Philippe de Champaigne, peintre de Port-Royal

Par Sophie Flouquet · L'ŒIL

Le 26 juillet 2007 - 1122 mots

Haut lieu du jansénisme en France, la communauté de Port-Royal fut, au xviie siècle, un centre intellectuel et un foyer d’opposition important dont le peintre épousa la cause.

Longtemps, l’art de Philippe de Champaigne a été réduit aux échanges, tardifs dans sa carrière, que le peintre a entretenus avec la communauté de Port-Royal. S’il s’avère exact que Champaigne fut l’un des peintres de prédilection de la communauté des religieuses de Port-Royal, l’inverse n’est pas vrai, et le peintre œuvra pour de nombreux autres commanditaires, puissants et ordres religieux.
Pourtant, sa rencontre avec la communauté qui agita le milieu théologique et intellectuel parisien, au milieu du xviie siècle, fut décisive dans sa carrière. C’est vers 1646 que l’« homme sage et vertueux » (Félibien) qu’était Champaigne entre en contact avec la communauté. La rencontre s’effectue par l’intermédiaire de Robert Arnauld d’Andilly, frère de la mère Angélique Arnauld, directrice et réformatrice de l’abbaye féminine de Port-Royal-des-Champs.

Portrait des héros de la doctrine janséniste
Haut lieu de spiritualité retiré dans la vallée de Chevreuse, à quelques encablures de la capitale, Port-Royal a ouvert depuis 1625 une seconde maison, à Paris, qui attire à son tour une communauté de « solitaires », ce groupe d’hommes acquis au jansénisme. À quelle occasion Philippe de Champaigne est-il entré en relation avec Port-Royal ? En 1643, le directeur et confesseur des religieuses de Port-Royal, Jean-Ambroise Duvergier de Hauranne, plus connu sous le nom d’abbé de Saint-Cyran, mourait après avoir été libéré de la prison de Vincennes où Richelieu l’avait fait enfermer en 1638. La communauté veut alors faire exécuter un portrait posthume de son martyre. Réputé pour ses portraits, alliant réalisme et intériorité, Champaigne est sollicité pour fixer les traits de l’abbé de Saint-Cyran (il en exécutera plusieurs versions).
Il inaugure ainsi une longue série d’images des « héros » de la cause janséniste qui gravitent autour de Port-Royal. Nourris de théologie augustinienne de la prédestination, ces derniers ont adopté le catholicisme austère du Hollandais Jansénius, dont Saint-Cyran avait introduit les idées en France. Pour ces adversaires du libre-arbitre – contrairement aux jésuites –, seul le renoncement au monde permet d’éviter le péché. Peut-être les origines septentrionales de Champaigne ont-elles joué dans ce rapprochement avec Port-Royal, dont les idées convergent en certains points avec les thèses réformées.

Servir l’ascèse des membres de la communauté
En 1648, l’une de ses filles prend le voile dans l’abbaye. Champaigne livre alors une série d’œuvres pour Port-Royal : frontispices de publications jansénistes, tableaux destinés à orner les salles des deux maisons. Si le corpus des œuvres pour Port-Royal n’est pas pléthorique, il constitue cependant, et de manière incontestable, le pan le plus marquant de la production du peintre.
En 1652, Champaigne livre une grande Cène dont il fera une réplique pour Port-Royal-des-Champs. La scène, d’un grand réalisme, donne à voir l’instant de la bénédiction du pain. Elle est traitée sur un fond sombre, sans artifices. Sa monumentalité n’est toutefois pas sans rappeler les scènes des maîtres italiens de la Renaissance. Plusieurs autres tableaux – une Samaritaine, une Madeleine et un Saint-Jean-Baptiste – viennent compléter l’ensemble.
Deux ans plus tard, Philippe de Champaigne réalise un impressionnant Christ mort (Louvre), destinée à l’abbaye de la vallée de Chevreuse. La vérité des traits de ce Christ, figuré dans la trivialité de la mort, rappelle la représentation qu’en avait faite Hans Holbein le Jeune, en 1521. D’autres peintures complétaient enfin ce décor, dont une représentation de Bon Pasteur et un Ecce Homo (tous deux conservés au Musée national de Port-Royal-des-Champs). Les œuvres peintes par Champaigne ne sont pas simplement destinées au décorum des abbayes, mais doivent, au contraire, servir de support à l’ascèse des membres de la communauté.
La finalité contemplative de ces images incite Champaigne à accentuer davantage son réalisme et son goût pour le dépouillement des images, à réduire encore sa palette chromatique, en adéquation avec l’austère pensée janséniste. Outre ces peintures, le peintre est sollicité pour constituer une galerie de portraits de la communauté, dont la mère Angélique, abbesse de Port-Royal, et son frère, Robert Arnauld d’Andilly ou encore de sympathisants.

