7 clefs pour comprendre l’art du Nigeria

Par Virginie Duchesne · L'ŒIL

Le 8 novembre 2012 - 1327 mots

Le Musée du quai Branly présente pour la première fois l’art des populations de la vallée de la Bénoué, le fleuve qui traverse le Nigeria. L’occasion de remonter cet affluent du Niger d’ouest en est à la découverte de sa culture en sept escales.

1. Le fleuve Bénoué, l’axe des croyances

À l’écart des routes marchandes arabes et des premiers comptoirs commerciaux européens, la vallée de la Bénoué a bénéficié de sa situation géographique médiane sur le continent africain pour préserver sa culture jusqu’au début du XXe siècle. La « Middle Belt africaine » est traversée d’est en ouest par le fleuve Bénoué, véritable épine dorsale de la région qui prend sa source au Cameroun et traverse le Nigeria pour se jeter dans le fleuve Niger. Axe majeur de circulation, cet affluent est la voie principale de circulation des croyances, des objets rituels, des artistes et ainsi de formes artistiques qui se diffusent dans toute la vallée.

En témoigne cette statue masculine transrégionale moulée dans un alliage cuivreux. Son noyau d’argile central fait remonter sa datation à 400 ans et la rapproche des productions plus fameuses en alliage des royaumes d’Ifé et du Bénin de la même période, situés plus au sud.

2. Au confluent du Niger : la basse Bénoué

La vallée est traditionnellement divisée en trois sous-régions stylistiques : la basse, la moyenne et la haute Bénoué. Au confluent du fleuve Niger, dans la basse Bénoué, vivent des populations (Idoma, Igala, Alago, Ebira, Goemai, etc.) toutes issues d’un même peuple, historique ou légendaire selon les traditions orales : le peuple Apá. Au XIXe siècle, la région connut deux grands bouleversements sous la forme du djihad peul, une population venue du nord, puis de l’arrivée des Européens entraînant la traite négrière et la mise en place d’une administration coloniale. Celle-ci a façonné à tort notre connaissance de la culture régionale en appliquant un découpage ethnogéographique arbitraire occultant la communauté cultuelle et culturelle de ce territoire.

Cette maternité avec enfants, attribuée tour à tour aux Yoruba, aux Idoma puis aux Afo dans les années 1950, est un exemple typique de cette définition ethnique forcée reprise sur le marché de l’art. La recherche actuelle tente de déconstruire ces « styles tribaux ».

3. La moyenne Bénoué au cœur de la vallée

Entourée de deux émirats islamiques installés par les Peuls, la sous-région est sous l’emprise des Chamba venus du nord-est, dont la production est représentative du territoire. Jusqu’à la conversion de la région à l’islam, les croyances et les cultes associés étaient échangés entre les différentes populations selon leurs besoins rituels avant d’être définitivement considérés comme païens et condamnés. Toute la production cultuelle fut alors abandonnée, comme les statuettes anthropomorphes et les masques verticaux et horizontaux qui ont rapidement trouvé une seconde vie sur le marché de l’art et dans les musées occidentaux.

Ce masque horizontal chamba en bois, typique de la moyenne Bénoué, s’anime lors des mascarades, des danses rituelles permettant de réguler l’environnement, ses forces et ses esprits. Rapidement évincées par l’islam et le christianisme, leur déroulé est peu connu. Mi-homme, mi-animal, ce masque qui a conservé son costume de fibre se compose d’une forme de crâne humain et de cornes de buffle, l’animal le plus représenté sur ce type de masque.

4. Entre Cameroun et Nigeria : la haute Bénoué

Située sur la frontière entre le Cameroun et le Nigeria, la région a longtemps été préservée des invasions islamiques et des colonisateurs britanniques et allemands, contrairement au reste de la vallée. La continuité des pratiques rituelles et de la production matérielle jusqu’à la fin du XXe siècle explique notre meilleure connaissance de la sous-région. Elle se distingue par l’absence de sculptures en bois suppléée par une abondante production céramique.

Selon sa forme et son décor, le récipient façonné dans l’argile est utilisé lors de différents rituels destinés à faire venir la pluie, à obtenir une bonne récolte ou à guérir. En l’espèce, les maux étaient transférés sur la surface du pot qui était ensuite abandonné. Ainsi de ce contenant à tête humaine utilisé lors des rituels de protection des fœtus des femmes enceintes ou contre les maladies particulières qui les affectent.

