Chine - Art contemporain

A Pékin - Une bulle d’art contemporain

Par Éric Tariant · L'ŒIL

Le 22 janvier 2013 - 1251 mots

PÉKIN / CHINE

Longtemps soumis aux tracasseries de la censure, quartiers et villages d’artistes fleurissent à Pékin depuis les années 2000. L’État-parti, qui a relâché son joug, aurait-il pris conscience des potentialités économiques de ses artistes, fers de lance de son industrie culturelle ?

Accrochées sur les cimaises de son atelier en briques grises de la périphérie de Pékin, deux grandes toiles bleu-turquoise rectangulaires tutoient de délicates encres de Chine sur papier de riz marouflé. Diplômé de l’Institut central d’art et de design de Pékin, Li Xin, 37 ans, a passé son enfance au bord du fleuve Jaune. Ses œuvres épurées, douces et fortes à la fois, entrent en résonance avec des phrases de Lao-tseu (Laozi) extraites du Tao-tê-king (Daodejing) punaisées sur un mur. « L’immobilité est le mouvement du tao. Dans sa faiblesse réside cette puissance. Tous les êtres de ce monde sont nés du visible. Le visible procède de l’invisible, car tout est et n’est rien. » Après la visite de l’atelier, cap sur le « 798 » ou « Dashanzi Art District », deuxième étape de notre périple pékinois. La berline de Li Xin glisse sur les larges avenues rectilignes et mornes du centre de Pékin battues de flocons de neige fondue.

Bâtiments de style Bauhaus
Quelques cheminées chatouillent les nuages bas. Les murs de brique rouge des bâtiments de style Bauhaus portent encore des slogans à la gloire de Mao. Bienvenue à Dashanzi, le Greenwich Village pékinois. C’est dans cette ancienne usine de matériel électronique destinée à l’Armée populaire de libération que s’est installée, à la fin des années 1990, une communauté d’artistes indépendants. Attirés par les grands espaces disponibles et les faibles loyers, les artistes ont été rejoints au tout début des années 2000 par des galeries d’art.

Quelques statues rouge vif d’un style néo-pop, plantées devant de petits immeubles, ponctuent l’espace public. Galeries d’art, cafés, librairies et petits commerces : on dénombre aujourd’hui quelque deux cents espaces commerciaux dans le « 798 Art District ». Xin Dong Cheng, le galeriste de Yue Minjun, Zhang Xiaogang et Zeng Fanzhi, s’y est établi en 2004. Ses poulains devenus des stars du marché de l’art international, il a ouvert un second espace au « 798 » en 2006, avant d’agrandir le premier. « De vraies galeries professionnelles ? Il n’y en a pas plus de dix à Pékin », lance Xin Dong Cheng. Look de jeune premier, costume sombre et pochette jaune citron, le marchand d’art est aussi le président de l’Association des galeristes chinois. Juste avant les jeux Olympiques de 2008, la Pace Gallery a ouvert au « 798 » un grand espace de 2 500 m2.

La passerelle en teck qui enjambe le petit bassin entourant l’immeuble est recouverte d’un tapis de neige. À l’intérieur, des sculptures récentes et des installations de Louise Bourgeois ont pris place.

Parmi les galeries « professionnelles » figurent aussi Continua, Beijing New Art Projects tenue par les Gao Brothers, et 798 Space, ouverte par le plasticien Huang Rui, un ancien membre du groupe avant-gardiste Les Étoiles. Devenu l’un des sites les plus visités de la capitale, Dashanzi est aujourd’hui victime de son succès.

Par beau temps, le lieu est noir de monde. Les badauds et les touristes y sont plus nombreux que les collectionneurs venus d’Occident, de Taïwan ou de Hongkong. « En général, les Chinois achètent pour investir. Ils veulent des valeurs sûres, ce qui est rarement le cas de l’art contemporain », explique Daphné Mallet, ancienne collaboratrice de Xin Dong Cheng, qui a ouvert une petite galerie dans les hutongs du vieux Pékin.

