Michael Werner - « Le Musée d’art moderne de la ville de Paris a changé mon attitude »

Par Frédéric Bonnet · L'ŒIL

Le 10 octobre 2012 - 1037 mots

Le Musée d’art moderne de la Ville de Paris expose «Â La collection Michael Werner », soit près de neuf cents œuvres dont cent trente ont été généreusement données par le grand galeriste et collectionneur allemand au musée.

Frédéric Bonnet : Où et quand avez-vous ouvert votre première galerie ?
M.W. : À Berlin en 1963. Avant cela, j’avais travaillé pendant près de trois ans à la galerie Springer ; une des rares galeries d’importance en Allemagne, qui comprenait bien son époque et avait plusieurs antennes à travers le pays. De là, j’ai très vite appris que les artistes de la galerie étaient allemands, intelligents, avaient du caractère, étaient de bons peintres, mais n’avaient pas de notoriété, car l’art venait de Paris. Le principal problème était que les artistes étaient cantonnés en province et n’avaient pas de moyens d’en sortir. Lorsque j’ai ouvert ma galerie, je savais déjà que je ne voulais pas être un distributeur d’art international, mais que je souhaitais créer quelque chose de personnel. Ma première exposition a donc été consacrée à Baselitz. Très progressivement, nous sommes partis de la province allemande vers la Suisse, puis la Hollande. Ensuite, j’ai établi des connexions vers Londres qui m’ont décidé à ouvrir à New York.

F.B. : Comment définiriez-vous votre but en tant que galeriste ?
M.W. : Je ne l’ai pas fait ! Je n’ai pas fini l’école, car j’avais un problème de dyslexie, et je ne savais pas quoi faire. Je voulais m’échapper de mon milieu. Je n’avais aucune idée de ce qu’était l’art et je suis allé dans une galerie observer ce qui s’y passait en essayant de comprendre ce qui se jouait là. Je tentais d’avoir une réponse, mais c’est un processus qui a pris quinze ans et, pendant tout ce temps, je n’ai pas eu beaucoup de succès. J’ai eu de la chance, car je pouvais acheter des œuvres. C’est quelque chose que j’ai toujours fait dès que j’avais de l’argent, j’achetais des œuvres de mes artistes à des prix très spéciaux, car personne ne voulait de ces pièces. C’était une époque totalement différente.

F.B. : Considérez-vous qu’une collection est un portrait de son propriétaire ?
M.W. : Oui, bien sûr ! Aujourd’hui, beaucoup de collectionneurs suivent le vent et, malheureusement, il y a trente ans, 70 % de nos collectionneurs étaient ce que j’appellerais « naïfs ». Ils venaient d’une ville où ils avaient un ami peintre, ce genre d’histoires. Mais je pense que, idéalement, une collection est un portrait du collectionneur, car vous achetez quelque chose que vous ne pouvez expliquer et vous construisez un récit autour de cela.

F.B. : Pourquoi avez-vous décidé de faire une importante donation au Musée d’art moderne de la Ville de Paris ?
M.W. : Cela a trait à ce musée, qui a touché quelque chose en moi. Lorsque je travaillais à la galerie Springer, à Berlin, j’ai rencontré Baselitz. Nous faisions des allers-retours en bus à Paris, nous voulions voir Leroy, Michaux, Fautrier… C’était la première fois que je visitais ce type de musée. Je connaissais les musées allemands bien sûr, mais ici l’espace était énorme, avec soixante personnes assises sur des chaises, qui fumaient parfois. C’était très étrange, un monde très différent, presque exotique, et cela a changé mon attitude. Soudain, j’avais le sentiment de comprendre ce qui se passait : qu’est-ce que l’art ? Qu’est-ce qu’une bonne peinture ? Il y a très longtemps, j’ai rencontré Fabrice Hergott, et nous avons toujours eu des accointances. Il a fait des expositions avec mes artistes, nous nous sommes vus de temps en temps. Puis il a reçu le legs Isabella Pakszwer-De Chirico et je lui ai dit que s’il voulait, nous pouvions penser à quelque chose de similaire. J’avais offert à un musée allemand, que je ne souhaite pas nommer, quatre-vingts œuvres qui ont été refusées pour des raisons politiques, j’ai donc toujours eu en tête ce chiffre de quatre-vingts.

F.B. : Vous en donnez finalement cent trente, ce qui est considérable. Comment en êtes-vous arrivé là ?
M.W. : Hergott a travaillé très intelligemment, en poussant toujours plus. Mais il l’a fait d’une manière qui a à voir avec la constitution d’une collection, ce qui fait sens. Par exemple, le Centre Pompidou possède un Freundlich monumental ; Fabrice Hergott m’a demandé l’autre, ainsi les deux sont dans la même ville. J’ai dû lui dire de ralentir, car j’avais besoin de garder de la marchandise. Quand il m’a demandé une série complète de Penck, c’était un peu plus facile pour moi, je l’ai donc laissé choisir. Pour l’essentiel, il a pris ce qui l’intéressait, à l’exception de Baselitz, car je n’ai plus de relations avec lui. Nous avons été de très proches amis et maintenant nous ne nous parlons plus ; je n’ai donc pas voulu faire don de cela. J’ai également glissé quelques indications, comme de penser aussi à des œuvres plus petites, car dans la partie ancienne de la collection il y a beaucoup de petits formats. Bien entendu, deux ou trois fois, j’ai dit non, comme pour le Café de Flore d’Immendorff, car je suis trop proche de cette œuvre.

F.B. : Quelles sont les œuvres que vous trouvez particulièrement importantes ?
M.W. : Je crois par exemple qu’Otto Freundlich est un sculpteur sous-estimé et que certaines de ses pièces sont majeures dans l’histoire de la sculpture du XXe siècle, car elles sont différentes de tout ; cette Composition (1933) est une pièce très importante. Mais aussi la Grande Porte de bois peint (1953) de Gaston Chaissac. Je suis un très grand fan de son travail et j’ai acheté cette œuvre pour moi, en pensant que j’avais besoin de quelque chose d’essentiel de lui. Il y a aussi deux grands Penck peints à Los Angeles qui s’inscrivent magnifiquement dans la collection. Ces tableaux sont décoratifs dans un sens positif.

F.B. : Avez-vous estimé la valeur de la donation ?
M.W. : Nous avons refusé de le faire. Je suis certain que l’administration aura cherché la valeur des œuvres, mais nous avons décidé de ne rien dire, car cela rend les choses plus simples. Qu’est-ce que le prix d’un tableau ? Il ne s’agit pas ici de marchandises venues du marché à la mode, ce sont des objets historiques. Il n’y a pas de Koons, alors pourquoi discuter des prix ?!

« La collection Michael Werner »

Musée d’art moderne de la Ville de Paris, Paris-16e, jusqu’au 3 mars 2013, www.mam.paris.fr

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°651 du 1 novembre 2012, avec le titre suivant : Michael Werner - « Le Musée d’art moderne de la ville de Paris a changé mon attitude »

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