Ces micronations qui font (aussi) le monde...

Par Bénédicte Ramade · L'ŒIL

Le 31 juillet 2007 - 763 mots

Conçues par des artistes, des anarchistes, des utopistes… les micronations sont des États, souvent sans terre, qui possèdent leur langue, monnaie, drapeau, constitution, etc.

Pas toujours évident de s’y retrouver dans le tour du monde des micronations recensées par
l’artiste américain Peter Coffin. Nombreuses, elles sont toutes exposées sur le même plan, sans distinguer l’entreprise politique de la résolution loufoque, prise à titre individuel par un simple
citoyen ou un artiste.

À vendre nation, bon état…
Dans la salle réservée aux micronations avec « États (faites-le vous-même) » à l’issue de l’exposition de Michel Blazy, se croisent les étendards de ces utopies plus ou moins convaincues, monnaies, timbres, sceptres, décorations, costumes de cérémonie, et l’inévitable mappemonde. Avec ce projet pas tout à fait sociologique, Peter Coffin livre une exposition pas tout à fait artistique non plus. Une sorte de no man’s land, d’intermonde ou d’antiexposition où chaque État est expliqué par une fiche collée au mur. Certains sont d’ailleurs sous le feu de l’actualité comme la plate-forme offshore Sealand autoproclamée indépendante en 1967 et propriété d’un major britannique, Roy Bates, et aujourd’hui mise en vente. Les spéculateurs sont excités par la possibilité de créer un nouveau petit paradis fiscal hors-sol. Des pirates suédois tentent même de lever des fonds sur Internet pour acquérir cette principauté souveraine.
On découvre comment l’artiste américain Gregory Green écrivit en 1997 aux Nations unies afin de réclamer un petit territoire apatride à cinq cents miles des côtes tahitiennes. Il n’était pas le seul à y avoir pensé puisque le Japon, l’Australie, les États-Unis et le Kiribati réclamaient, eux aussi, ce petit périmètre de treize miles.
En s’inspirant des communautés féministes et antinucléaires de Californie, Green instaura la base anarchiste de son Nouvel État libre de Caroline même si, entre-temps, le Kiribati avait été désigné comme souverain sur cet îlot.
Plus près de nous, à Rotterdam, l’artiste néerlandais Joep Van Lieshout a instauré AVL, État libre doté d’infrastructures de production afin de favoriser la survie de la communauté. Hôpital, boucherie, salle de sport, sanitaires, bar, distillerie, l’Atelier Van Lieshout a conçu sa ville en modules aux formes organiques, les a exposés dans le monde de l’art avant de les implanter dans le réel. Si elle est fermée au public depuis 2001, AVL-Ville demeure une légende artistique vivace, témoin du nomadisme et des aspirations sécessionnistes des artistes des années 1990. Des histoires comme celles-ci, l’exposition « États (faites-le vous-même) » en recèle des dizaines, de la véritable enclave géopolitique d’Okinawa à l’empire d’Aerica à Montréal, soit 2,3 m2 d’indépendance en plein centre-ville !

Utopies douces
L’artiste Mai-Thu Perret a imaginé et localisé dans le Nouveau-Mexique sa communauté de femmes vivant en parfaite autarcie, le New Ponderosa Year Zero. Malheureusement, l’exposition ne montre pas ce qu’elle a généré, de journaux intimes en manifestes, d’expositions en mobilier, autant d’éléments qui jouent sur la puissance du témoignage afin d’attester non plus d’une réalité mais bien d’une fiction.
Déjà, en 1973, John Lennon et Yoko Ono annonçaient dans une conférence de presse la naissance de Nutopia, « pays conceptuel n’ayant ni territoire, ni frontière, ni passeport, seulement un peuple. Un pays qui appartient à tout le monde ». Logiquement, leur drapeau est blanc. Le couple mythique milite pendant les cinq années suivantes en faveur de la paix dans le monde et installe l’ambassade de son pays à New York, dans l’immeuble même devant lequel John Lennon sera assassiné. Triste destin. Tous ne sont heureusement pas aussi tragiques.
Que cherche ainsi à démontrer Peter Coffin avec cette collection, aussi fertile qu’amusante, d’États autoproclamés, de bibelots, de formulaires de naturalisation et d’immigration, avec cette confusion des genres entre vrais illuminés et utopies artistiques ? Au visiteur de percer l’énigme et les raisons de ce micromusée et, pourquoi pas, d’avoir des velléités indépendantistes.

Repères

1967 Roy Bates, ancien major de l’armée de l’air britannique, transforme une plate-forme militaire en État indépendant : la principauté de Sealand, située au large des côtes anglaises. Dotée d’une monnaie propre, elle est mise en vente depuis 2006 à 2 milliards de dollars. 1970 Pour échapper aux quotas de production imposés aux exploitations agricoles australiennes, le fermier Leonard Casley fait sécession en fondant la province de Hutt River. 1979 Un adolescent américain de 13 ans, Robert Ben Madison, proclame sa chambre royaume de Talossa. Située à Milwaukee, la micronation compte aujourd’hui 90 membres ! 1996 Le sculpteur Lars Vilks crée Ladonia pour protéger deux de ses sculptures, édifiées en 1980, dans une réserve naturelle de Suède. Menacée de destruction par les autorités, l’une d’elles avait déjà été achetée par les artistes Joseph Beuys et Christo.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°590 du 1 avril 2007, avec le titre suivant : Ces micronations qui font (aussi) le monde...

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