Musée

À revoir autrement - Antoine Bourdelle

Par Vincent Noce · L'ŒIL

Le 8 novembre 2012 - 1022 mots

PARIS

Le Musée Bourdelle, à Paris, propose à ses visiteurs une nouvelle présentation de ses collections qui met l’accent sur le processus de création chez le praticien de Rodin.

Antoine Bourdelle n’a pas la réputation qu’il mérite. Le sculpteur, qui fut le disciple de Rodin, mais aussi le professeur de Giacometti, a été trahi par son inclination pour le monumental, qui l’a relégué au statut de maître du réalisme brutal qui a dominé l’entre-deux-guerres. En procédant au raccrochage des collections de son musée-atelier, derrière la gare Montparnasse, Amélie Simier, la nouvelle directrice des lieux, et Colin Lemoine [collaborateur de L’œil], responsable de la sculpture au sein du musée, se sont attachés à souligner la diversité et l’évolution de son art, de ses premiers pas méridionaux dans les années 1880 jusqu’à sa disparition en 1929. Ils ont également voulu mettre en valeur les processus créatifs d’un artiste qui, au faîte de sa carrière, avait lui-même posé la transmission et la pédagogie au cœur de son propos.

Parcours chronologique
En brique, métal et bois, formé de plusieurs bâtiments entourés de jardinets, le Musée Bourdelle est un petit miracle niché dans la ville, émouvant rescapé des cités d’artistes qui fleurissaient dans le Paris d’alors. Une famille admirable sut protéger les lieux et le fonds d’atelier avec grand soin, s’associant très tôt à la Mairie de Paris à laquelle elle a tout légué. Une centaine des sculptures et dessins de l’artiste, outre des tableaux rappelant son activité de peintre et de pastelliste, sont répartis dans cet itinéraire privilégiant la chronologie. Au-delà des peintures de son ami Eugène Carrière, qui fut son voisin d’atelier, les éléments du contexte historique et culturel auraient pu être davantage sollicités, d’autant que Bourdelle est un auteur véritablement plongé dans son temps. La musique, en particulier, nous manque dans ce vaste espace.

En revanche, l’architecture est bien présente, avec des reliefs, des dessins et une maquette du Théâtre des Champs-Élysées, dont il réalisa la décoration en lien avec l’architecte Auguste Perret. La salle fut ouverte le 2 avril 1913 par une série de concerts de Debussy, Saint-Saëns, Fauré… Une étude en plâtre pour les reliefs reproduit un couple de danseurs contorsionnés dans un cadre trop étroit. On pense aux dispositifs scéniques qu’adoptait la troupe des Ballets russes pour contraindre les déplacements des danseurs. Il serait du reste intéressant de mentionner les bouleversements dans la chorégraphie, qui ont eu tant d’impact à l’époque. Le couple représente Vaslav Nijinski et Isadora Duncan, qui fascinait Bourdelle depuis qu’il l’avait vue interpréter l’Iphigénie de Gluck, en 1909.

Le musée a également monté une petite galerie dédiée aux bustes de Beethoven, dans laquelle il faudrait mettre entre parenthèses la première tête pour mieux saisir la gradation imprimée à un sujet qui a poursuivi le sculpteur durant toute sa carrière. Plus de quatre-vingts de ses sculptures, dans tous les matériaux possibles, ont été inspirées par le compositeur, auquel il est allé jusqu’à s’identifier, réalisant un autoportrait en Beethoven. À partir d’un archétype romantique d’un génie torturé et hanté par la surdité, une sorte de pythie de la création artistique, Bourdelle s’oriente vers des représentations de plus en plus architecturées.

Le disciple et son maître
Le musée a su déployer la diversité des matières, éventuellement en les réintégrant dans le processus créatif, des études inachevées jusqu’à l’édition en bronze en passant par le plâtre d’atelier ou de fonderie, parfois gigantesque. Les statues monumentales ne manquent pas. Après La Victoire d’Hannibal, inspirée de Salammbô, encore à dimension humaine, qui lui valut une mention au Salon dès l’âge de 24 ans, en imposent Héraklès archer, exploit qui lui conféra la célébrité quand il le présenta en 1910 au Salon, Centaure mourant ou encore des évocations des monuments aux morts de Montauban et Montceau-les-Mines, si importants dans sa trajectoire. La massivité écrasante de la statue équestre destinée à Buenos Aires et la raideur de la figure de la France signent une impasse esthétique.

On a le droit de préférer Le Jour et la Nuit, essai de conciliation impossible entre l’expression de Rodin – dont il avait été le praticien – et l’intériorité du symbolisme. Bourdelle séparera du reste la figure nocturne pour la traiter à part. Il reprend ainsi ce dispositif cher à son maître, qui consiste à traiter séparément des fragments d’une œuvre plus complète. En revanche, il laisse de plus en plus visibles les traces des accidents, ce qui contribuera à éloigner les deux hommes (encore que, sur ce point, Rodin lui avait ouvert la voie).

Réorganisant les espaces d’exposition, les commissaires du Musée Bourdelle ont pu aussi mettre en valeur le goût de l’artiste pour les couleurs, la veinure rouge brique d’un marbre du Languedoc, les sculptures polychromes, les dorures laissées par les traces de mercure sur les bronzes. Hellénisme primitif des danseurs, bustes dont le principe remonte à la République romaine, sourire emprunté à Carpeaux, reprises de la statuaire romane, les influences – et les périodes, assez marquées – donnent à considérer une œuvre plus complexe, dans laquelle Colin Lemoine voudrait voir une synthèse du passage de Rodin à Brancusi.

Autour de la sculpture

Auguste Rodin. « Rodin, la chair, le marbre » jusqu’au 3 mars 2013. Musée Rodin à Paris. Ouvert du mardi au dimanche de 10 h à 17 h 45. Nocturne le mercredi jusqu’à 20 h 45. Tarifs : 9 et 5 €. www.musee-rodin.fr

Voir la fiche de l'exposition : Rodin, la chair, le marbre

Antoine Bourdelle. Nouveau parcours des collections « Redécouvrir Bourdelle. De l’atelier aux jardins ». Musée Bourdelle à Paris. Ouvert du mardi au dimanche de 10 h à 18 h. Entrée libre. www.paris.fr

François Rude. « François et Sophie Rude, citoyens de la Liberté. Un couple d’artistes au XIXe siècle » jusqu’au 28 janvier 2013. Musée des beaux-arts de Dijon et Musée Rude, ouvert du mardi au dimanche de 10 h à 17 h. Tarifs : 5 et 3 e. http://mba.dijon.fr

Voir la fiche de l'exposition : François & Sophie Rude, citoyens de la Liberté - Un couple d'artistes au XIXe siècle

Ossip Zadkine. Réouverture du Musée, Paris-6e. Ouvert du mardi au dimanche de 10 h à 18 h. Entrée libre. www.paris.fr

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°652 du 1 décembre 2012, avec le titre suivant : À revoir autrement - Antoine Bourdelle

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