Gavin Turk

Détournement de la personnalité

Par Bénédicte Ramade · L'ŒIL

Le 31 juillet 2007 - 400 mots

 À la fin de ses études à Londres, Gavin Turk s’est aperçu qu’il avait un pouvoir, une singularité qui le distinguait des autres élèves : il était un artiste. Dès lors, sa vie « d’avant » n’avait plus de légitimité et a depuis été effacée de sa biographie. Tout juste sait-on que monsieur Turk est né en 1967. Ensuite plus rien, jusqu’au début des années 1990, sa naissance artistique.
Immédiatement, ses premières œuvres structurent la réflexion qu’il ne cesse de développer autour des notions d’auteur, d’authenticité, d’originalité et de valeur. Cette haute conscience de l’être artiste le conduit à se consacrer à un culte de la personnalité très singulier. Il se portraiture tour à tour en référence de l’art moderne : Joseph Beuys, Andy Warhol, René Magritte, Salvador Dalí. Il est aussi Elvis Presley, Sid Vicious (chanteur des Sex Pistols) et Che Guevara. Il faut voir dans ce dédoublement de la personnalité moins une mégalomanie exacerbée qu’une relecture sans concession de ces artistes qui ont mis en scène leur propre mythe.
Turk manipule avec une dextérité agaçante ces références et conduit cette introspection artistique jusqu’à la provocation avec une pratique bien particulière de la sculpture classique en bronze. Car tout y passe, même la tradition. Cette fois-ci, il kidnappe des objets du quotidien, du caniveau pour être précis, afin de les transcender par le pouvoir de l’art. Un peu à la manière des rois thaumaturges censés guérir des écrouelles, Turk coule un trognon de pomme miteux, un sac poubelle plein à craquer ou un gobelet de café dans le plus noble des bronzes. Tradition du trompe-l’œil et de la dextérité artistique se retrouvent au niveau zéro de l’originalité pour cette réflexion virtuose sur le ready made.
Turk n’a pas de scrupules. D’ailleurs, sa figure préférée n’est-elle pas l’œuf ? Car il pose le problème insoluble de son origine : qui de la poule ou de l’œuf ?  etc. C’est agaçant, mais monsieur Turk a raison et il passe son temps à nous le rappeler nonchalamment, avec un cynisme teinté d’humour bien british. En quinze ans, Turk a amassé bien des objets et des directions, dans l’unique but de transcender sa personne. Monsieur Turk est un artiste, il a le pouvoir, et la première exposition de l’artiste dans une institution française en fait la démonstration.

« Gavin Turk, Negotiation of Purpose », Le Magasin, 155, cours Berriat, Grenoble (38), tél. 04 76 21 95 84, www.magasin-cnac.org, jusqu’au 2 septembre.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°593 du 1 juillet 2007, avec le titre suivant : Gavin Turk

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