Strasbourg conservatoire du patrimoine

Par Christine Coste · L'ŒIL

Le 25 mars 2013 - 1428 mots

Sur fond de candidature du quartier de la Neustadt au patrimoine mondial
de l’humanité et d’exposition au MAMCS sur les interférences architecturales entre l’Allemagne et la France, la capitale alsacienne relit son histoire urbaine.

Lorsqu’en 1988 la Grande Île de Strasbourg fut classée au patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco, personne dans la capitale alsacienne n’aurait imaginé que, vingt-cinq ans plus tard, la Neustadt, la « Ville nouvelle », en bordure de la vieille ville, au nord-est, pourrait à son tour être promue à ce rang dans les prochaines années par le Comité du patrimoine mondial. Longtemps, très longtemps, ce quartier érigé par les Allemands lors de l’annexion de l’Alsace-Lorraine n’a guère eu d’intérêt aux yeux des Strasbourgeois, peu enclins jusque dans les années 1980-1990 à relire leur propre histoire urbaine au-delà des deux bras de l’Ill.

Cet affluent du Rhin enserre la ville ancienne dont l’évolution jusqu’au XVIIIe siècle a donné à la cité un éclat et une harmonie architecturale rares. On découvre ici l’archétype de ce que fut jusqu’au XIXe siècle une cité alsacienne. Il est vrai qu’églises, collèges, palais, canaux et demeures à colombages et à hautes toitures rythmées de lucarnes donnent un charme fou à ce cœur de ville, dominé par la cathédrale gothique en dentelle de grès rose.

La Neustadt, un « musée » de l’architecture allemande

Trop de rivalités franco-allemandes, trop de souvenirs douloureux liés à l’annexion puis à la Seconde Guerre mondiale ont voilé le regard porté sur cette autre partie de la ville traversée de larges avenues arborées et ponctuée de places grandiloquentes. Entre 1880 et 1918 s’y sont élevés édifices de prestige, bâtiments publics monumentaux pour abriter le pouvoir politique et  des immeubles d’habitation tout confort. Ce sont d’abord les fonctionnaires et autres « immigrés » allemands qui occupèrent la Neustadt, tandis qu’à Strasbourg, certaines familles décidaient d’aller vivre ailleurs en France.

Les touristes sont encore peu nombreux à se promener sur la place de la République et le long des avenues de la Marseillaise, de la Liberté et du Maréchal-Foch pourtant bordées de constructions reflétant un impressionnant éclectisme architectural. S’y côtoient sans ambages des ouvrages néoclassiques, néogothiques, néo-Renaissance et Art nouveau signés tour à tour d’architectes allemands, alsaciens ou français. Seuls les promeneurs allemands, les architectes ou les étudiants en architecture arpentent depuis plusieurs années cette aire urbaine de 386 ha, parfaitement conservée et étonnamment homogène et minérale dans sa physionomie, qui tranche avec les ruelles étroites et colorées de la Grande Île. Et pour cause, explique Volker Ziegler, enseignant à l’École nationale supérieure d’architecture de Strasbourg  : « Elle constitue le plus grand ensemble architectural allemand conservé, la grande majorité des réalisations comparables en Allemagne ayant été détruites durant la Seconde Guerre mondiale. »

Progressivement, le sentiment des Strasbourgeois a toutefois évolué sur ce patrimoine dont l’un des symboles, le palais du Rhin – ancien palais impérial, mélange de Renaissance florentine et de baroque monumental berlinois –, faillit être démoli dans les années 1970. L’office du tourisme lui-même, dans son guide Balades strasbourgeoises du Moyen Âge à nos jours, l’architecture de la ville en six circuits, lui consacre un itinéraire.

La stratégie d’extension de la ville après les bombardements
On peut donc se promener à travers le plan directeur de la Neustadt conçu en 1880 par l’architecte en chef de la ville, l’Alsacien Jean Geoffroy Conrath, en réponse au concours lancé par les autorités allemandes du Reichsland Elsass-Lothringen, nouvelle région d’un pays fort d’un traité – le traité de Francfort du 10 mai 1871 – qui avait contraint la France, vaincue à la fin de la guerre de 1870, à lui céder l’Alsace et une partie de la Lorraine.

« Les nouvelles autorités politiques ambitionnaient de faire de Strasbourg une capitale moderne dont le rayonnement aux portes de la France devait témoigner de la modernité et de la puissance du Deuxième Reich », explique Volker Ziegler, également commissaire associé de l’exposition « Interférences/Interferenzen. Architecture. Allemagne-France, 1800-2000 » au Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg.

Les ruines de la vieille ville, bombardée au cours du siège qui l’éprouva, furent ainsi relevées. Ce qui, conséquemment, agrandit Strasbourg qui, en quarante ans,  tripla sa surface grâce à cette stratégie d’extension empruntant sa configuration aux modèles haussmannien mais également viennois, à l’instar des villes rhénanes comme Cologne ou Mayence. De 1910 aux années 1960, la construction de la grande percée, inspirée des réalisations de l’architecte viennois Camillo Sitte, conduisit à détruire des maisons insalubres et à reloger leurs habitants, notamment dans la cité-jardin du Stockfeld de l’Allemand Edouard Schimpf, construite entre 1910 et 1912.

