Tabaimo, l'envers du Japon

Par Bénédicte Ramade · L'ŒIL

Le 1 décembre 2006 - 387 mots

Dépasser l’imagerie sucrée des dessins animés japonais, les images d’Épinal entourant la culture et la société japonaises. Avec les films d’animation de la jeune Japonaise Tabaimo, nul doute que le masque va tomber brutalement. On lit souvent sur son travail qu’il donne à voir un visage pessimiste de la vie au Japon, dépressif et violent. De fait, on devine chez cette artiste de trente et un ans, l’envie de révéler un envers du décor déjà bien sombre.
Loin de plonger dans une étude sociologique du Japon, la visite d’une exposition de Tabaimo fait entrer de plain-pied dans un monde qui se dérègle. Un voyage en train de banlieue, projeté sur six grands écrans, montre ce microcosme quotidien jusqu’au déraillement. Un accident de la conscience qui, au fil du trait de crayon sans fioriture et du rythme sans virtuosité des images, fait apparaître un enfant pendu à une poignée, une écolière transformée en sushi et des bras coupés en tas.
L’esthétique rappelle souvent Hokusai et le grand art de l’estampe. Un graphisme simple qui ne travaille pas les surfaces pailletées que peut affectionner un Takashi Murakami, superstar de l’art japonais. Tabaimo, de son vrai nom Ayako Tabata, n’affectionne pas les complexités de l’animation numérique (elle tourne en six images par seconde au lieu de vingt-quatre) et ne goûte pas non plus les fantasmagories des longs métrages Princesse Mononoke ou Mon voisin Totoro.
Son univers, s’il est plastiquement très japonais avec de nombreuses références à l’histoire culturelle de son pays d’origine, rappelle puissamment les glissements du surréalisme. Cette sorte d’emballement du réel, de divagation réaliste qui amène une cuisinière à découper un salarié travaillant dans son frigidaire.
Ses histoires, elle les nourrit grâce à la télévision et la lecture de faits divers dans la presse. D’une manière faussement naïve mais vraiment cruelle, elle installe ses scènes de la vie ordinaire dans un train, une rue ou un bain public. Et sans grand discours, elle amène le spectateur à « visualiser » un Japon suicidaire et dépressif. Pour y parvenir, elle nous immerge le plus souvent dans des dispositifs complexes et envahissants qui font apparaître les dessins à taille quasi humaine. Une approche empathique pour mieux nous saisir… d’effroi.

« Tabaimo », fondation Cartier pour l’art contemporain, 261 bd Raspail, Paris XIVe, tél. 01 42 18 56 50, jusqu’au 4 février 2007.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°586 du 1 décembre 2006, avec le titre suivant : Tabaimo, l'envers du Japon

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