Une forêt pour source d'inspiration

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 31 juillet 2007 - 943 mots

Parce qu’ils l’ont fréquentée et vécue en toute intimité, les artistes ont fait de la forêt de Fontainebleau un lieu, source
universelle d’un rapport vital et existentiel au monde.

Le XIXe siècle est, on le sait, celui de la révolution industrielle. Il fut aussi le siècle d’une autre révolution, artistique celle-là, qui mit à bas canons et conventions esthétiques en usage depuis des lustres en faisant du paysage un genre à part entière. Longtemps tenu pour secondaire, celui-ci n’était que le prétexte à toutes sortes de scènes mytho-logiques, allégoriques ou historiques.
Si l’avènement d’une peinture exclusivement consacrée au paysage trouve plus particulièrement ses marques avec l’invention de l’aquarelle, puis avec celle du tube de couleurs, c’est que le travail en est rendu beaucoup plus facile.

Chercher le génie du lieu
Dès lors qu’ils sont sortis de leurs ateliers, les artistes sont partis en quête de lieux inspirants. De lieux qui seraient à même de répondre à leur attente créatrice par la richesse et la force de leur caractère naturel. Que la forêt de Fontainebleau se soit très vite offerte à leur regard comme une réponse idéale n’a rien d’étonnant.
« Ce lieu est fort ; on n’y est pas impunément », écrit Michelet dans sa préface à L’Insecte (1855), ajoutant : « Creusez et vous trouverez. Là est l’exquis, le vital du génie du lieu. » Le génie du lieu… : de fait, la forêt de Fontainebleau s’est avérée être un incroyable creuset. « Le lieu d’expériences et de recherches picturales, photographiques, littéraires et cinématographiques », note Chantal Georgel, commissaire de l’exposition d’Orsay. Un lieu inspiré qui entraîne les créateurs à s’exprimer pleinement et librement.
La sorte d’atelier que leur offrait la forêt allait être appréhendée par eux tantôt comme un observatoire où contempler les merveilles de la nature, tantôt comme un milieu dans lequel s’immerger pour dire l’ampleur du monde, tantôt comme un cadre pour y jouer toutes sortes de scénarios. Elle leur a permis d’envisager l’art à l’échelle de la nature, dans un rapport nouveau d’immédiateté, du détail à l’ensemble. « À tous, la forêt de Fontainebleau offrait un atelier grandeur nature, où venir apprendre à voir, observer, reproduire, imaginer, essayer de nouvelles techniques, avec des objectifs différents, engranger les souvenirs », note encore Chantal Georgel.

Vivre en toute intimité
Qu’ils soient dessinés, estampés, peints, photographiés ou filmés, les paysages que nous en ont donnés les artistes qui l’ont fréquentée sont d’une nature particulière. Ils n’ont plus cette distanciation froide et objective de ceux du passé, car ils ont cette qualité d’être d’abord des paysages vécus. Des paysages auxquels les artistes se sont confrontés, qu’ils ont éprouvés et dont ils nous livrent leur expérience.
Ce ne sont ni des paysages imaginaires, ni des paysages idéalisés ; ce sont ceux dont ils sont faits. Ils les ont arpentés, traversés en tous sens, ils s’y sont installés. Ils les connaissent par cœur, les désignent par leurs petits noms, ceux de leurs communes, de leurs lieux-dits et de leurs hameaux : Barbizon, Chailly, Biau, Bois-Préau, Jean de Paris… Ils nomment leurs sites (Gorges d’Apremont, la Mare aux fées, la Caverne des brigands…), leurs rochers (Franchard, la Belle Épine, le Nid-de-l’Aigle…), leurs arbres (le Rageur, les Deux Gros Chênes), etc.
Cette complicité qu’ont entretenue au fil des ans Corot, Diaz de la Peña, Rousseau, Daubigny, Barye, Courbet, Millet, Bazille, Monet et tant d’autres avec la forêt de Fontainebleau procède d’une singulière intimité.
À ce point même que l’on pourrait affirmer que, chez eux, le paysage n’est plus un genre, il est une manière d’être. Une manière d’être au monde, de dire leur inscription au monde, comme si la forêt en présentait tous les aspects, en rassemblait toutes les humeurs, en résumait à elle seule tout le génie.

Naissance d’un lieu mythique
D’une extrémité à l’autre du xixe siècle, voire au-delà, la forêt de Fontainebleau fut à la mode, cible privilégiée d’un tourisme naissant qui recommandait d’aller y découvrir les beautés naturelles dont elle était faite. À ce point même que nombre d’artistes étrangers en firent une étape obligée de leur tour de France. Ainsi de l’Anglais Richard Parkes Bonington dès 1825, du Hollandais Marinus Kuytenbrouwer au milieu du siècle ou, encore plus tard, du Tchèque Sobeslav Hippolyt Pinkas.
Inspiratrice des plus grands artistes comme des plus humbles, sans oublier tous ces poètes et écrivains qui la magnifièrent – Sainte-Beuve, Nodier, Sand, Musset, Maupassant… –, la forêt de Fontainebleau demeura comme le lieu idéal de l’expression du rapport fondamental qui lie l’homme à la nature. Qu’elle figure encore dans les œuvres d’artistes comme Redon et Seurat, voire Derain et Picasso au début du xxe, dit bien la prégnance du mythe. Que le cinéma, tout juste naissant, lui aussi s’en empare et choisit d’en faire le décor de films comme La Guerre du Feu de 1915, réalisé par Georges Denola, en est un signe tout aussi puissant. Le « dit de la forêt de Fontainebleau » appartient aux riches heures d’une histoire universelle de la création.

Repères

1830 Corot peint La Forêt de Fontainebleau. 1836 Les peintres Aligny et Bertin sont les premiers clients de l’auberge Ganne, à Barbizon. 1841 L’arrivée de Courbet et de Barye contribue à la postérité du foyer artistique. 1848 Rousseau s’installe à Barbizon où il vient depuis 1830. 1849 Épidémie de choléra à Paris. Millet loue une maison dans le village. 1849-1855 Gustave Le Gray photographie la forêt de Fontainebleau. 1860-1863 Bazille, Monet, Renoir et Sisley croquent les paysages bellifontains. 1865 Le Déjeuner sur l’herbe de Monet prend pour décor le bois de Chailly. 1880 Première venue de Cézanne et de Seurat. 1921 Picasso établit son atelier à Fontainebleau avec sa femme Olga et son fils Paulo.

Autour de l’exposition

Informations pratiques « La forêt de Fontainebleau, un atelier grandeur nature », du 6 mars au 13 mai 2007. Commissariat : Chantal Georgel. Musée d’Orsay, 62, rue de Lille, Paris Ier. Métro : Solférino, RER C : Orsay. Ouvert tous les jours sauf le mardi de 9 h 30 à 18 h, le jeudi jusqu’à 21 h 45, tél. 01 40 49 48 14, www.musee-orsay.fr

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°590 du 1 avril 2007, avec le titre suivant : Une forêt pour source d'inspiration

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