Le choc des mots sous le poids des photos

L'ŒIL

Le 1 juin 2006 - 447 mots

Peu banal pour une expo photo : les mots sont plus visibles que les images ! Des livres géants, ouverts, des murs recouverts de lettres. Pourquoi tant d’écrit ? « Une photo vaut mille mots », dit-on… Soit, mais sans les livres et les revues, nombre de photographes ne seraient pas « exposés ». Leurs clichés ne voyageraient pas.
En cette année de la francophonie, l’exposition « En français sous l’image » éclaire ainsi le rôle des parutions francophones : révéler des auteurs à part entière, les photographes. Leurs travaux et textes ont été sélectionnés par N’Goné Fall (de la Revue Noire) et Jean-Luc Monterosso, le patron de la Maison euro­­­péenne de la photographie, parmi les 20 000 clichés de la collection de la MEP.
À l’entrée : la photo d’une piscine. Abandonnée, feuillue. C’est ici qu’en 1950, Françoise, huit ans, fut enlevée par le Viêt-minh. Huit mois de cauchemar. Cinquante ans après, Françoise Huguier revient sur les lieux du drame, publie un livre, bouleversant, chez Actes Sud. « Si j’ai photographié en double ces vieilles personnes que j’ai connues enfant, c’est à cause de mon côté prédateur, de mon envie d’arracher les endroits et de les garder avec moi. »
De l’Asie on part en Afrique avec Mohamed Camara, le cadet né en 1983 au Mali et déjà une expo à la Tate, en Bulgarie socialiste (incroyable reportage d’un inconnu, Jecko Vassilev, publié dans un unique livre), à Beyrouth (cité-cicatrice, trouée de partout, vue par Fouad Elkoury).
Le suisse Michael von Graffenried signe le reportage le plus poignant.
« Je suis entré en Algérie, en 1991, un appareil de brocante sur le ventre, j’ai volé des photos. J’ai balayé le réel alors que des dizaines de journalistes étaient assassinés. Je ne savais rien de l’Algérie, je n’étais pas français… »
Exposées en 2000 à Alger (sur 1 000 m2 !), à la demande de la veuve de Boudiaf, le président assassiné en 1992, quatre de ces photos figurent ici près d’un film dont le fil rouge est le livre de Michael. Celui-ci, humble et curieux comme dans la vie, interroge les Algériens sous l’œil de la caméra : « Je m’appelle Michael, je viens de Suisse », et en montrant le livre. « Elle habite ici ? »
« Elle » s’appelle Wahiba, elle a vingt ans. Sa famille a été massacrée, son grand-père lui est tombé dessus, ensanglanté. Les terroristes n’ont pas vu Wahiba qui dit à Michael : « Ma vie n’est plus une vie. » Le poids des mots…

« En français sous l’image », espace EDF Électra, 6 rue Récamier, Paris VIIe, tél. 01 53 63 23 45, jusqu’au 30 juillet 2006.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°581 du 1 juin 2006, avec le titre suivant : Le choc des mots sous le poids des photos

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