Le Bhoutan - Au pays du « bonheur national brut »

Par Éric Tariant · L'ŒIL

Le 9 novembre 2012 - 1336 mots

Pour faire advenir son « grand rêve », le BNB, le pays mise sur un développement holistique et la préservation de son identité culturelle de façon à contribuer au bien-être et au bonheur de la population.

Bienvenue dans « l’antre du tigre ». Accroché à une falaise, à 2  950 m d’altitude, le monastère de Taktsang est l’un des sites les plus impressionnants de l’Himalaya. « Regardez, on l’aperçoit tout là-haut. En route ! », s’écrie Tongphu, désignant un gros point blanc et rouge collé au milieu d’une paroi verticale. Grand et sec, la peau mate et la mèche en bataille, notre chauffeur dégringole du siège du 4 x 4, ouvre le coffre, s’empare d’un sac à dos et d’un bâton et attaque, bille en tête, l’ascension vers le sanctuaire. Pas le temps de tergiverser, il faut y aller.

Une halte à Taktsang
Le chemin caillouteux serpente à travers une forêt d’arbres centenaires desquels pendent des lambeaux de mousse vert tendre. Seul le grincement métallique des moulins à prière et le bruit sec des cailloux qui roulent sous les sabots des chevaux guidés par des moinillons troublent le silence. Après deux heures de marche, parvenus à un premier sommet, Taktsang, toits rouge et or et murs blanchis à la chaux, surgit adossé à sa falaise noire. Le chemin cède la place à des escaliers taillés dans le roc et plonge en direction d’un pont suspendu au-dessus d’une cascade. Avant de remonter, sur la falaise opposée, en épousant une longue volée de marches glissantes. Nous y sommes. Un complexe de temples nichés dans de vastes surplombs se dresse devant nous. Taktsang est l’un des pèlerinages bouddhistes les plus prisés du monde himalayen. Le temple d’Amitabha, le Bouddha de longue vie, qui abrite trois grandes statues dont celle de Guru Rinpoché, est sans doute l’édifice le plus visité. Par les fenêtres du temple, niché à l’aplomb de l’à-pic vertical, on aperçoit la vallée de Paro 800 mètres plus bas.

« Sans nos monastères, il n’y aurait plus de Bhoutan. Ce n’est pas le ministère des Affaires étrangères qui nous protège, mais les milliers de religieux et de moines que compte le pays », martèle Khenpo Phuntsok Tashi en sirotant un thé beurré et salé. Barbe poivre et sel, chemise safran, robe bordeaux et sandales roses en plastique, le directeur du Musée national de Paro nous accueille chez lui, dans sa maison perchée sur une colline, au-dessus du musée. Sur les murs, le poster d’un Rinpoché tutoie celui de Jigme Khesar Namgyel Wangchuck, le jeune roi du Bhoutan et celui du dalaï-lama.

Air pur et architecture

Coincé entre l’Inde et la Chine, grand comme la Suisse, le Bhoutan est un pays singulier à tous points de vue. Ici, les forêts primaires ont été préservées, l’air est pur, l’architecture grandiose et la spiritualité vivante. « Clichés publicitaires ? Non, le plus surprenant est que tout cela est vrai », soutient Françoise Pommaret, ethnologue et chercheuse au CNRS qui y vit depuis 1981.

Il y a cinquante ans, le Bhoutan était un pays fermé, sans moyens de communication modernes, sans routes ni téléphone, et encore médiéval dans ses structures. Aujourd’hui, membre de l’Onu et d’autres organisations internationales, le Bhoutan s’ouvre au monde extérieur et se développe avec prudence afin de ne pas perdre son âme. Les secrets de ce petit éden himalayen ? Le Bhoutan est le seul pays au monde à avoir inscrit le « bonheur » de ses 700 000 habitants au cœur des politiques publiques. Tout projet de loi doit passer sous les fourches caudines de la Commission du Bonheur national brut (BNB). C’est elle qui vérifie scrupuleusement que le texte respecte bien les quatre piliers du BNB : développement durable, conservation de la nature, bonne gouvernance et préservation de la culture.
« Les petits pays comme le nôtre sont très vulnérables. Notre force réside dans notre identité culturelle, insiste Kinley Dorji, le secrétaire d’État à l’Information et à la Communication. Nous devons être différents des milliards d’hommes et de femmes qui nous entourent dans la région. Sinon, nous serons engloutis. C’est pourquoi nous mettons tant l’accent sur le respect de notre culture, de notre architecture, sur le port du vêtement traditionnel, le respect de notre langue et de nos valeurs. »

