Le design

À la vie, à la mort

Par Christian Simenc · L'ŒIL

Le 1 juin 2006 - 944 mots

Le Salon du meuble de Milan est « le » lieu où l’on découvre les tout derniers prototypes de meubles et d’objets qui, le succès aidant, apparaissent sur le marché l’année suivante.

La première et forte impression du cru 2006 est celle de déambuler dans un jardin d’Éden. Il y a en effet des fleurs partout. Non qu’il s’agisse d’un quelconque revival hippie, mais plutôt d’une sorte de flower power d’un nouveau genre.
À la Design Gallery Milano, Andrea Branzi a baptisé sa nouvelle collection : « Hommes et Fleurs ». Tout le mobilier paraît d’ailleurs s’orner peu ou prou de végétaux : la table Rialto Deco (Tord Boontje, Fiam), le fauteuil Antibodi (Patricia Urquiola, Moroso), le lampadaire Bloom (Hella Jongerius, Vitra), le sofa géant voire démesuré Aster Papposus (les frères Campana, Edra)…
Dans ce jardin d’Éden règne néanmoins en maître la figure tutélaire des forêts, l’arbre, représenté sous toutes ses formes : en tuteur pour fils à linge (Casamania), en portemanteau (Rehti), voire comme un tronc débité à terre en guise de sièges – Log de Naoto Fukasawa pour Swedese.

Une arche de Noë dans un jardin d’Éden
Le trio helvète Atelier Oï a, lui, dessiné un jardin imaginaire et magique baptisé Composition pour cordes. Cette très belle installation est constituée d’assises-carillons faites de cordes de bateau, de tiges d’aluminium et de lumière. De son côté, le collectif batave Droog Design a, lui, tout bonnement intitulé sa présentation Garden of Delight (Jardin des délices). On retient, entre autres, le parasol Shadylace de Chris Kabel, avec ses broderies de frondaisons qui donnent l’impression d’être littéralement assis sous un arbre, la balançoire Swing de Marcel Wanders, dont les cordes laissent libre cours au lierre pour s’y accrocher, ou mieux, la Nest House de Martin Ruiz de Azùa et Gerard Moliné, sorte de cloche faite de branchages et de feuilles dans laquelle un être humain peut aisément se dissimuler.
Ne manque plus donc, au milieu de toute cette nature envahissante, que quelques paysages de rochers, à l’instar de Rock, ingénieux système de modules de cartons recouverts de textiles multicolores conçus par Ronan et Erwan Bouroullec pour la firme suisse Vitra et, bien sûr, des animaux.
Pas de panique, les animaux sont bien présents à l’appel. Des espèces les plus familières telles une lampe-cheval, une lampe-lapin et une table-cochon, la collection Animal Thing du quatuor suédois Front chez Moooi, des papillons, ou table Butterfly d’Alex Taylor pour Zanotta… Mais aussi des meutes de crocodiles : l’assise Kaiman Jacarè des Campana chez Edra, jusqu’aux bestioles extraordinaires, sinon inquiétantes, comme ces petits sièges-monstres pour enfants Mico du duo madrilène El Ultimo Grito.

Quand le design se penche sur le cycle de la vie
La seconde tendance majeure de cette édition 2006 est cette réflexion inhabituelle que semblent mener certains designers sur le grand cycle de la vie. Peut-être est-ce pour eux une manière d’exorciser certaines angoisses de notre époque. Leurs recherches, en tout cas, explorent ce cycle du début à la fin. À une extrémité donc, la naissance, avec ces étranges berceaux en polycarbonate translucide imaginés par la Slovène Nika Zupanc pour une Nursing Room originale. À l’autre extrémité, la mort.
Entre les deux s’étale un déluge de catastrophes : virus, épidémie, maladie… La Néerlandaise Pieke Bergmans a intitulé son superbe travail sur le verre soufflé Crystal Virus. Il s’agit de toute une série de bulbes qu’elle a formés à même une échelle, une chaise ou une table de bois. Rogier Corbeau, lui, s’est carrément inspiré du graphisme du H5N1, autrement dit du virus de la grippe aviaire, pour dessiner le motif de son papier peint baptisé Bird Influenza. La mort rôde donc immanquablement, mais jamais de manière sinistre ou indécente.
Présentée dans l’enceinte de la Faculté théologique de l’Italie septentrionale, l’exposition « Post Mortem » des étudiants de la Design Academy d’Eindhoven évoque, ainsi, justement les cérémonials autour de la mort et des funérailles, en proposant de nouveaux rituels, objets et accessoires. Hiko Uemura a ainsi imaginé des parures de deuil, et Merel van Tellingen une urne à la forme insolite. Elle ressemble à une craie, de celle que l’on utilise pour écrire sur les tableaux noirs, qui aurait été agrandie outre mesure.
Si, au stade ultime de la mort, ne subsiste que la carcasse, les exemples sont légion. Le sofa Dino de l’Italienne Rossella Ongaretta (Central Unit Design) ressemble à la colonne vertébrale d’un gros animal préhistorique. Et le mobilier Perished que le duo Studio Job a imaginé pour la firme Dilmos est, lui, truffé de squelettes d’animaux en tout genre.
Chez Meritalia enfin, Massimiliano Adami a conçu un meuble de rangement baptisé Fossile. Le dessin des étagères reprend la silhouette d’objets de la vie quotidienne, comme une bouteille d’eau ou un poste de télévision. Se superposent ainsi des formes évidées, vestiges en creux d’une société post-industrielle qui aurait fait le vide après des années de consumérisme à outrance. On ne sait, pour l’heure, s’il s’agit d’un mobilier prémonitoire… ou d’un vœu pieux.

Repères

Salon de Milan, l’incontournable Le Salon du meuble se tient chaque année dans la capitale Lombarde depuis 45 ans. Salon de Paris, le traditionnel Chaque année en janvier, le Salon parisien propose une large vitrine du marché international du meuble et de l’aménagement de la maison. Plus de 40 pays et plus de 1000 entreprises y présentent leurs créations. À Londres un salon so british Décoration, ameublement, luminaire, architecture d’intérieur… le design international se met à l’heure britannique chaque automne. D. Day, le b.a.-ba du design à Paris Si les salons présentent la création, le « Designer’s Day » en analyse le contexte. À voir au Centre Pompidou, à Paris, du 29 juin au 17 octobre 2006.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°581 du 1 juin 2006, avec le titre suivant : Le design

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