Sexe, mort, art...

Les « Bad boys » de la scène anglaise

Par Manou Farine · L'ŒIL

Le 6 août 2007 - 526 mots

Une iconographie gore, des emprunts à l’histoire et à l’histoire de l’art, quelques tacles envers les puissances qui gouvernent le monde… Ainsi frappe l’univers visuel de Jake et Dinos Chapman.

En tête de liste des emprunts, le maître Goya (1746-1828), avec lequel le duo semble maintenir un dialogue constant. Goya célébré et bousculé. En 1993, les frères, quasi débutants, exposent leur version des Disasters of War.
L’emprunt fait à la célèbre série de gravures du peintre espagnol fait office de socle sanglant à une adaptation de chair et de sang. Les quatre-vingt-trois scènes exécutées à l’occasion de l’invasion napoléonienne en Espagne en 1808 sont reprises en trois dimensions. Rassemblés en une allégorie épique, les tableaux miniaturisés et isolés sur de petites bases oscillent entre plateau ludique de petits soldats de plomb et insoutenable représentation des atrocités de la guerre.
Le dialogue avec Goya se prolonge quelque douze années plus loin, regagnant le principe du portfolio avec Disasters of War IV, une vertigineuse série de planches en couleur. Clones, boyaux, permutations d’organes, squelettes décharnés, signes et insignes nazis, clichés sexuels, monde de l’enfance, petites déviances et grandes perversités humaines, les thématiques inavouables des frères Chapman y sont listées.

Un phallus à la place du nez
Au milieu des années 1990, des mannequins d’enfants mutants permutent leurs organes génitaux. Une fillette en exhibe plus qu’il n’en faut, une autre aura un sexe greffé au niveau du nez et un anus en lieu et place de la bouche. « Nous cherchons à récupérer toutes les formes de terrorisme, justifient-ils, afin d’offrir au spectateur le plaisir d’un certain type d’horreur, d’un certain type de convulsion bourgeoise ». Message reçu.
En 1997, lors de la célèbre exposition « Sensation » à la Royal Academy of Art à Londres, les groupes de corps enfantins et nus fusionnant par le crâne, le buste ou le cou font scandale et assurent
désormais aux frères Chapman une manne médiatique. La fin des années 1990 voit se préciser ces anatomies troublantes et ces tableaux de genre mis en scène dans leur horreur et leur flux les plus accomplis.

Parodie de fétiches en bois
La série Hell (1999-2000) installait neuf de ces maquettes sous vitrine suivant le tracé d’une croix gammée, mettant minutieusement en scène des figurines nazies – cinq mille personnages – sans distinction de bourreaux ou de victimes pour une représentation d’une humanité réalisée dans la destruction. Viennent d’autres paysages infernaux et suivront des arbres à supplice sculptés en bronze, grouillant de vermines, de chairs et de vautour à l’œuvre.
Il pourrait bien pointer l’ennui de l’excès. Mais Dinos et Jake Chapman ont plus d’un tour dans leur vilain sac et prolongent leur affaire avec leur récente Chapman Family Collection, décente parodie de fétiches en bois exposés à la manière d’un musée ethnographique, mais gravés de signes évoquant à nouveau McDonald’s. Peut-être bien assagis.

Autour de l’exposition

Informations pratiques « Jake et Dinos Chapman, Bad Art for bad People » jusqu’au 4 mars 2007. Tate Liverpool, Albert Dock, Liverpool. Ouvert tous les jours sauf le lundi de 10 h à 17 h 50. Tarifs : 6 et 4,5 €. Tél. 00 44 01 517 027 400, www.tate.org.uk

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°588 du 1 février 2007, avec le titre suivant : Sexe, mort, art...

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