De l’art de philosopher pour dire ou rien dire

L'ŒIL

Le 28 juin 2012 - 461 mots

Quand les artistes (ou leurs éditeurs) arrêteront-ils de solliciter les philosophes pour écrire sur leur travail ? À croire qu’ils pensent que cela donne du poids à leur œuvre, la rend incontournable aux yeux des institutions.

Pourtant, du poids, les œuvres de Marc Couturier n’ont pas besoin de Bertrand Vergely pour en avoir (Bertrand Vergely, Marc Couturier, Le Troisième Jour, Le Promeneur, 46  p., 12,50  €). Il semblerait au contraire que ce soit ce dernier qui ait besoin du peintre pour s’entendre   « philosopher   . Cela commence par ces fadaises  :  «  Tout peintre peint la peinture en même temps qu’il peint  »  et se termine par des vues de l’esprit  :  «  L’Homme en marche vers le jour sans fin.  »  Bertrand Vergely martèle si fortement le texte par ses affirmations qu’on finit par croire en des sortes de vérités, oubliant au passage Marc Couturier pour qui, heureusement, le travail parle seul.  «  Mais peindre veut dire aussi dépeindre, geste qui consiste à faire plus que peindre.  »  Le livre peut se résumer en cette phrase de Vergely  : serre-cri-végétal-folie-sagesse-Dieu-Genèse-trois-arcimboldesque-ensemé-confusion-ténèbres-immanence. Et seule une phrase du texte peut faire écho au travail de Couturier  :  «  Un tel geste demandant que l’on habite son propre cri de vie pour entendre celui de l’artiste.  »  Ce cri de vie dont parle Vergely, Chris Killip et Eugène Atget l’ont mis les premiers en image. Dans son texte (Chris Killip, Arbeit/Work, textes de David Campany & Ute Eskildsen, éd. Folkwand/Steidl, 2012, 38  €), David Campany écrit qu’  « une œuvre hors du commun n’appartient jamais complètement à l’époque qui la voit naître »  . Les photos de Killip (visibles au Bal à Paris jusqu’au 19  août 2012) ainsi que celles d’Eugène Atget (au Musée Carnavalet jusqu’au 29  juillet) parlent aussi vrai qu’au moment de la prise de vue. François Chalais disait  :  «  La mémoire, ce passé au présent »  , citation qui convient aux deux photographes dont les images,  «  ni fraîches dans l’esprit ni solidifiées dans l’histoire…, peuvent encore être mesurées à l’aune de la mémoire vivante et de l’expérience vécue  » . Les écrits de David Campany, au plus près du travail de Chris Killip, livrent au lecteur les clefs pour apprécier le regard extraordinaire du photographe. Et si le parti pour illustrer les photos d’Atget est celui de citer intelligemment Marcel Proust (Atget, Proust, Paris du temps perdu, Hoëbeke, 117  p., 19,90  €), les mots de Campany pourraient tout aussi bien leur convenir  :  «  Les trente ans ou presque qui se sont écoulés… donnent évidemment à ces images un caractère poignant, mais l’intensité de la vision, la profondeur de la compréhension humaine et la technique photographique virtuose étaient aussi exceptionnelles et inattendues à l’époque qu’elles le sont aujourd’hui.  »

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°648 du 1 juillet 2012, avec le titre suivant : De l’art de philosopher pour dire ou rien dire

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