De tout temps, Strasbourg a été, par sa situation géographique, un centre de projection du pouvoir tant allemand que français, et ce dès que la ville devint française, le 30 septembre 1681. Elle a également été un centre artistique important à l’époque du Saint Empire germanique, auquel elle a appartenu pendant plusieurs siècles, incarné dans le mouvement gothique qu’elle propagea dans les pays germains. Depuis, la vocation européenne de Strasbourg a fait naître d’autres quartiers et des projets transfrontaliers, particulièrement avec la petite ville allemande de Kehl, de l’autre côté du Rhin, que symbolise le Jardin des deux rives, reliées par la passerelle de Marc Mimran, apprécié des deux côtés dès les beaux jours.

Le Musée Tomi Ungerer
Consacré à l’œuvre de Tomi Ungerer et à l’histoire de l’illustration des XXe et XXIe siècles, ce centre international de l’illustration, aménagé dans la villa Greiner – construite en 1890 dans le quartier de la Neustadt, en bordure de la vieille ville –, est né du don fait par le dessinateur et illustrateur d’un fonds de 11 000 dessins, de 6 500 jouets et de diverses archives offertes à sa ville natale. Du 12 avril au 14 juillet 2013, voir l’exposition « Du duel au duo. Images satiriques du couple franco-allemand de 1870 à nos jours ».
www.musees.strasbourg.eu

Le Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg (MAMCS)
Dans les vastes espaces du bâtiment conçu par Adrien Fainsilber (auteur de la Cité des sciences et de l’industrie et de la Géode à Paris), les parties réservées aux collections dévoilent leur étendue, de l’art impressionniste à nos jours. Particulièrement doté en œuvres de Gustave Doré (une salle lui est entièrement consacrée) et en peintures impressionnistes, le musée possède aussi un nombre important d’œuvres de Hans Arp et de mouvements comme l’Arte Povera, Fluxus ou le néo-expressionnisme.
www.musees.strasbourg.eu

Le Musée de l’Œuvre Notre-Dame
Du nom de l’institution qui fut chargée au début du XIIIe siècle de collecter et de gérer les fonds nécessaires à la construction et à l’entretien de la cathédrale – elle veille encore à sa restauration –, la fondation abrite depuis 1931 un musée dont les éblouissantes collections d’art médiéval et de la Renaissance déploient sculptures originales de la cathédrale, art haut-rhénan (peintures notamment de Hans Baldung Grien et sculptures de Nicolas de Leyde), mobiliers et huiles de Sébastien Stoskopff, maître de la nature morte.

Le Musée des beaux-arts 
Installé au premier étage du Palais Rohan, ancienne résidence des princes-évêques construite en 1732-1742, ce musée consacré à l’histoire de la peinture en Europe du XVIIe siècle à 1870 révèle tout au long de ses salles des œuvres majeures telles que La Belle Strasbourgeoise de Nicolas de Largillière, Luigia Cattaneo Gentile de Van Dyck ou Don Bernardo de Iriarte de Goya. Au rez-de-chaussée, le Musée des arts décoratifs dévoile de son côté les somptueux appartements meublés et décorés des cardinaux de Rohan.
www.musees.strasbourg.eu

Les couleurs élémentaires de l’Aubette

Quand la ville confie à Paul et André Horn l’aile droite de l’Aubette, bâtiment du XVIIIe siècle donnant sur la place Kléber, ses espaces sont en déshérence. Les frères Horn, grands collectionneurs d’art et mécènes strasbourgeois, projettent de les transformer en un grand complexe de divertissement sur le modèle allemand avec au sous-sol un caveau-dancing, au rez-de-chaussée un café-restaurant et un salon de thé-pâtisserie, et, à l’étage, une salle de billard, un foyer-bar, un ciné-bal et une salle des fêtes. L’architecte Paul Horn imagine un plan d’aménagement en partenariat avec Theo Van Doesburg, appelé à concevoir également le décor et le mobilier des lieux avec Hans Arp et Sophie Taeuber-Arp. Des décors d’avant-garde réalisés entre 1922 et 1928 qu’apprécieront peu les Strasbourgeois lors de l’ouverture. On les dissimulera rapidement sous d’autres décors. Ne demeurent de nos jours que l’escalier et les trois salles à l’étage restaurées depuis peu, véritable plongée dans les théories esthétiques de l’élémentarisme de Van Doesburg et dans la gamme chromatique du mouvement néoplasticisme de Mondrian, mais aussi immersion dans une des rares réalisations du mouvement De Stijl encore visibles aujourd’hui.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°656 du 1 avril 2013, avec le titre suivant : Strasbourg conservatoire du patrimoine

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