La guérison miraculeuse de sa fille Catherine
Qu’ils soient laïcs ou religieux, ceux-ci sont toujours figurés tels des saints modernes. Le travail du peintre est parfois ardu, quand il faut travailler à l’insu de modèles qui refusent la flatterie de l’image, contraire à l’humilité prônée par les jansénistes. La mort brutale de l’une des filles du peintre renforce encore ses liens avec la communauté, à qui il cède un certain nombre de ses biens, avant d’accepter d’y laisser partir sa seconde fille, qui prend à son tour le voile. Alors que le malheur frappe à nouveau, c’est elle qui offre à son père le sujet de l’un de ses plus célèbres tableaux, qui constitue l’apogée de son travail dans le contexte de Port-Royal.
Après plus d’un an de paralysie, Catherine guérit comme par miracle. Dans la tradition médiévale, Champaigne peint alors un grand ex-voto, afin d’immortaliser cet instant, et l’offre en remerciement de la guérison miraculeuse de sa fille. Sur cet Ex-voto de 1662 (musée du Louvre), le peintre représente sa fille paralysée, au moment où l’abbesse, vêtue de l’habit blanc frappé d’une croix rouge caractéristique de Port-Royal, prie à ses côtés et reçoit l’apparition lui annonçant la guérison prochaine.
Traitée avec une extrême sobriété, la scène, dénuée de grandiloquence, est tout entière emprunte de retenue et de dignité, alors que le miracle va se produire. L’atmosphère de mysticisme domine. Offerte à l’abbaye, l’œuvre est exposée dans la salle du chapitre, où elle devient le symbole du soutien divin à l’heure où la communauté commence à subir les persécutions des jésuites et du pouvoir royal.
Alors que les moniales sont chassées et les abbayes détruites, seules les peintures de Champaigne continuent à perpétuer leur mémoire, constituant le seul témoignage pictural de l’aventure de Port Royal. Peut-on dire, pour autant, qu’elles en illustrent la doctrine ? Si les théologiens du jansénisme n’ont jamais édicté aucune règle en matière picturale, ils ont en revanche réfléchi au statut de l’image sacrée et à sa fonction, support d’une méditation contemplative. Dans ce contexte, il ne fait nul doute que Champaigne s’en est nourri pour retranscrire dans sa peinture l’ambiance d’intense spiritualité qui animait alors l’abbaye.
Ses peintures sévères, aux sujets facilement intelligibles, traités sans afféterie et dans une palette chromatique réduite, à mille lieux des envolées du baroque, en ont fait l’un des meilleurs interprètes de l’imagerie de Port-Royal. À l’égal, en littérature, de Racine, Pascal ou La Bruyère.

Informations pratiques « Philippe de Champaigne (1602-1674), entre politique et dévotion », jusqu’au 23 juillet 2007. Commissariat”‰: Alain Tapié. Palais des Beaux-Arts de Lille, 18 bis, rue de Valmy, Lille (59). Ouvert du mercredi au dimanche de 10 h à 18 h,le lundi de 14 h à 18 h. Tarifs”‰: 7,50”‰€ et 6”‰€, tél. 03”‰20”‰06”‰78”‰18.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°591 du 1 mai 2007, avec le titre suivant : Philippe de Champaigne, peintre de Port-Royal

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