Marc-Olivier Wahler : "La vision-fenêtre de l’art contemporain est terminée"

Par Bénédicte Ramade · L'ŒIL

Le 1 septembre 2006 - 966 mots

Le 15 septembre, Marc-Olivier Wahler, le nouveau directeur du Palais de Tokyo, révélera sa programmation. Il nous en dévoile une partie, assurément prospective et peu conventionnelle.

Après avoir cofondé en 1994 le Centre d’art de Neuchâtel, et assuré sa direction artistique jusqu’en 2000, Marc-Olivier Wahler a dirigé le Swiss Institute-contemporary Art à New York jusqu’en 2006. Il a pris les rênes du Palais de Tokyo en février dernier.

Quel est le programme du nouveau Palais de Tokyo ?
Marc-Olivier Wahler : L’ouverture sera une sorte de prologue, car le programme se conçoit dans la durée. J’essaye d’épargner au visiteur l’impression d’avoir une exposition qui s’ajoute à une autre, qu’il perde la cohérence de la vision d’ensemble. Ce que j’essaye de faire, c’est de monter un programme d’expositions sur une année.

Comment ce programme annuel va-t-il prendre forme dans les expositions que vous projetez ?
L’exposition n’est surtout pas un mode d’illustration d’un thème. Pour cela, on peut très bien publier un catalogue ou un livre. Je conçois davantage les expositions comme vecteur d’énergie, que comme vecteur esthétique ou théorique.

Quelle est la proposition de « Cinq milliards d’années », l’exposition inaugurale de ce programme ?
Je prends le prétexte qu’il y a cinq milliards d’années, il s’est passé une sorte de chambardement cosmique. Des astrophysiciens ont découvert qu’à un moment donné, l’énergie noire avait pris le dessus dans l’univers. L’expansion de ce dernier existait déjà depuis le big bang, mais elle avait tendance à décélérer. Avec ce choc, cela s’est inversé et on est passé à une accélération constante. Depuis, il n’y a plus aucun espoir d’avoir un quelconque point fixe dans l’univers.
Aujourd’hui dans l’art, on est toujours tenté de se référer au point fixe. On est encore dans cette logique du xixe siècle de la vision-fenêtre. On est  nostalgique de cette période, c’est pour cela qu’on aime la télévision ou l’ordinateur, qui permettent cette vision. En art contemporain – c’est ce que je défends –, cette vision-fenêtre est terminée. C’est pourquoi il me semble aussi important que dans notre société et notre culture, les expositions mettent en avant cette hygiène de l’esprit qu’est ce glissement perpétuel des œuvres entre elles, de l’espace par rapport aux œuvres et des interprétations.

Cette exposition inaugurale risque donc d’être très déstabilisante…
Je l’espère, mais aussi hyper spectaculaire et hyper furtive. On va travailler constamment ce paradoxe qui, pour moi, est celui de l’art contemporain : une bonne œuvre oscille toujours entre le furtif, c’est-à-dire l’absence du visible, et le photogénique, l’excès de visible.
À partir du point le plus éloigné de l’entrée, ce sera de l’ordre du virtuel, de l’immatériel. Plus on va s’approcher de la sortie, plus on sera dans un principe de réalité, plus on va tester l’élasticité de l’art pour essayer de sortir de l’art et arriver dans la réalité. On va constamment osciller entre des œuvres très sèches et très dures et des œuvres qui, en apparence, peuvent avoir trait au divertissement.

Comment comptez-vous mettre cette élasticité de l’art à l’épreuve ?
Il y aura par exemple un concours international de sculpture à la tronçonneuse, auquel vont participer une vingtaine de bûcherons du monde entier, avec des figures libres le soir de l’ouverture. Le premier prix sera une semaine d’exposition pour le bûcheron au Palais de Tokyo. Un musicien va sampler en direct les sons produits et va les mixer avec des samples de films (Massacre à la tronçonneuse, etc.). Puis, il les reproduira en temps réel par surimposition.
Un véritable travail artistique sera au sein de cette performance. On encourage les artistes à travailler avec des corps de métiers différents. Pour moi, il n’y a aucune différence entre un bûcheron qui fait sa sculpture à la tronçonneuse et un artiste comme Jonathan Monk. Cela participe d’une autre interprétation, d’un autre univers, mais l’obsession qui active ce genre de travail est la même.

Êtes-vous conscient du risque de la dimension spectaculaire ?
Je ne vois pas où est le risque étant donné que je ne fais pas de différence. Les œuvres existant pour leur seule spectacularité ne sont effectivement pas intéressantes. En revanche, le spectaculaire pour mieux montrer l’importance du furtif, oui. Le concours de sculpture à la tronçonneuse en tant que tel n’est pas intéressant. Mais il l’est dès lors qu’on teste l’élasticité de l’art et du réel. On regarde quel est le point de rupture. L’événement m’intéresse dans un contexte.

Qu’en est-il du projet de confier la programmation à un artiste ?
Cela va se faire une fois par an. En 2007, Ugo Rondinone fera une exposition incroyable, à contre-courant. Ce sera une exposition à caractère historique, avec des artistes des années 1960 à nos jours. Elle aura un cadre historique très précis, mais on pourra la comprendre comme la cartographie du cerveau d’Ugo Rondinone et pointer toutes ses influences dans son travail.

Pourquoi faire des artistes des commissaires d’exposition ?
Les artistes peuvent se permettre en tant que curateurs, des choses qu’un commissaire d’exposition standard ne se permettrait jamais. Premièrement, ils ont des influences dans leur travail qui sont uniques. Deuxièmement, ils sont prêts à reformater les standards des expositions de manière assez radicale.
En 2008, Jeremy Deller ne travaillera presque pas avec des artistes puisqu’il va travailler sur l’idée de collection, d’archivage, de l’idée de la culture populaire. On devrait avoir une proposition radicale.

Autour de l’exposition

Informations pratiques « Cinq milliards d’années » et « Une seconde, une année » se tiennent du 14 septembre au 31 décembre 2006 au Palais de Tokyo. À partir du 14 septembre, le site propose également deux expositions personnelles de Renaud Auguste-Dormeuil et Zilvinas Kempinas. Ouvert tous les jours, sauf le lundi, de midi à minuit. Tarifs : 6 € / 4,50 €. Palais de Tokyo, 13 av. du Président Wilson, Paris XVIe, tél. 01 47 23 54 01, www.palaisdetokyo.com

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°583 du 1 septembre 2006, avec le titre suivant : Marc-Olivier Wahler : "La vision-fenêtre de l’art contemporain est terminée"

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