De la brûlante notion d’« école » lyonnaise en peinture

Par Colin Lemoine · L'ŒIL

Le 26 juillet 2007 - 886 mots

Hors de Paris, de grandes villes ont été des foyers de création importants au xixe. C’est la thèse défendue par le musée des Beaux-Arts de Lyon à travers une exposition qui ne cède pas à la facilité.

Les rayonnements aveuglent souvent. Ou tout du moins éclipsent. Et Paris n’échappe pas à la règle. Son potentat culturel entre 1800 et 1914 relégua en effet comme satellitaires
les foyers esthétiques français, condamnés à ne prendre que la mesure de sa création. Étalonnant les villes hexagonales, Paris aurait dicté autocratiquement sa règle. Mais pour que cette dernière soit confirmée, comme le dit le proverbe, il fallait une ou des exceptions. Et le musée des Beaux-Arts de Lyon d’en faire la démonstration.
À l’aune d’un contexte européen fécond, l’institution permet aussi bien d’interroger la validité de la notion d’« école lyonnaise » que de réévaluer une cartographie artistique par trop radicale et exacerbée.

L’« école lyonnaise », une nébuleuse inopérante ?
Antique, gauloise et chrétienne : la singularité de l’école lyonnaise doit bien plus à cet éminent substrat historique en forme de triptyque qu’à la création de son école des beaux-arts en 1808. Car la notion d’ « école » en histoire de l’art excède à l’évidence la simple institutionnalisation : une homogénéité de style et une identité esthétique s’imposent. Ville intellectuelle, spirituelle et religieuse, Lyon se distingue certes par une peinture dépouillée et recueillie, mais cette tendance suffit-elle à la distinguer des autres centres culturels français, de Toulouse à Bordeaux en passant par Lille ?
L’« école lyonnaise » est-elle une réalité historique ou une locution confortable destinée à s’entendre sur une production n’ayant pour critères fédérateurs qu’une même époque et un même lieu ? À la suite du commissaire Pierre Vaisse, qui analyse doctement ce problème épineux, il convient de savoir si peut être inclus au sein de cette école n’importe quel artiste d’origine lyonnaise ou ayant œuvré à Lyon. Auquel cas il existerait un prétendu déterminisme capable d’unifier, malgré eux et en dépit de la complexité des parcours, des artistes singulièrement différents.
Avide en césures, l’histoire de l’art a longtemps procédé en découpages stricts dont l’articulation était destinée à faire émerger une généalogie unidirectionnelle. Peu de place pour la marge et peu de lignes sur les épiphénomènes. Aussi la critique du xixe siècle, en avançant la notion d’« école », lyonnaise ou autre, décrit-elle un mouvement « en marge de » (Paris ou un autre épicentre) et évacue-t-elle un problème historiographique. Le terme vaudrait donc autant comme désignation que comme mise au ban…
L’attitude de Baudelaire, un temps installé à Lyon, est à cet égard révélatrice. Stigmatisant une peinture par trop « philosophique » et « qui pense », il n’en demeure pas moins ambigu à l’égard d’un art qu’il ne parvient pas à réprouver totalement. Déclarant en 1855 pouvoir être séduit par un tableau « uniquement par la somme d’idées ou de rêveries qu’il apportera dans [son] esprit », il fait autant une confession qu’une concession à l’art lyonnais. Mais de quel ordre ? Pris au piège de la catégorisation, il semble ne pouvoir se soustraire à une estime pour Janmot qui deviendrait gênante comme si, de surcroît, elle l’aurait obligé à apprécier un Paul Flandrin ou un Victor Orsel.
 
Une réhabilitation des particularismes
L’exposition lyonnaise a le mérite, mieux, le courage, de ne pas sacrifier à la facilité. En exposant des œuvres de Menzel, Cornelius, Flaxman ou Runge, elle excède une lecture topographique et par trop littérale de la notion d’école. Mettant au jour une permanence thématique et des invariants formels que sont une propension religieuse et une tendance à la pondération et à la simplification, elle appelle, en les expliquant, les interpénétrations.
En affrontant la complexité, s’essouffle ainsi le paradoxe qui voudrait que, se nourrissant de contacts extérieurs, l’école s’agrandit ou s’effrite, sa perméabilité ne lui garantissant plus le statut même dont elle est censée se prévaloir. Tout comme se révélerait vaine une tentative d’analyse de l’école vénitienne sans étudier les apports byzantins, faire l’économie de l’ascendance nazaréenne et des contacts avec Paris mènerait tout décryptage du foyer lyonnais à sa perte.
Par conséquent, l’exposition qui se tient au palais Saint-Pierre devait-elle nécessairement transgresser son propre objet d’étude pour être opérante et s’attacher à ne rien céder, ce qu’elle réussit parfaitement.
Plus que d’une école lyonnaise, au sens cadastral du terme, il s’agit d’un mouvement, c’est-à-dire d’une dynamique artistique animée de flux et de reflux. Ainsi Puvis de Chavannes quittant Lyon pour y revenir créer une œuvre fondamentale. Ainsi Baudelaire littéralement désorienté par la complexité de la réalité que recouvre la formule. En dégageant les exceptions, les marges et les tangentes, la manifestation parvient à faire émerger une tendance plus qu’une loi, une disposition plus qu’un dogme qui permet de réévaluer les particularismes et, étonnamment, la pluralité. Et le spectateur de se rappeler qu’une école à venir sera, paradoxalement, l’un des premiers et des plus vastes phénomènes d’universalisation : celle dite « de Paris »…

Repères

1808 Création du musée des Beaux-Arts de Lyon. 1824 Naissance de Puvis de Chavannes à Lyon. 1831 La révolte des Canuts (tisserands) contre la baisse des prix du textile est la première insurrection sociale du xixe siècle. 1857 Ouverture du parc de la Tête d’Or dans le quartier des Brotteaux, au bord du Rhône. 1872 Exposition universelle. 1894 Le président Sadi Carnot, venu à Lyon visiter l’exposition universelle de 1894, est assassiné par l’anarchiste italien Caserio. 1914 L’exposition internationale présente quelques œuvres de Matisse et de Picasso.

Informations pratiques « Le temps de la peinture, Lyon 1800-1914 », jusqu’au 30 juillet 2007. Commissariat”‰: Sylvie Ramond. Musée des Beaux-Arts de Lyon, 20, place des Terreaux, Lyon Ier (69). Ouvert tous les jours sauf le mardi de 10 h à 18 h, le vendredi de 10 h 30 à 20 h. Tarifs”‰: 8 € et 6 €, tél. 04”‰72”‰10”‰17”‰40, www.mba-lyon.fr

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°591 du 1 mai 2007, avec le titre suivant : De la brûlante notion d’« école » lyonnaise en peinture

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