Partout, l’esprit bouddhiste
Les valeurs bouddhistes ! Nous y voilà. Profondément ancrées, elles imprègnent l’esprit, la vie et les paysages bhoutanais. Les montagnes sont parsemées de monastères, de temples et de chörtens. Leur présence est annoncée par des drapeaux à prière multicolores qui claquent au vent. Le calendrier est émaillé de fêtes et autres festivals religieux dont les plus connus sont les Tshechu qui commémorent les hauts faits du Guru Rinpoché. Tous les chefs-lieux de district et un grand nombre de villages du pays ont leur Tshechu annuel animé de danses et de chants. Les valeurs spirituelles imprègnent aussi l’architecture, celle des monumentaux dzongs, sièges du pouvoir politique et religieux, édifiés sous la direction de grands maîtres bouddhistes. Mais aussi les maisons paysannes traditionnelles aux toits à double pente en bardeaux, ornées de petites fenêtres trilobées et de jolies corniches ouvragées peintes de couleurs vives qui éclatent au milieu des rizières.

Devinez à quelle source les Nations unies sont allées puiser quand elles ont décidé de faire du 20 mars la journée internationale du bonheur ?

Le Musée national de Paro
Situé au-dessus du dzong de Paro, le Musée national est logé dans l’ancienne tour de guet de l’édifice. Inauguré en 1968, il possède une très belle collection de thangka, ces bannières peintes ou brodées, modes d’expression majeurs de la peinture bhoutanaise. Une salle est dédiée à un ensemble d’ardoises gravées et de statues en argile creuses remplies de reliques de saints. Ne manquez pas la galerie de l’orfèvrerie et des armures depuis laquelle on jouit d’une jolie vue sur la vallée et la ville de Paro.

De dzong en dzong
Le Bhoutan compte 29 forteresses ou dzongs dont l’origine remonterait à la période comprise entre les XIIe et XVIIe siècles. Main dans la main, pouvoirs politique, religieux et judiciaire cohabitent harmonieusement depuis le Moyen Âge au sein de ces imposants édifices symbolisant le pouvoir. Signe de l’importance de ces forteresses dans la civilisation bhoutanaise, le mot dzong a donné son nom à la langue nationale, le dzongkha (littéralement « la langue parlée dans les dzongs ») et aux 20 districts, les dzongkhags, l’équivalent de nos régions, que compte le pays.

Une myriade de chörtens 
Les chörtens sont des monuments religieux représentant l’esprit du Bouddha. Le Bhoutan en dénombre plus de 13 000. Perché sur une montagne ou un col, au-dessus d’un village ou à l’orée d’un monument religieux dont il annonce la présence, le chörten est, comme les rizières, omniprésent dans le paysage bhoutanais. Les plus grands sont inspirés des modèles népalais, d’autres d’édifices tibétains. Les chörtens spécifiquement bhoutanais ont une structure carrée et sont recouverts de bardeaux maintenus en place à l’aide de grosses pierres.

Des phallus… pour se protéger 
Non, vous n’êtes ni sous le coup d’un hallucinogène, ni la victime malheureuse des effets du jetlag ! Si en débarquant au Bhoutan, des phallus géants vous apparaissent dansant, de-ci de-là, sur les façades des maisons blanchies à la chaux, interpellez le premier Bhoutanais venu : il vous expliquera sans ciller que ces emblèmes, symboles évidents de fertilité, ne visent qu’à éloigner le mauvais œil et les esprits néfastes. Cette tradition, qui n’existe pas dans le reste de l’aire himalayenne, pourrait être liée, selon Françoise Pommaret, ethnologue et chercheuse au CNRS, au héros culturel du pays, le « saint fou » Drukpa Kunley (1455-1529) qui s’est rebellé contre les règles monastiques. « Il a parcouru le Tibet et le Bhoutan en enseignant le bouddhisme de façon peu orthodoxe, prenant de nombreuses partenaires, entonnant des chants religieux à forte composante sexuelle et, enfin, subjuguant les démones locales avec son dorje, un euphémisme honorifique pour signifier son « phallus » », explique Françoise Pommaret dans son guide Bhoutan. Au plus secret de l’Himalaya (Découverte Gallimard, 14,70 euros).

Pratique - Se rendre au Bhoutan

« Faire revivre l’émerveillement de la découverte en façonnant un circuit personnalisé pour chaque voyageur. » C’est la philosophie de l’agence de voyages Horizons nouveaux. Loin du prêt à voyager et des lieux touristiques surfréquentés, Horizons nouveaux, fin connaisseur du Bhoutan, sait concocter des itinéraires alliant originalité et authenticité.

Horizons nouveaux, rue de Médran 6, Case postale 196, CH-1936 Verbier (Suisse), tél. 41 27 761 71 71, www.horizonsnouveaux.com

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°652 du 1 décembre 2012, avec le titre suivant : Le Bhoutan - Au pays du « bonheur national brut »

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