L’identité hispanique

Du Greco à Picasso

Par Sophie Flouquet · L'ŒIL

Le 6 août 2007 - 628 mots

Introduite et appréciée tardivement en France (à partir du xixe siècle), l’école espagnole ne bénéficie pas encore ici du même enthousiasme que les écoles italienne et flamande. C’est à New York qu’il faut aller pour prendre la mesure de la forte identité de la peinture hispanique. L’accrochage thématique et non pas chronologique du Guggenheim témoigne de la permanence au cours des siècles d’une manière âpre, réaliste et très économe de ses moyens. Une peinture très marquée par la religiosité, où même les natures mortes sont emplies de spiritualité.

La spirale de Frank Lloyd Wright prête ses cimaises à une exposition plutôt rare en ces lieux. Près de cent quarante tableaux ont ainsi été réunis afin de mettre en lumière cinq siècles de peinture espagnole.

Un accrochage ambitieux
Des prêts provenant du monde entier, dont plusieurs du musée du Prado, à Madrid, permettent ainsi de dresser un panorama exceptionnel de l’art du xvie au xxe siècle, confrontant les tonalités acides de Domenikos Theotokopoulos, dit le Greco, au cubisme de Pablo Picasso, la religiosité de Francisco de Zurbarán aux élégantes de Francisco de Goya y Lucientes.

Car l’originalité de l’événement est d’avoir délibérément rompu avec le parti d’un accrochage chronologique au profit d’une présentation thématique qui se nourrit de ces confrontations parfois inédites. Maîtres anciens et modernes se côtoient donc en quinze sections regroupant la quintessence de la peinture espagnole, abordant les sujets du bodegón – la nature morte espagnole –, du portrait dans ces multiples acceptions, de la religion, de la scène de genre ou du paysage.

Au-delà de ces confrontations stimulantes pour l’œil, l’exposition propose au visiteur de s’interroger sur un point : existe-t-il, dans cette peinture, un caractère proprement hispanique qui tisserait un fil rouge entre le Siècle d’or (xviie siècle) et les artistes modernes du xxe siècle ?

Grands et « petits » maîtres
Découverte tardivement du fait de l’isolement relatif de la péninsule, la peinture espagnole a longtemps fait l’objet d’un malentendu. Selon celui-ci, l’Espagne, terre d’influences, comme tant d’autres, de l’art italien et flamand, convertie rapidement au caravagisme mais aussi au naturalisme septentrional, n’aurait pas su produire de véritable école et n’aurait permis l’émergence que de rares talents : le Greco, Velázquez puis Goya. De nombreux artistes ibériques ont ainsi longtemps été considérés, à tort, comme issus de l’école italienne. Et si, au xixe siècle, les romantiques s’enthousiasment au cours de leurs voyages en Espagne pour la triade des grands noms, ils ne savent pas davantage déceler l’originalité de quelques artistes n’ayant pas eu la même fortune.
Depuis, les redécouvertes ont pourtant été nombreuses. Ainsi les natures mortes immobiles magnifiant les objets les plus humbles de Sánchez Cotán, les austères portraits de moines de Zurbarán, exaltant l’esprit de la Contre-Réforme, ou encore les scènes quotidiennes triviales de Murillo. Plus récemment, la peinture espagnole a été l’objet d’une seconde incompréhension : les pionniers de la peinture moderne – au premier rang desquels Picasso – ont été considérés comme des exilés en réaction à la culture traditionnelle espagnole, et donc à son histoire picturale.
C’est donc pour dissiper ces malentendus que Carmen Gimenez et Francisco Calvo Serraller, les deux commissaires de cette exposition au Guggenheim de New York, ont bâti cette confrontation entre anciens et modernes. La filiation existante y apparaît ainsi plus qu’évidente, prouvant, s’il était besoin, que les plus grandes révolutions créatives ne sont pas forcément synonymes de rupture totale avec l’histoire.

Repères

1541-1614 Le Greco (Domenikos Theotokopoulos, dit)
1553-1608 Juan pantoja de la Cruz
1560-1627 Juan Sánchez Cotán
1591-1652 José de Ribera
1596-1631 Juan Van der Hamen
1598-1664 Francisco de Zurbarán
1599-1660 Diego Velázquez
1611-1678 Antonio de Pereda
1617-1682 Bartolomé Esteban Murillo
1716-1780 Luis Meléndez
1746-1828 Francisco de Goya y Lucientes
1881-1973 Pablo Picasso
1887-1927 Juan Gris
1893-1983 Juan Miró
1904-1989 Salvador Dalí­

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°588 du 1 février 2007, avec le titre suivant : L’identité hispanique

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