5. Quelques artistes sortis de l’anonymat

La codification de la production artistique destinée exclusivement aux rituels ne signifie pas une absence totale de créativité, ni l’anonymat des auteurs même s’ils font figure d’exception. Certains artisans étaient réputés et voyageaient dans toute la vallée.

Cette sculpture en bois représentant un homme et une femme a été réalisée par Soompa, un artiste chamba de la moyenne Bénoué actif dans les années 1920-1940. Ce type de figure, utilisée en procession rituelle pour dialoguer avec des entités humanoïdes, apparaît à la fois dans les cultes du village de Mapeo, au Nigeria, dont l’artiste est issu, et de Yéli au Cameroun.

L’exposition présentée au Musée du quai Branly a été l’occasion de restituer partiellement l’histoire de Soompa et d’associer tout un corpus d’œuvres à son nom, qui représente une quinzaine de figures seules et de doubles figures. L’artiste reprend ici les traits stylistiques communs à la production sculptée de la région, adoptant des formes rondes plus proches d’un modelage dans l’argile que d’une sculpture dans le bois, accentués par la couleur ocre-rouge de la patine.

6. Danses et pouvoir politique

Les peuples de la vallée de la Bénoué partagent une même culture rituelle et matérielle mais se distinguent les uns des autres par leurs organisations politiques. Ils sont pour la plupart regroupés au sein de petites communautés. Font exception des groupes plus structurés sous forme de royaumes et de chefferies au sein des peuples Jukun (haute Bénoué), Chamba (moyenne et basse Bénoué), Igala et Idoma (basse Bénoué). Le contrôle politique passe par des danses et des masques associés qui ne sont pas exclusivement liés au contrôle rituel de l’environnement.

Ce masque-éléphant Idoma a été réalisé par Oba, un artiste actif dans les années 1930-1950. Porté par le chef lors d’une danse effrénée, il représentait son pouvoir sur la communauté. On discerne sur le devant du masque la trompe et les deux défenses très stylisées de l’animal et, à l’arrière, deux oreilles. Cet objet, photographié sur un danseur dans le village d’Otobi en 1986, a rejoint les réserves du Musée du quai Branly après un passage en Suisse dans la collection Barbier-Mueller dès 1988.

7. Collections publiques et privées

Deux grandes périodes de collectes dans la vallée de la Bénoué peuvent être distinguées : celle de la colonisation à la fin du XIXe siècle et celle de la guerre du Biafra, la guerre civile du Nigeria qui eut lieu entre 1967 et 1970. Durant la première période, de nombreuses pièces collectées par des officiers coloniaux ont rejoint les collections des musées britanniques et allemands. Dans la seconde période, le contexte de guerre civile allié à un abandon de la spiritualité face au christianisme et à l’islam facilita la sortie de pièces nigérianes. Venues enrichir les collections privées occidentales sans documentation, la plupart d’entre elles ont perdu tout contexte culturel.

Ce masque Ebira, toujours en mains privées, fut acquis dans les années 1970. Il était recouvert de graines rouges d’abrus incrustées dans une cire répartie sur sa surface. Elles ont disparu, de même que le tissu qui était glissé dans les trous latéraux au profit d’une pureté formelle tant prisée par les collectionneurs.

Autour de l’exposition

Informations pratiques. « Nigeria. Arts de la vallée de la Bénoué », jusqu’au 27 janvier 2013. Musée du quai Branly. Ouvert mardi, mercredi et dimanche de 11 h à 19 h et jeudi, vendredi et samedi de 11 h à 21 h. Tarifs : 8,5 et 6 €. www.quaibranly.fr

Le catalogue de l’exposition. « Malgré un demi-siècle […] d’intensives études sur le terrain, la documentation des genres artistiques in situ est inégale. » Le catalogue fait donc le point sur les recherches ethnographiques et historiques entreprises dans la vallée de la Bénoué. Un éclairage est apporté sur une dizaine d’objets de chaque sous-région artistique (coédition quai Branly-Somogy, 136 p., 27 €).

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°652 du 1 décembre 2012, avec le titre suivant : 7 clefs pour comprendre l’art du Nigeria

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