Art contemporain

Richard Serra

« Projetées » à même le mur ou posées en équilibre, ses sculptures dialoguent avec leur environnement

Par Manou Farine · L'ŒIL

Le 31 juillet 2007 - 463 mots

Avant le métal, avant la coupe, avant le monument, le jeune Serra commence par bousculer la nature même de la sculpture tout en rejouant les problématiques picturales.

On est en 1967 à New York et l’Américain qui revient d’un séjour en Europe a manifestement enregistré les balbutiements de l’Arte Povera. Dans le même temps, l’idée d’une sculpture utilisant des matériaux non orthodoxes et périssables commence à faire son chemin : feutre, corde, sable, c’est à la matière de déterminer la forme finale de la sculpture comme le précisera l’Américain Robert Morris en 1968.

L’artiste libéré de la forme
Avec Belts (1966-1967), Serra utilise des néons et des lanières de caoutchouc vulcanisé qu’il fixe sur le mur d’une façon toute picturale. Fils électriques et ceintures tenus par un crochet s’enchevêtrent et pendouillent mollement, enveloppés d’une lumière glauque. Sortes de circuits souples et fermés contraints par la loi de la gravité, les sculptures ainsi obtenues jouent de leur anthropomorphisme. Au même moment – geste différent mais enjeux voisins –, Serra s’essaie aux projections de plomb fondu sur le sol, à l’angle formé entre le mur et le plancher. Les Splash Piece (1968) témoignent à nouveau de l’attention portée par l’artiste aux formes décidées par les matériaux eux-mêmes. Débitrices de problématiques traditionnelles sur la figure et le fond, lorgnant du côté du geste pictural expressif, ces éclaboussures métalliques en profitent pour prendre en charge le contexte spatial de l’exposition.

Stabilités précaires
En 1969, Harald Szeemann invite Serra à actualiser l’une de ces projections pour l’exposition « Quand les attitudes deviennent formes » à Berne. Comme Beuys ou Michael Heizer, l’Américain réalise son œuvre sur place : il projette 210 kg de plomb chaud et liquide à la jonction d’un mur et du sol. L’exposition fera date, pour une activité artistique durablement affectée. « Les artistes de cette exposition ne sont pas des faiseurs d’objets, explique Szeemann. Ils veulent que le processus artistique soit encore visible dans le produit final et dans l’exposition. » À l’image de la giclée de plomb de Serra.

Serra persiste et signe en 1969 One Ton Prop (House of cards), caractérisée par ses propriétés physiques. Le vocabulaire du sculpteur établit véritablement ses fondements. Quatre minces plaques de plomb sont maintenues en équilibre instable par leur propre poids. Elles forment un cube précaire par simple contact des unes avec les autres en leurs coins supérieurs.
« Le poids est pour moi une valeur, justifie Serra. Non qu’il soit plus contraignant que la légèreté, mais j’en sais davantage sur le poids que sur la légèreté. » Chute, fragilité, tension et poids, c’est tout cela en même temps qu’un sentiment de danger qu’expérimente le spectateur. Construction élémentaire, le château de cartes entre en résonance avec les lignes, les plans et les surfaces mêmes de l’espace d’exposition. Comme si l’installation l’occupait tout en le définissant.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°593 du 1 juillet 2007, avec le titre suivant : « Projetées » à même le mur ou posées en équilibre, ses sculptures dialoguent avec leur environnement

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