Vincent Pécoil, Lili Reynaud-Dewar : « Les artistes ont un rapport plus libéré à l’œuvre, plus décontracté »

Par Manou Farine · L'ŒIL

Le 1 août 2007 - 949 mots

En revisitant l’art minimal, l’exposition revient surtout sur les opérations d’appropriation effectuées par les artistes. Éléments de synthèse avec deux des trois commissaires du parcours niçois.

On a vu tant d’œuvres postminimales ces derniers temps, comment avez-vous circonscrit votre propos ?
Vincent Pécoil : Par la négative. Nous voulions éviter l’exposition de beaux cubes. Il n’y en a d’ailleurs aucun dans l’exposition ! Nous avons également essayé d’éviter tous les travaux d’ordre parodique...
Lili Reynaud-Dewar : D’éviter les œuvres qui cherchent à subvertir ou à retourner des icônes de l’histoire de l’art. Si nous avions retenu cette seule piste-là, nous n’aurions eu qu’une exposition d’œuvres emblématiques et détournées de l’art minimal. Nous ne voulions pas non plus tomber dans une sorte de proposition d’esthétique minimale chic.

Pourquoi éliminer toute œuvre ou tout repère historiques ?
V. P. : Notre propos n’était pas de rédiger une sorte de note de bas de page de cette histoire de l’art minimal. C’était plutôt un prétexte pour montrer des travaux contemporains.

Retour aux sources : comment définissez-vous l’art minimal ?
V. P. : On est partis de l’idée commune qu’on peut s’en faire. C’est-à-dire un ensemble de formes géométriques simples : parallélépipèdes, cubes, pyramides, sphères, auxquelles on peut associer une peinture abstraite radicale comme celle de Frank Stella. Il faut y ajouter un ensemble de procédures : la délégation de la fabrication, sa finition industrielle, l’utilisation de la sérialité, de la modularité et l’usage de produits standards comme le néon.

Une première génération s’est approprié le vocabulaire minimal dans les années 1980. Quels en étaient les enjeux ?
L. R.-D. : C’était très différent de ce qui se passe aujourd’hui. Dans les années 1980, les artistes comme Peter Halley, Sherrie Levine ou même Jeff Koons voulaient déconstruire. Ils se référaient à l’art minimal en opérant une sorte d’attaque théorique.
L’artiste conceptuelle Barbara Kruger parle au sujet de cette génération de dédain cultivé. Les artistes jouaient à l’intérieur même du champ de l’art, ils désignaient de l’art et faisaient circuler des références artistiques. Pour Kruger, ça n’aurait eu pour effet que de féliciter les regardeurs de leur propre acuité. 

Quel était l’objet de leur critique ?
L. R.-D. : Les formes primaires, géométriques, abstraites ont été totalement cooptées par le design, la communication, la publicité, accomplissant de façon dévoyée le grand projet moderniste d’intégration de l’art dans la vie quotidienne. C’est aussi ce que dénonçaient ces artistes en s’appropriant ces formes. Et dans les années 1980, on avait encore une vision de l’histoire comme succession de ruptures et de nouveautés. Un mouvement chassait l’autre, par une opération critique. Aujourd’hui, l’idée de nouveauté n’est pas forcément  motivante pour le travail des artistes.

Comment expliquez-vous ce dévoiement du vocabulaire minimaliste ?
V. P. : Je crois que l’art minimal est apparu à un moment où l’économie était encore orientée vers la production d’objets.
Aujourd’hui, le système économique est organisé selon les impératifs de la surproduction. Pour écouler ces mêmes objets, on est obligé de leur allouer une valeur ajoutée esthétique. Et on va la chercher dans l’art. Il existe une forme mondaine du minimalisme qui s’étale dans les magazines d’architecture d’intérieur jusque dans les expositions d’art abstrait des catalogues Habitat…

Les artistes contemporains se réfèrent-ils  à ce minimalisme déjà absorbé par la culture de masse?
L. R.-D. : Ils s’emparent des ambiguïtés que portait le minimalisme historique et qui ont permis à l’industrie culturelle de le récupérer. Ils s’approprient des éléments de la culture visuelle populaire et artistique sans pour autant être dans un mode de dénigrement ou de dénonciation du devenir marchand de l’œuvre d’art comme l’avaient fait leurs aînés. La frontière entre culture populaire et art ne leur est pas utile. C’est un rapport à la fois plus complexe et plus léger.

Comment qualifier alors cette appropriation aujourd’hui ?
L. R.-D. : Il me semble que les artistes ont un rapport plus libéré à l’œuvre, plus décontracté. L’exposition dit implicitement qu’on peut continuer à produire des formes, à réfléchir à la peinture, à la sculpture, sans avoir complètement basculé dans le registre de l’imagerie.
Les œuvres impliquent de réelles activités. Dans cette génération, que l’artiste John Armleder appelle la génération B des appropriationnistes, il y a comme un réinvestissement des possibilités des œuvres d’art. C’est une exposition optimiste !

Y a-t-il des types d’appropriation récurrents dans les pratiques contemporaines ?
V. P. : On retrouve beaucoup de déformations, d’étirements, comme dans la peinture de Philippe Decrauzat, des ramollissements, des accidents. Mais ceci est un exemple, les types d’appropriation sont très différents.

Au fond, les artistes contemporains ramènent ces formes dans le champ de l’art ?
V. P. : Quelque chose comme ça. Le genre d’appropriation qui est pratiqué par les artistes dans cette exposition a cette supériorité sur les formes minimalistes dont ils s’emparent qu’elles ont déjà été recyclées préalablement par l’industrie culturelle. Comme ça a déjà été fait, elles peuvent maintenant revenir dans le champ de l’art et elles n’en sortiront plus. S’il y avait une affirmation à laquelle toutes les pièces répondraient dans l’exposition, ce serait celle-ci : les formes sont notre affaire !

Les artistes

Boris Achour, Saâdane Afif, Martin Boyce, Delphine Coindet, Martin Creed, François Curlet, Stéphane Dafflon, Philippe Decrauzat, Ceal Floyer, Tom Friedman, Ryan Gander, Vidya Gastaldon, Marjolaine Gony, Wade Guyton, Jeppe Hein, Lothar Hempel, Alice Könitz, Jim Lambie, Carole Manaranche, Genêt Mayor, Damien Mazières, Mathieu Mercier, Jonathan Monk, Olivier Mosset, Olaf Nicolai, Gyan Panchal, Steven Parrino, Bruno Peinado, Hugo Pernet, Mai-Thu Perret, Raymond Pettibon, Pascal Pinaud, Owen Piper, Loïc Raguénès, Eva Rothschild, Gitte Schäfer, Hugo Schüwer, Michael Scott, Katja Strunz, Vincent Szarek, Joanne Tatham et Tom O'Sullivan, Blair Thurman, John Tremblay, Daan van Golden, Dan Walsh, Nicole Wermers, Pae White, Lars Wolter.

Autour de l’exposition

Informations pratiques « À moitié carré, à moitié fou », jusqu’au 10 juin 2007. Commissariat : Éric Mangion, Vincent Pécoil, Lili Reynaud-Dewar et Élisabeth Wetterwald. Villa Arson, 20, avenue Stephen Légeard, Nice (06). Ouvert tous les jours de 14 h à 18 h, sauf le lundi. Entrée libre, tél. 04 92 07 73 73, www.villa-arson.org

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°590 du 1 avril 2007, avec le titre suivant : Vincent Pécoil, Lili Reynaud-Dewar : « Les artistes ont un rapport plus libéré à l’œuvre, plus décontracté »

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