Le Brun

La couleur retrouvée

Par Anouchka Roggeman · L'ŒIL

Le 1 août 2007 - 1106 mots

Chef-d’œuvre du genre, la Descente de croix de Le Brun a bénéficié d’un programme de restauration avant, malheureusement, de rejoindre les réserves du musée de Rennes.

Un des chefs-d’œuvre français du xviie siècle vient de renaître. Très abîmée, recouverte de couches de vernis très épais, endommagée par des restaurations successives et parfois malheureuses (dont une probablement à l’acide), la Descente de croix de Charles Le Brun (1619-1690) a pu être présentée temporairement au public dans les salles d’exposition du musée de Rennes.
« Il nous aura fallu presque une décennie pour trouver un généreux mécène », explique François Coulon, le conservateur du musée. C’est finalement la fondation BNP Paribas qui a participé à la
restauration qui a duré un an. Le tableau a cependant été remisé dans les réserves en janvier dernier, à l’issue de l’exposition.

Au service du Roi-Soleil
Commandée en 1679 par un maréchal de Lyon, l’œuvre était à l’origine destinée à orner une chapelle familiale. À cette époque, Charles Le Brun, ancien élève de Nicolas Poussin, est au sommet de sa gloire : il est le peintre officiel de Louis XIV, en charge du décor du château de Versailles, notamment des plafonds de la galerie des Glaces. Il est aussi le fondateur et le directeur de l’Académie des arts.
Dès son origine, l’œuvre de 5,45 m sur 3,29 m attira de nombreux admirateurs. Louvois, l’intendant des bâtiments du roi, souhaita même la récupérer pour orner la chapelle du château de Versailles, dont les travaux ne furent jamais terminés.
Lorsque le peintre meurt en 1690, seule la partie centrale du tableau est terminée. Son élève, René-Antoine Houasse, complètera assez maladroitement les parties latérales. Le tableau sera tour à tour conservé aux Gobelins et au Louvre, puis saisi à la Révolution et attribué au musée de Rennes.

Dans la tradition flamande
Si l’œuvre connut un tel succès dans toute l’Europe, c’est parce qu’elle révéla l’immense talent et la sensibilité de Charles Le Brun, mais aussi parce que, en pleine querelle entre les tenants de la couleur et ceux du dessin, elle rivalisait avec une autre grande œuvre, la Descente de croix de Rubens, réalisée en 1612 pour la cathédrale d’Anvers. « Le tableau causa un murmure entre les personnes de l’art, nota le biographe Nivelon. En conséquence qu’il s’en voit un de Rubens sur lequel on a prétendu que Monsieur Le Brun avait formé sa composition. »
Grand admirateur du maître flamand, Le Brun s’inspira sans nul doute de la composition de son tableau. Mais au lyrisme et à la grandiloquence de Rubens, il préféra la douceur et l’élégance. Aux visages déchirés par la douleur, il préféra la dignité et la souffrance intériorisées.
Il rend ainsi magnifiquement hommage au siècle de Louis XIV, celui de la pudeur majestueuse.

La Sainte Vierge
Le recueillement douloureux d’une mère
Plus qu’un symbole, Marie est une mère qui, de façon très intime et pudique, souffre pour son fils.
Dans le tableau de Rubens, le visage de la Vierge est défiguré par la tristesse, son corps s’affaisse sur celui de son fils. Ici, la Vierge fait preuve de dignité. Sa douleur est retenue, sa grandeur d’âme transparaît. Mise en relief par un rayon de lumière qui vient éclairer son visage et ses mains suppliantes, Marie l’est aussi par la couleur de son voile d’une grande intensité. Comme au Moyen Âge, Le Brun a utilisé du lapis-lazuli pour réaliser ce bleu, associant à la noblesse du personnage celle de la matière.
Le Brun ose dans ce tableau de nombreuses audaces chromatiques. Mais, afin de donner une impression de douceur et de sérénité, il réduit la vivacité des couleurs en les posant sur un fond noir. La restauration a montré qu’il avait aussi estompé les contours de ses personnages, afin d’atténuer la dureté des traits.

Joseph d’Arimathie
La force et l’élégance du personnage
Personnage habituellement secondaire, Joseph soutient le Christ dans sa dernière épreuve, avec force et sagesse.
Joseph d’Arimathie veille à ce que le corps soit décroché avec soin, comme en témoignent son visage appliqué, ses sourcils froncés et les muscles de son bras droit. Avec saint Jean, en rouge, à la droite de Jésus, il porte le linceul dans lequel sera enveloppé le corps. Membre du Sanhédrin, une haute assemblée de doctes juifs qui faisait office d’autorité suprême religieuse et de cour de justice, il demanda à récupérer le corps de Jésus pour organiser le sépulcre.
Le drapé violine qui l’habille est un autre témoignage de la virtuosité du peintre. Traité avec un glacis très délicat, le drapé laisse apparaître en transparence le vêtement que porte Joseph, contribuant à donner de la douceur et de l’élégance au personnage.

Jésus-Christ
Digne, le Christ s’envole vers les cieux
Seule la couleur des chairs rappelle la mort. Le Christ est représenté avec grâce et sensualité.
Dans le tableau de Rubens, le corps du Christ est désarticulé, ses jambes sont repliées, sa tête pendante, son visage est déformé par la douleur. Le moment y est extrêmement pathétique, le chaos règne, l’équilibre est instable, le corps du Christ est prêt à s’effondrer sur le sol, sans vie. Ici, on voit combien le peintre a voulu restituer toute la dignité du personnage. Jésus semble être endormi sur un linceul à peine taché de sang. Sa tête est gracieusement penchée, ses bras flottent avec maintien, son corps prend une pose délicate et sensuelle, ses muscles sont saillants.
Si tout le tableau est orienté du haut vers le bas, en suivant la diagonale suggérée par le rayon de lumière, le Christ, lui, ne semble pas tomber, mais au contraire s’élever vers les cieux. Son visage, presque songeur, exprime la sérénité. Seule la couleur verdâtre de sa peau, qui se détache sur le linceul blanc, nous rappelle donc à la mort.

Marie Madeleine
L’extase d’un visage enfantin
Parfois assimilée à une prostituée, Marie Madeleine est ici une jeune fille innocente.
Disciple de Jésus-Christ, premier témoin de sa Résurrection, Marie Madeleine le suivra jusqu’à sa mort. Parfois représentée dénudée comme les prostituées de Palestine, elle a ici les épaules recouvertes par sa robe. Contrairement à certaines de ses représentations, celle-ci fait preuve de beaucoup de pudeur. Son visage enfantin, ses grands yeux bleus écarquillés et ses cheveux blonds dorés donnent au personnage douceur et naïveté. Très présente dans le Nouveau Testament, elle est ici l’un des personnages principaux, comme le soulignent le rayon de lumière qui éclaire son visage et son voile jaune vif.

Autour de l’exposition

Informations pratiques Musée des Beaux-Arts de Rennes, 20, quai Émile-Zola, Rennes (35). Ouvert de 10 h à 12 h et de 14 h à 18 h, sauf mardi et jours fériés. Tarifs : 4 € et 2 €, tél. 02 23 62 17 45, www.mbar.org

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°590 du 1 avril 2007, avec le titre suivant : Le Brun

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