Le Cercle des XX, carrefour du renouveau

Par Colin Cyvoct · L'ŒIL

Le 2 août 2007 - 937 mots

En rupture avec le Salon officiel, le Cercle des XX a été un foyer de création et de rencontre. Il a permis à Bruxelles, jeune capitale d’un royaume né en 1830, de participer au renouveau des arts.

Un véritable vent de révolte souffle dans les milieux artistiques et intellectuels belges au début des années 1880. Les tensions sociales sont alors vives dans le royaume. L’économie florissante, due à une industrialisation rapide, n’empêche pas les inégalités de s’accroître. De nombreux artistes aspirent à une peinture en phase avec la réalité contemporaine. Ils ne veulent plus exalter un passé national par des toiles historiques destinées aux édifices publics.

« Qu’ils exposent chez eux ! » s’exclame un membre du jury
Le réalisme de Courbet (1819-1877) a marqué les esprits. Son tableau Les Casseurs de pierre, exposé à Bruxelles en 1851, avait heurté le «  bon goût » des tenants de la tradition. L’essor du réalisme favorise le développement d’une culture avant-gardiste. Un réseau d’ateliers libres, de revues modernistes et de cercles progressistes irrigue la scène artistique bruxelloise.
Mais les tensions s’exacerbent entre tradition et modernité. La crise éclate en 1883. Les envois les plus audacieux sont refusés au Salon de Bruxelles. Un membre du jury officiel, plein de morgue, s’exclame : « Qu’ils exposent chez eux ! » Le prenant au mot, des artistes décident de s’unir pour défendre la liberté de leur art : ils créent le « Cercle des XX », prenant exemple sur le Salon des Refusés ouvert à Paris en 1863.
Ils décident de constituer un noyau fixe de vingt artistes, d’où le nom de l’association. Le principe est clair : pas de hiérarchie entre artistes, pas d’école. L’avocat et mécène Octave Maus, devenu secrétaire du Cercle, définit clairement le projet : « Il s’agit en réalité d’une grande levée de boucliers contre tout ce qui est académique, poncifs, perruques. C’est de l’art fier et indépendant qu’on veut faire et comme il s’agit de bousculer et de batailler, j’en suis. Nous proposons de tout casser pour remettre notre pauvre bourgeois de pays à la place qu’il devrait occuper. »
Le Cercle des XX est beaucoup plus qu’un groupe d’artistes décidés à exposer ensemble. Chaque salon devient un véritable événement ouvert à tous les domaines de la culture. Paul Verlaine, Stéphane Mallarmé ou Villiers de l’Isle-Adam viennent faire des lectures ou des conférences. Des concerts de César Franck, Gabriel Fauré ou Tchaïkovski accueillent un public curieux de modernité. Les XX récusent toute chapelle. Ils accueillent chaque année à Bruxelles des artistes venus de tous les pays et de tous les horizons esthétiques.

« Avant donc que d’exposer, apprenez à peindre »
Les deux premiers Salons de 1884 et 1885 sont encore marqués par l’impressionnisme. Invités, Rodin (1840-1917) et Whistler (1834-1903) attirent particulièrement l’attention du public belge.  Claude Monet (1840-1926) et Auguste Renoir (1841-1919) exposent en 1886, Camille Pissarro (1830-1903) et Berthe Morisot (1841-1895) l’année suivante.
Imaginons la stupéfaction du public et des artistes devant les toiles des pères de l’impressionnisme. La réaction de la presse conservatrice est peu nuancée : elle parle de groupe « ruisselant d’inouïsme », de « monstres appelés vingtisme », sans oublier le devenu traditionnel « avant donc que d’exposer, apprenez à peindre ». 1887 est également l’année où Georges Seurat (1859-1891) expose Un Dimanche à la Grande Jatte.Cette toile crée un choc. Elle remet en question les conceptions picturales de beaucoup de peintres et déclenche à elle seule le mouvement pointillisme belge.

À quelques kilomètres de l’avant-garde parisienne
Durant l’été, Van Rysselberghe se rend à Paris et noue des contacts pour les prochains salons. Il rencontre Henri de Toulouse-Lautrec (1864-1901), un « petit bas du cul qui a du talent », invité à
exposer à Bruxelles l’année suivante.
1889 est un excellent millésime. Ensor présente une incroyable toile considérée comme son manifeste : L’Entrée du Christ à Bruxelles en 1889. Quant à Paul Gauguin (1848-1903), chantre des splendeurs de la couleur pure, il expose douze tableaux dont La Vision après le sermon.
L’année suivante, deux peintres, alors bien peu connus en dehors de quelques cercles confidentiels, sont invités par les Vingtistes : Paul Cézanne (1839-1906) et Vincent Van Gogh (1853-1890), qui fait parvenir six œuvres dont deux versions des Tournesols. Anna Boch, peintre du Cercle des XX, achète Les  Vignes rouges, la seule toile vendue du vivant de Van Gogh pour la somme de quatre cents francs, soit l’équivalent de soixante euros. L’année suivante, les Vingt organisent la première rétrospective de Van Gogh, moins de sept mois après son suicide.
Les trois dernières années d’existence des XX, le symbolisme et les arts décoratifs suscitent un intérêt croissant. Le dernier Salon se tient en 1893. Des artistes pensent qu’il est temps de mettre fin à cette extraordinaire aventure, avant qu’elle ne devienne sclérosée ou routinière. Une majorité vote la dissolution du Cercle des XX.
Durant ces dix dernières années, le Cercle des XX a fait de Bruxelles la caisse de résonance des révolutions parisiennes et le carrefour des modernités.

Repères

1833 Naissance de Félicien Rops à Namur. 1851 Courbet exporte le réalisme à Bruxelles, encore fortement dominée par la tradition académique. 1860 James Ensor naît à Ostende. 1883 Les tenants d’un art « indépendant et combatif » fondent le Cercle des XX. Ils créent un salon des refusés. 1884-1887 Le salon des XX accueille les chefs de file de l’impressionnisme français : Monet, Renoir, Pissarro… 1887 Invité au salon, Seurat convertitGeorges Lemmen, Henry Van de Velde et Théodore de Rysselberghe au pointillisme. 1893 Les « Vingtistes » votent la dissolution du groupe, remplacé la même année par l’Association de la libre esthétique

Autour de l’exposition

Informations pratiques « La Belgique dévoilée, de l’impressionnisme à l’expressionnisme », du 25 janvier au 28 mai 2007. Fondation de l’Hermitage, 2, route du Signal, Lausanne. Ouvert du mardi au dimanche de 10 h à 18 h, le jeudi jusqu’à 21 h. Tarifs : 10 € et 5 €. Tél. 00 41 (0) 213 205 071.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°589 du 1 mars 2007, avec le titre suivant : Le Cercle des XX, carrefour du renouveau

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