables –, ni celle des artistes. Je pense qu’il y a des mentalités à faire évoluer. L’éducation artistique et culturelle induit une transformation dans les modes d’apprentissage, donc forcément cela change les habitudes.

Ne sommes-nous pas dans une impasse absolue ?
Non, au contraire. La loi sur la refondation de l’école, dans son article 6, a inscrit le parcours d’éducation culturelle et artistique à tous les échelons, de la maternelle à l’université, pour la première fois dans l’histoire de ce ministère. Avec Geneviève Fioraso [ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche, ndlr], j’ai signé une convention pour que l’université ne soit plus le continent inconnu de la culture et nous avons réintroduit cet enseignement dans le cadre de la formation des enseignants. Enfin, en lien avec la réforme des rythmes scolaires, les collectivités locales sont en première ligne pour constituer une offre qui articule les différents temps de l’enfant, scolaire, périscolaire, hors temps scolaire. Tous les acteurs de la culture doivent se mobiliser pour contribuer à donner un contenu de qualité à cette offre. Il faut construire les conditions de cette mobilisation.

Ne vaudrait-il pas mieux imposer une bonne fois pour toutes cette formation essentielle ?
On ne peut pas passer en force parce qu’il faut que les gens soient passionnés, enthousiastes pour s’inscrire dans cette démarche. À défaut, il faut susciter l’enthousiasme ; la réforme des rythmes scolaires est une opportunité énorme. Avant cette réforme, 20 % des élèves bénéficiaient d’un parcours d’éducation artistique. Aujourd’hui, les collectivités locales ont un accompagnement financier de l’État. Mais vous avez raison, il faut créer les conditions d’une politique structurante, durable. Nous y travaillons avec Vincent Peillon : sur la formation de tous les acteurs notamment, dimension essentielle, sur leur coordination, le partage des ressources. Une convention avec les Frac va être passée avec cet objectif d’aller à la rencontre de tous les élèves dans leur établissement.

Ce qu’ils font déjà…
Ce qu’ils font, mais nous allons établir une convention pour le formaliser et encourager les enseignants à développer des projets avec les Frac.

Est-il, par exemple, impensable de sortir des cartons le plan Tasca-Lang pour les arts à l’école datant de 2000, qui a le mérite d’exister, de le rendre opérationnel et, ainsi, de gagner du temps ?
Malheureusement, le plan Tasca-Lang n’a pas pu aller à son terme. De très nombreuses actions ont eu lieu depuis. Notre projet pour l’éducation culturelle et artistique vise maintenant la généralisation. Il est une priorité du président de la République, du Premier ministre. François Hollande a d’ailleurs remis lui-même, au printemps dernier, le prix de l’audace artistique et créative à une école de Rennes en partenariat avec le centre d’art La Criée.

On entend peu le ministre de l’Éducation nationale, François Peillon, sur ce sujet…
Pourtant, la meilleure preuve de sa volonté est l’article 6 dans la loi d’orientation sur l’école.

Les écoles d’art et de création s’inquiètent de passer sous la cotutelle du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Le seront-elles effectivement ?
Il ne faut pas qu’elles s’inquiètent parce que cette tutelle conjointe qui a été votée par le Parlement. Elle était demandée par les écoles d’architecture, pas par les écoles d’art, mais j’ai veillé, et je veillerai, à ce que toute la liberté pédagogique soit vraiment garantie pour les écoles d’art. Geneviève Fioraso, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, est en plein accord avec moi là-dessus. Il y aura simplement davantage d’harmonisation de l’ensemble de notre système d’enseignement supérieur qui ne pourra que bénéficier aux écoles d’art qui y gagneront en reconnaissance de la spécificité et de l’excellence de leurs formations. Je m’attacherai particulièrement à ce qu’elles renforcent leur visibilité au plan international, car la compétition entre écoles est de plus en plus forte. Tout comme la compétition économique internationale. L’industrie française peut se repositionner grâce à l’apport de diplômés d’écoles d’art et de design. La French touch est un atout considérable. C’est un des enjeux de la Mission design que j’ai confiée avec Arnaud Montebourg à Alain Cadix, le précédent directeur de l’ENSCI.

La construction du bâtiment de l’École nationale supérieure de la photographie pourrait-elle être suivie de l’annonce de nouveaux chantiers ?
Vous savez, je ne suis pas une maniaque de la pelle. Je n’ai pas besoin de manier la truelle pour me sentir exister. Le concours pour la construction du bâtiment de l’ENSP va être lancé. Cela me fait plaisir que ce soit une école.

Et la tour Utrillo, dite « tour Médicis », à Clichy-sous-Bois ?
J’ai confié une mission à Thierry Tuot avec François Lamy, ministre de la Ville. Le projet, comme celui des réserves de Cergy-Pontoise, doit être redimensionné et redéfini dans sa pertinence pour qu’il soit le plus adéquat, le plus utile aux besoins du territoire de Clichy-sous-Bois-Montfermeil.

