Portrait

Linder - Objet : femme

Par Anouchka Roggeman · L'ŒIL

Le 18 février 2013 - 614 mots

Dans son apparence, rien ne laisse deviner son passé de chanteuse et artiste post-punk. Vêtue d’une belle chemise bleue, le cheveu lisse et la frange droite, des yeux de poupée et une voix très douce, Linder Sterling (59 ans) n’a plus rien à voir avec cette jeune femme aux cheveux hirsutes couleur rouge sang qui hurle ses tripes dans un micro sur une photographie de 1982 présentée dans l’exposition de l’Arc, Musée d’art moderne de la Ville de Paris.

Danseuse classique
Issue d’une famille ouvrière de Liverpool, Linda Sterling décide, comme beaucoup d’autres jeunes de sa génération, de changer son nom dans les années 1970. En hommage à John Heartfield, cet artiste allemand proche de Dada, l’un des premiers à réaliser des photomontages, elle se fait appeler Linder. « À l’époque, on voulait tout changer, protester contre le régime et contre Thatcher, parce que tout était malsain dans notre environnement, la situation économique, les grèves, la pauvreté. On voulait exister autrement, on devait crier notre colère. »
 
Sans aucun accès à la culture, ignorant même jusqu’à l’existence d’une création féminine, cette jeune fille sage recopie avec frénésie les femmes des magazines féminins tout en rêvant de devenir danseuse classique. Lorsqu’elle atteint la majorité, elle se rend à Manchester pour suivre pendant quatre ans une formation artistique bien trop académique. Un soir, par hasard, elle découvre sur scène le groupe punk Sex Pistols. « C’était brut, immédiat et intense. J’ai rencontré là des gens qui, enfin, pensaient comme moi, qui voulaient tout changer, créer un nouveau langage, inventer de nouvelles formes d’art. Ensemble, nous étions totalement fauchés, mais nous avions des ambitions d’une grande pureté. Et tout restait à faire. »

Punk attitude

Embrassant la cause féministe, elle réalise alors des photomontages en superposant les images des magazines masculins (pornographie, voitures, mécanique) et féminins (arts ménagers, esthétique). Pour dénoncer l’industrie du sexe et la condition de la femme, elle n’hésite pas à placer entre les jambes écartées d’une femme une série de gâteaux aux couleurs acidulées.
Pour la pochette du premier single des Buzzcocks (Orgasm Addict), qui la fait connaître en tant qu’artiste, elle fait figurer un corps de femme nue dont la tête est remplacée par un fer à repasser. Ses photomontages sont alors diffusés dans un fanzine punk The Secret Public, qu’elle cofonde avec le journaliste rock Jon Savage.
 
Avec quelques amis, elle crée ensuite son propre groupe, Ludus, où elle se produit sur scène dans des tenues extravagantes, parmi lesquelles une tenue faite de restes de viande crue, et hurle « Women wake up ! ». Dans son travail plus récent, Linder continue de jouer sur les contrastes entre des images poétiques et féminines et des images pornographiques qu’elle se plaît à rechercher dans les sex shops de Pigalle.
 
Elle avoue qu’elle ne fait que parler de son passé, de cette génération fascinante, dure et fertile qu’elle a connue, mais aussi de ces images violentes et brutales, qu’elle aurait vues un peu trop tôt. « J’ai parfois l’impression d’être un soldat qui revient de la guerre et qui la raconte à ceux qui ne l’ont pas vécue. »

Biographie

1954 Naissance à Liverpool.

1976 Réalise le collage Orgasm Addict pour la pochette du disque des Buzzcocks.

1978 Elle fonde son groupe punk Ludus.

1997 Exposition « What Did You Do in the Punk War Mummy ? » à la galerie Cleveland à Londres.

2010 Exposition collective « I’m a Cliché, Echoes of Punk Aesthetic » aux Rencontres d’Arles.

2013 Vit et travaille à Heysham en Angleterre.

« Linder. Femme/objet »

l’Arc, Musée d’art moderne de la Ville de Paris, 11, avenue du Président-Wilson, Paris-16e, du 1er février au 21 avril 2013, www.mam.paris.fr

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°655 du 1 mars 2013, avec le titre suivant : Linder - Objet : femme

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