Jules Pascin

La vie sinon rien

Par Colin Lemoine · L'ŒIL

Le 2 août 2007 - 748 mots

Marginal, Jules Pascin passa sa vie à créer. Vienne, Paris ou New York portent l’empreinte de ce noceur impétueux qui fit des femmes un sujet passionné et passionnant.

Être artiste revient souvent à se faire un nom. À l’heure actuelle, le nom de Pascin (1885-1930) ne veut plus dire grand-chose. Peut-être est-ce parce que, défiant l’onomastique, il est destiné à se jouer de nous. Anagramme de Julius Mordecai Pinkas, il désigne un artiste singulier, aujourd’hui méjugé en raison de son émancipation des « ismes » et autres contractions historiographiques aisées.
L’intransigeance et la rétivité de Jules Pascin à toute école le conduisirent pourtant à une seule, composée d’écorchés à sa mesure : l’école de Paris.
À l’heure où l’aube du xxe siècle se jouait la nuit…

Identité : apatride
À l’image de ce nom falsifié, la carte d’identité de Pascin est des plus confuses. Ainsi son parcours qui le mène de la Bulgarie, son pays natal, à la Roumanie. L’heure n’est pas encore à l’Europe communautaire dans ces deux pays : le jeune homme suit les méandres du Danube jusqu’à Vienne avant de s’installer en 1903 à Munich, carrefour métissé entre une France magnétique et ce que Focillon appela les « Marches d’Occident ». Là, Pascin s’affirme comme un caricaturiste acide, parfois violent.
La revue Simplicissimus publie les dessins de cet artiste de dix-huit ans dont la verve satiriste, nourrie de la leçon de Toulouse-Lautrec, décrit sans concession les bas-fonds de la capitale bavaroise. Débauche et dépravation hantent dès lors des scènes bachiques peuplées d’une sexualité viciée.
Aussi le dessin Au café laisse-t-il deviner les préférences d’un Pascin, plus adepte des licences de la rue que de l’académisme des ateliers. Nul hasard donc à ce qu’il n’adhérât jamais à un maître ou à une école…

Obsession : sexuelle
L’œuvre manifeste des débuts de l’artiste est sans conteste un saisissant dessin de 1903 qui, sans titre, est néanmoins éloquent. Inspiré par un drame personnel, il montre son frère adoptif qui, alors que le père de Pascin vient d’abuser de sa toute jeune fiancée le soir de ses noces, s’est pendu au milieu du magasin familial.
Expressionnisme, altération des corps, économie formelle : l’intrication de la sexualité et de la mort ne cessera de hanter un Pascin qui passa ses jeunes années chez une tante… tenancière de maison close.
Son arrivée à Paris en 1905 ne détourne pas Pascin de ses amours iconographiques. Peintre à part entière, il emprunte à Henri Matisse dont il suit quelques cours, ou encore à Honoré Daumier pour son sens de la caricature.
Ses couleurs saturées, ses personnages difformes, ses cadrages audacieux le font osciller entre fauvisme et expressionnisme. Femme au corset (1909) ou La Toilette (1911-1912) témoignent de la permanence érotique dans sa peinture mais aussi de son aspect inclassable. Une seule étiquette convient à Jules Pacsin : celle de « Dômier », du nom du café montparnassien où se croisent des histrions à la vie dissolue ayant pour nom Modigliani, Soutine, Foujita ou l’écrivain Mac Orlan.

Destin : tragique
Homme de deux femmes, dont une qu’il dut partager avec son mari légitime, Pascin incarne l’écartèlement. Et quand éclate la guerre en 1914, l’artiste doit fuir. Car les bordels parisiens ne délivrent pas de carte de séjour : Pascin est bulgare et, incidemment, ennemi de la terre qui l’héberge depuis presque dix ans.
Jules Pacsin gagne les États-Unis, devenus terre d’accueil pour nombre d’esprits libres, tels Marcel Duchamp ou Francis Picabia. Sans céder à sa mécanique du désir, Jules Pascin peint, dessine, grave, illustre.
Son retour à Paris en 1920 coïncide avec une dissolution des formes (Fille au turban, 1926) et un expressionnisme accru au service d’une investigation des chairs féminines (Caresse, 1925). Syphilitique, ruiné, élégant, sophistiqué, Pascin cultive les excès et brûle sa vie jusqu’à l’éteindre un jour de juin 1930 où, s’ouvrant les veines, il veut une dernière fois accélérer les choses : il s’attache à une poignée de porte et s’écroule.

Biographie

1885 Naissance de Julius Mordecai Pinkas dit Pascin, à Viddin (Bulgarie). 1896-1903 Études à Vienne, Berlin puis Munich. Caricaturiste pour le journal satirique Simplicissimus. 1905 Pascin s’installe à Paris. Les nus féminins deviennent son sujet de prédilection. 1914-1920 Fuit la Première Guerre mondiale pour New York où il obtient la nationalité américaine. Il épouse le peintre Hermine David. 1920 Retour à Paris. Rencontre Lucy Vidil avec qui il vit une liaison orageuse. 1921-1926 Il voyage en Europe, en Palestine et aux États-Unis. 1930 Syphilitique, le peintre se suicide dans son atelier, boulevard de Clichy.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°589 du 1 mars 2007, avec le titre suivant : Jules Pascin

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