La seconde jeunesse des œuvres tardives des peintres du XXe siècle

Par Roxana Azimi · L'ŒIL

Le 1 juin 2006 - 709 mots

L’histoire de l’art privilégie souvent les premières décennies de création des artistes en éludant leur travail tardif, jugé répétitif. Certaines œuvres ultimes tirent pourtant leur épingle du jeu.

Le marchand suisse Ernst Beyeler a longtemps conservé un grand triptyque tardif de Monet et des papiers découpés de Matisse dont les collectionneurs ne voulaient pas. Grâce à un nouvel éclairage de l’histoire, ces derniers figurent aujourd’hui parmi les fleurons de sa fondation à Riehen.
La raréfaction des œuvres, couplée à l’arrivée sur le marché d’acheteurs fortunés, mais pas toujours affûtés, a conduit les spécialistes à apprécier davantage les créations ultimes des grands maîtres.

Picasso et Monet : c’est avec les vieux pots de peinture…
Les tableaux tardifs de Picasso jouissent aujourd’hui d’un nouveau regard. Ils ont d’ailleurs influencé certains créateurs contemporains. Il n’est pas étonnant que le collectionneur allemand Frieder Burda ait cherché à conforter la légitimité de sa collection d’art allemand des années 1960-1980 en constituant un ensemble de Picasso de la dernière période.
Le marché de l’art ne commence à prendre en considération cette production que depuis deux ans. Les ventes de New York en novembre 2004 donnent le la de l’envolée. Chez Sotheby’s, L’Aubade (1967) et Femme nue assise dans un fauteuil (1965) franchissent allègrement la barre des 5 millions de dollars. Le Mousquetaire à la pipe (1968) décroche même 7,1 millions de dollars chez Christie’s.
De tels tableaux n’auraient guère valu plus de 2 millions de dollars voilà encore cinq ans. Le fort impact visuel de ces œuvres et leur connotation parfois sexuelle ne sont pas étrangers à ces nouveaux scores.
L’intérêt pour les tableaux tardifs de Claude Monet (1840-1926) est plus ancien car cultivé par le postulat selon lequel ces œuvres ouvrent la voie à l’abstraction. L’artiste impressionniste a tiré les sujets de ses trente dernières années presque exclusivement de son jardin de Giverny. Ses formats tendent aussi à s’agrandir. Ses travaux s’appuient beaucoup sur ses souvenirs d’autant plus qu’à partir de 1912 la cataracte réduit notablement sa vue.
Sur ses dix meilleures enchères, huit sont postérieures aux années 1890. Le record revient d’ailleurs à une œuvre tardive, Le Bassin aux nymphéas de 1900, adjugé pour la coquette somme de 19,8 millions de livres sterling (28,6 millions d’euros) en 1998.

Magritte, ses dernières années restent les plus prisées
Les tableaux des années 1950 de Fernand Léger (1881-1955) rencontrent aussi un regain d’intérêt. L’artiste connaît un réveil vers 1949-1950 et se donne à cœur joie dans des compositions grandes et colorées. Il aborde alors une série de sujets sociaux tout en illustrant les loisirs populaires, notamment le cirque. En mai 2005, Les Campeurs (1954) obtient 7,6 millions de dollars chez Sotheby’s.
Les dernières œuvres d’Andy Warhol (1928-1987) marquent à la fois un retour du pictural, mais aussi une ironie grandissante avec les Oxydation Paintings, initiées en 1978 et poursuivies en 1984. Il s’agit de peintures obtenues par l’oxydation de l’urine sur des toiles enduites de cuivre. Les œuvres tardives de Warhol ont défrayé la chronique en février dernier. La Cène de 1986 s’est adjugée pour 2,6 millions de livres sterling chez Christie’s. Dans la même vente, un Dollar Sign de 1981-1982 a quintuplé son estimation avec 2,5 millions de livres sterling. En juin 2003, une œuvre similaire s’était contentée de 341 250 livres sterling chez Christie’s ! La raréfaction des œuvres de la période pop couplée à la folie actuelle du marché expliquent une telle embardée.
Le cas le plus singulier reste celui de René Magritte (1898-1967), dont les amateurs n’apprécient que les tableaux des années 1950-1960, lisses et décoratifs ! Les dix meilleurs prix reviennent d’ailleurs à de telles œuvres, le record de 12,6 millions de dollars étant attribué à L’Empire des Lumières (1954) chez Christie’s en 2002. Bien que son vocabulaire, nourri de calembours visuels, ait pris naissance dans les années 1930, les œuvres de jeunesse sont encore sous-cotées.

Repères

Claude Monet(1840-1926) Considérées comme les prémisses de l’abstraction, l’œuvre tardive de Monet connaît une réévaluation depuis près de dix ans. Pablo Picasso (1881-1973) Le « Minotaure » connaît un sursaut de vigueur à la fin des années 1960 en développant un art aux références très sexuelles. Andy Warhol (1928-1987) La raréfaction des œuvres pop de l’artiste explique notamment l’intérêt des collectionneurs pour les œuvres ultimes de Warhol.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°581 du 1 juin 2006, avec le titre suivant : La seconde jeunesse des œuvres tardives des peintres du XXe siècle

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