Jean-François Jarrige : "L'émotion ressentie par les archéologues"

Par Bérénice Geoffroy-Schneiter · L'ŒIL

Le 6 août 2007 - 898 mots

Jean-François Jarrige, directeur du Musée national des arts asiatiques Guimet, revient sur les conditions de l’organisation de l’exposition, en louant la bonne coopération entre les deux pays.

Par son contexte politique et le caractère exceptionnel des pièces qui y sont présentées, l’exposition du musée Guimet est un petit « miracle » en soi. Quelle en est la genèse ?
Jean-François Jarrige : Au lendemain de la destruction des bouddhas de Bamiyan, nous avions décidé, par solidarité avec le peuple afghan, de concevoir avec le concours de Louis Monreal, alors directeur de la fondation Caixa de Barcelone, une exposition rendant hommage au patrimoine millénaire de ce pays. C’était une façon de protester contre les forces d’obscurantisme qui s’étaient abattues sur cette civilisation de contacts et d’échanges, au carrefour des grands empires de l’Antiquité.
En 2004, ce geste de protestation est devenu un geste d’espoir. Lorsque nous avons appris que de nombreuses œuvres d’art du musée de Kaboul avaient été sauvées, cachées dans les coffres de la banque centrale du palais présidentiel, l’idée d’une nouvelle exposition a très vite germé. Sous les auspices bienveillants des présidents Karzai et Chirac, le projet était de mettre en lumière quatre découvertes archéologiques majeures, et d’affirmer par la même occasion les liens profonds qui unissent la France et l’Afghanistan sur le plan de la coopération scientifique…

Les difficultés pour monter une telle exposition ont dû être nombreuses ?
Les difficultés rencontrées pour organiser cette exposition n’ont en effet pas été des moindres. En dépit du soutien du roi (le « père de la nation »), le parlement s’est opposé au départ de l’exposition. En outre, l’absence d’un aéroport obéissant aux conditions de sécurité a nécessité le concours de l’armée française pour acheminer les pièces.
Les dernières caisses en provenance de Kaboul sont ainsi arrivées avec plusieurs semaines de retard, le 16 octobre dernier, d’où la décision de repousser la publication du catalogue au mois
de janvier ! Enfin, il a fallu restaurer ou dérestaurer de nombreuses pièces, dont certaines étaient arrivées dans un état très fragmentaire…

Pouvez-vous rappeler le rôle historique de la Dafa et du musée Guimet dans la découverte et la conservation du patrimoine afghan ?
Créée en 1922, la Dafa (Délégation archéologique française en Afghanistan) eut, en effet, comme insignes directeurs, Alfred Foucher, indianiste de renom, puis Joseph Hackin, conservateur au musée Guimet, dont les fructueuses campagnes ont mis notamment au jour le fabuleux trésor de Begram.
Grâce à la convention signée entre nos deux pays, un partage équitable des trouvailles résultant des fouilles a ainsi permis de faire entrer dans nos collections des pièces exceptionnelles, toujours présentées dans nos salles. C’est donc particulièrement émouvant de les voir réunies avec leurs « consœurs » du musée de Kaboul, le temps de cette exposition… De même, la présentation des fouilles d’Aï Khanoum, dirigées par le professeur Paul Bernard jusqu’en 1979, rappelle le rôle particulièrement important de la Dafa dans la découverte et l’étude de cette ville grecque, aux avant-postes du monde hellénisé…
Mais les archéologues afghans et russes ont effectué aussi des trouvailles exceptionnelles, comme ces fameuses tombes de Tillia Tepe, dont les objets avaient été vus pour la dernière fois en 1989 par une poignée de dignitaires. Les spécialistes, eux-mêmes, ne travaillaient que sur les reproductions du livre publié par Viktor Sarianidi !
On comprend, dès lors, l’émotion ressentie par les archéologues français à la vue de ces objets, que certains découvrent « en direct », pour la première fois.

Sur quels points vont désormais porter les efforts des missions françaises sur le sol afghan ?
Le musée Guimet vient de conduire une importante campagne de restauration d’œuvres en vue de leur réintégration dans le musée de Kaboul. Le public afghan peut ainsi admirer à nouveau la statue de l’empereur Kanishka et celle du bodhisattva de Tepe Maradjan.
Mais les Français retrouvent surtout le chemin de l’Afghanistan grâce à la reprise des activités de la Dafa, rouverte à Kaboul depuis 2003. Sous la direction de Roland Benseval, des fouilles sont conduites à Balkh et à Tepe Zargaran, près de Mazar-i-Sharif.
À Bamiyan, une autre mission explore les vestiges de monastères bouddhiques au pied de la célèbre falaise, en collaboration avec le professeur Z. Tarzi et l’Institut du patrimoine afghan.

Vous qui avez effectué de nombreux voyages en Afghanistan, comment voyez-vous l’avenir de ce pays ? Êtes-vous pessimiste ou optimiste ?
Il y a trois ans, les champs étaient encore vides… Aujourd’hui, des gens y travaillent, font des récoltes. Les maisons, elles aussi, sont reconstruites. Il existe encore, hélas, des poches de danger dans les zones frontières.
À cet égard, le musée de Kaboul, qui se trouve à la périphérie, ne répond pas à des normes de sécurité parfaites. C’est pourquoi l’on envisage la construction d’un nouveau bâtiment en plein centre-ville. Cela ne l’empêche pourtant pas de recevoir de nombreux visiteurs, dont des classes de filles ! Il s’y tient actuellement une exposition d’objets et de sculptures en bois du Kafiristan, fort belle. Mais l’on estime que le musée de Kaboul a perdu 70 % environ de ses collections. Un dommage irréparable…

Autour de l’exposition

Informations pratiques « Afghanistan, les trésors retrouvés » jusqu’au 30 avril 2007. Musée national des arts asiatiques Guimet, 6, place d’Iéna, Paris XVIe. Métro Iéna /Trocadéro. Ouvert tous les jours sauf le mardi, de 10 h à 18 h. Tarifs : 6 et 4 €. Tél. 01 56 52 53 00, www.museeguimet.fr

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°588 du 1 février 2007, avec le titre suivant : Jean-François Jarrige : "L'émotion ressentie par les archéologues"

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