Matta-Clark entre les murs

Par Bénédicte Ramade · L'ŒIL

Le 26 juillet 2007 - 379 mots

Architecte de la déconstruction, Gordon Matta-Clark a édifié une carrière fulgurante entre 1969 et 1978. Fils du surréaliste Roberto Matta, installé à New York, il a rapidement pris le contre-pied de ses études en architecture en prenant le parti de ne jamais construire. Ouvrir, laisser respirer le bâti, l’art de Matta-Clark s’y est employé avec maestria. Illégalement d’abord, dans des appartements abandonnés du Bronx où il ménageait des perspectives déstabilisantes.
Puis arrive en 1974 l’œuvre majeure, Splitting, découpe médiane d’un pavillon standard en bois blanc. Le film permet de suivre l’épreuve physique de cet homme armé d’une tronçonneuse face à l’image même de la protection, de la stabilité, de l’incarnation du foyer américain et d’une promesse de vie bien normée. Une existence justement trop canalisée, et que Gordon Matta-Clark cherchait à forcer, à pousser dans ses retranchements. La modeste maison écartelée, en livrant la finesse de sa construction est devenue une des icônes de l’art contemporain.
La même année, l’artiste joue au bingo avec une autre petite maison dont il enlève la façade comme on coche une case. Les découpes se complexifient et entraînent un trouble toujours plus grand ; une perturbation de la lecture des espaces encore sensible aujourd’hui à travers les tirages photographiques de Circus, œuvre ultime réalisée quelques mois avant son décès de la maladie d’Edison. S’il ne reste plus rien de ces actions à l’échelle de la ville, tous les bâtiments ayant été détruits, des fragments de Bingo et Splitting ont été sauvés et sont exposés dans cette magnifique rétrospective. Plus que des reliques, ils bousculent le rapport du visiteur à son cadre, à sa perception de l’architecture, avec une radicalité encore vive.
Gordon Matta-Clark a laissé des œuvres puissantes, intransigeantes, qui trente ans après, n’ont rien perdu de leurs tensions critiques et politiques. En prenant l’axe de la mesure et des rapports d’échelle, la présentation et la publication très complètes du Whitney livrent un regard juste et passionné sur la trajectoire de cet artiste engagé. Si les actions architecturales y occupent une belle place, elles répondent magnifiquement aux performances et aux œuvres conceptuelles, à toutes les facettes de cet artiste de génie.

Gordon Matta-Clark : « You’re the measure », Whitney Museum of American Art, 75th Madison avenue, New York, tél. (212) 570 7721, jusqu’au 3 juin 2007.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°591 du 1 mai 2007, avec le titre suivant : Matta-Clark entre les murs

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