Le dessin à huis clos...

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 31 juillet 2007 - 797 mots

Mine de plomb puis, à partir des années 1970, crayons de couleur sont les seules armes graphiques qu’emploie Pierre Klossowski pour révéler un monde érotique et fantasmé.

Maurice Blanchot, avec lequel Pierre Klossowski était très lié, note à propos des livres de ce dernier qu’ils sont tous « des récits, même quand ils commentent des mythes… » Il voulait ainsi en souligner la dimension narrative et imaginative. « Récits, poursuit l’écrivain, ils racontent, décrivent, énoncent, intriguent. Certains les appelleront théologiques, d’autres érotiques, d’autres psychanalytiques. Je crois qu’il ne faut pas tenir grand compte de tels qualificatifs. Je suis plutôt frappé par un trait d’originalité qui se manifeste dans l’invention d’une forme nouvelle, à la vérité destinée à rester unique. » À cette autre part de l’œuvre de Klossowski que sont ses dessins, la remarque de Blanchot est parfaitement transposable.

Un espace factice
Dans celle-ci comme dans l’autre, l’artiste mêle l’étrange et le familier en de troublantes scènes où « les choses apparaissent à la fois palpables et non palpables » (Michel Nuridsany). C’est dans cet écart que tout se joue chez Klossowski et le recours au dessin n’y est pas étranger pour ce qu’il instruit un espace dont on ne sait quelles sont ses relations au réel, à l’invention ou au fantasme. Un espace qui se détermine à l’aune de l’idée de « jeux ». Quelque chose d’un simulacre, dont il n’a jamais caché qu’il était l’un des constituants essentiels, est en effet en jeu. Un simulacre qu’il considère lui-même comme « un terme sculptural qu’il applique au tableau ».
Souligner cet aspect, c’est vouloir mettre en exergue les rapports étroits qu’il y a dans l’œuvre dessinée de Klossowski entre le dessin et le volume et la façon dont il requiert celui-ci pour exprimer au plus près l’idée de celui-là. Pour le suggérer. Sensuellement. Érotiquement. À l’instar de Degas qui déclarait que le dessin n’était pas la forme mais la manière de voir la forme, il n’est pas chez lui seulement la forme, il est surtout ce qui lui donne du corps. Ce qui l’incarne.
Cette prédominance du corps est associée dans son œuvre à l’emploi de la ligne serpentine comme pour mieux excéder cette question de la palpabilité. Il y va ainsi d’une irrésistible mesure de ravissement en ce sens que le regardeur se laisse en effet ravir par la réalité équivoque et fugace des scènes qui lui sont proposées. L’art de Klossowski est fondamentalement requis par l’idée de rapt.

Des scenarii sans début ni fin
La Descente au sous-sol (1967), Roberte interprétée par les routiers (1972), Les Barres parallèles (1976), Roberte dans le rôle de Valentine (1981), Roberte et les Collégiens VII (le cauchemar d’Antoine) (1989)… Figure récurrente de ses écrits, inspirée de son épouse, Roberte l’est également de ses dessins.
Elle y est l’actrice principale occupant le rôle parangon de la femme mûre, tout à la fois ordonnatrice et dominatrice des saynètes érotiques et perverses que lui invente son auteur. Véritables tableaux vivants se référant volontiers à Sade et à Nietzsche, l’œuvre graphique de Klossowski en appelle à toutes sortes de jeux de réciprocité et d’identité dans une conception maniériste proche de la pensée de Panofsky lorsqu’il appréhendait celle-ci à l’aune d’un monde indissociable de sa doublure.
Si le dessin de l’artiste doit à Ingres le goût des déformations voluptueuses à la façon d’une Angélique délivrée par Roger, il n’est en rien académique, ni policé. Bien au contraire, alors que le maître du xixe le cède à la pudeur, l’autre « se démarque de toute censure, qu’elle soit morale ou formelle » (Catherine Grenier).
Véritables arrêts sur image, les œuvres de Klossowski s’apprécient dans le suspens d’un scénario qui n’aurait ni commencement, ni suite, ni fin. Si leur relation à la photographie est éminente, c’est que ce qu’elles « racontent » semble gelé, comme saisi dans la matière même de la mine de plomb et du crayon de couleur.
Face à cette œuvre quelque peu dérangeante, dont les images aux poses et aux cadrages retenus sont souvent impudiques, voire outrées, nous nous trouvons en présence de mises en scène dont la temporalité s’éternise dans l’instant. Ce temps suspendu y est le lieu privilégié de refuge du sens. L’art de Pierre Klossowski qui dénonce la fuite en avant de la théorie perspectiviste d’Alberti construit un monde qui ramène et referme l’espace au temps du sujet. Pour les décliner à huis clos, en quelque sorte.

Autour de l’exposition

Informations pratiques « Pierre Klossowski », du 4 avril au 4 juin 2007. Commissariat : Sarah Wilson, Agnès de La Beaumelle. Centre Georges Pompidou, place Georges-Pompidou, Paris IVe. Métro Rambuteau. Ouvert tous les jours sauf le mardi de 11 h à 21 h, le mercredi jusqu’à 22 h. Tarifs : 10 € et 8 €, tél. 01 44 78 12 33, www.centrepompidou.fr

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°590 du 1 avril 2007, avec le titre suivant : Le dessin à huis clos...

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