Fuyant les loyers devenus exorbitants, des centaines d’artistes et des dizaines de galeries ont gagné le village de Caochangdi situé au nord de Dashanzi. C’est ici, sur les terres du turbulent Ai Weiwei, que se sont installées notamment les ShanghART Gallery et Galerie Urs Meile.

La colonie de Songzhuang
Plus à l’est, à 30 km du centre de Pékin, se trouve Songzhuang. Cet ancien village de paysans a aspiré sur ses terres plus de cinq mille artistes en l’espace d’une dizaine d’années, l’une des plus grosses colonies du pays. Ils s’y sont installés dans le sillage des stars Fan Lijun et Yue Minjun qui y ont posé leurs valises au milieu des années 1990.

Des centaines de galeries et des dizaines de musées privés ont pris place, depuis lors, dans ce village-rue qui a des airs de ville du Far West. Le grand ordonnateur de cette « zone d’industrie culturelle » a été le gouvernement du canton de Songzhuang. Il a œuvré avec la bénédiction de l’État central qui a pris fait et cause pour l’art contemporain depuis que ses artistes se vendent comme des petits pains sur le marché mondial.

Développement capitaliste oblige, Songzhuang, devenue une véritable marque, a son propre logo et son Festival des arts qui a été lancé en 2005. Le Musée de Songzhuang, grand bâtiment mal fagoté en brique rouge et béton gris, est l’une des curiosités du village. Dirigé par le critique d’art Li Xianting, personnage incontournable de la scène artistique contemporaine chinoise, il fait figure d’espace de résistance dans la lutte contre la culture officielle de l’État-parti

Trois mille musées en 2015
« Chines, l’État au musée ». C’est le titre du dernier numéro de Gradhiva, la revue d’anthropologie et d’histoire des arts, créée en 1986 et aujourd’hui éditée par le Musée du quai Branly. La revue dresse, en près de 200 pages, un panorama des politiques muséales et patrimoniales de la République populaire de Chine (RPC). Elle analyse le spectaculaire boom muséal qu’a connu le pays depuis trente ans. Non contente de posséder plus de 2 300 musées, la RPC s’est fixé pour objectif d’atteindre le cap des 3 000 musées en 2015. www.gradhiva.revues.org

Yishu 8, un pont vers la France
Érigée à deux pas de la Cité interdite, à l’écart du tumulte de la ville, Yishu 8, Maison des arts de Pékin, a été fondée en 2009 par une Française, Christine Cayol. Celle-ci s’est fixé pour objectif de créer des lieux de rencontres, des passerelles culturelles entre la Chine et la France par le biais d’expositions, de concerts, de conférences et autres séminaires. En 2011 a été lancé le prix Yishu 8 qui permet à de jeunes artistes français d’être accueillis trois mois en résidence à Pékin. Une Villa Médicis privée en terres chinoises. www.yishu-8.com

Le deuxième musée du monde
Situé à l’est de la place Tian’anmen, le Musée national de Chine a été fondé en 2003. Il est le fruit de la fusion du Musée d’histoire et du Musée de la Révolution. De 2007 à 2010, il a fait l’objet d’un énorme projet d’extension et de rénovation qui lui permet aujourd’hui de présenter ses collections sur 192 000 m2. C’est désormais le deuxième musée au monde par sa surface, derrière le Louvre ( 210 000 m2), mais devant le Met de New York ( 180 000 m²). On peut y admirer plus de 5 000 ans d’art et de civilisation chinoise. www.chnmuseum.cn

Le musée du baron Ullens
Un grand portrait du couple peint par Yan Pei-Ming trône au-dessus du comptoir d’accueil et de la billetterie du musée. Collectionneurs fondus d’art chinois, le baron Guy Ullens de Schooten et son épouse ont ouvert, en 2007 dans le Dashanzi Art District, le premier musée d’art contemporain de Chine. L’Ullens Center for Contemporary Art présente la collection du couple belge, en alternance avec des expositions de jeunes talents, chinois ou internationaux, et d’artistes dont la carrière est déjà solidement établie. www.ucca.org.cn

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°654 du 1 février 2013, avec le titre suivant : A Pékin - Une bulle d’art contemporain

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