LE LOUVRE-ABOU DHABI

Cet été, vous avez surpris en nommant Manuel Rabaté à la direction de France-Muséums à la place de Laurence des Cars, partie à l’Orangerie. Cela signifie-t-il une reprise en main du ministère sur le dossier du Louvre-Abou Dhabi ?
Cela signifie en effet le retour de l’État. En avril, je suis allée à Abou Dhabi, et j’y retournerai en novembre pour l’installation d’une partie des équipes de France-Muséums : il fallait remettre les choses à plat. Le Louvre-Abou Dhabi est un beau projet pour valoriser la place de la France sur la scène internationale à condition de nous montrer excellents en tous points, dans la dimension scientifique comme dans la mise en œuvre opérationnelle du projet. Or, installer une équipe sur place me semblait déjà la base d’une bonne mise en œuvre. Toutes ces décisions ont été prises en parfait accord avec Marc Ladreit de Lacharrière, le président de l’agence, qui a souhaité lui aussi renouveler l’action de l’agence alors que l’échéance de l’ouverture est maintenant proche. Et, bien sûr, avec Jean-Luc Martinez, le président-directeur du Louvre. Les Émiriens ont rempli une grande partie des engagements qu’ils ont pris à notre égard. De notre côté, nous n’avons jusqu’à présent pas toujours fait de même. Nous avons par exemple reçu à l’époque de l’argent pour renommer le pavillon de Flore du Louvre du nom du cheikh Zayed [le fondateur des Émirats arabes unis, ndlr], ce que nos partenaires attendaient donc légitimement. Renommer le pavillon de Flore est bien sûr impossible : il nous a donc fallu remettre cela à plat, en toute franchise ; nous n’avons rien à cacher à nos partenaires.

LE MARCHÉ DE L’ART

Le taux de TVA des œuvres d’art à l’importation, hors Union européenne, risque de passer de 7 % à 10 %, et de pénaliser ainsi le marché de l’art. Que dites-vous aux acteurs de ce marché ?
Que je me bats sur cette question aussi, même si je ne suis pas certaine d’obtenir un arbitrage favorable. Par souci de cohérence, je suis pour une TVA réduite à 5 % pour l’ensemble des produits culturels, qui sont des biens de première nécessité. Et cette TVA n’est pas vraiment un impôt sur la consommation, mais une sorte de droit de douane : je veux défendre la compétitivité des entreprises qui font le marché de l’art en France et la place de notre pays au niveau européen et international. En tout état de cause, si l’arbitrage du Parlement lors de la loi de finances n’était pas favorable au marché, d’autres mesures permettant d’accompagner l’écosystème de l’art en France, par l’émergence d’artistes et de galeries, seraient prises. Nous pourrions les annoncer au moment de la Fiac. On associe le marché de l’art à la spéculation alors que les galeries font un travail formidable, essentiel au maintien de la diversité des artistes. À l’image des libraires, pour garder une diversité d’auteurs, d’éditeurs et de créateurs, il faut des galeries. Le Centre national des arts plastiques devra jouer un rôle plus important dans ces nouveaux mécanismes ; son action devrait être celle d’un pilote ou d’un coordinateur qui accompagne le développement économique des acteurs. Je souhaite que l’on considère le monde de l’art comme un écosystème et que l’on respecte tous ses acteurs.

Dans le cadre des négociations des accords de libre-échange, il a beaucoup été question de l’exception culturelle. Ce concept est-il toujours valable ?
Plus que jamais ! L’exception culturelle signifie que la culture ne peut pas être soumise à la seule loi du marché qui, automatiquement, tend vers l’homogénéisation et détruit la diversité culturelle. Sans diversité, pas de culture ! Pour garantir cette diversité, il nous faut des mécanismes économiques appropriés. L’existence des artistes est une réalité ; il faut donc trouver les moyens de faire participer les nouveaux diffuseurs du numérique au financement de la création. La culture doit être préservée, sans concessions. Nous ne pouvons pas imaginer un monde sans politique culturelle ambitieuse.

Quelle est votre définition du mot culture ?
C’est un espace intérieur de rencontre avec l’autre.

1973 : Naissance à Villerupt (Meurthe-et-Moselle)

2003 : Signe son premier roman : Les derniers jours de la classe ouvrière (Stock) 2007 Aurélie Filippetti est élue député socialiste de la Moselle. Elle sera réélue en 2012

2011 : Rejoint l’équipe de campagne du candidat François Hollande

2012 : Le 16 mai, Jean-Marc Ayrault l’appelle à rejoindre son gouvernement au ministère de la Culture et de la Communication

Consultez la fiche biographique de Aurélie Filippetti

Légende Photo :
Aurélie Filippetti pendant son entretien avec Fabien Simode (de dos), rédacteur en chef de L'oeil - octobre 2013 - Photo Frédéric Marigaux pour L'oeil

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°661 du 1 octobre 2013, avec le titre suivant : Entretien Aurélie Filippetti « la culture, ce sont des investissements »

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