Marseille joue l’ouverture

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 25 avril 2012 - 959 mots

Visite, en avant-première, des futurs espaces permanents du MuCEM et du Musée d’histoire de la cité phocéenne, deux projets confiés à la scénographe Adeline Rispal.

 Dans le cadre de Marseille-Provence 2013, les musées de la cité phocéenne ont enfin pu bénéficier d’une grande campagne de rénovation. Les deux plus importants chantiers du parc muséal marseillais indiquent, chacun à leur façon, les nouvelles ambitions d’un territoire qui se revendique ouvert sur l’ensemble du monde méditerranéen. Le Musée d’histoire de Marseille est le seul musée municipal à faire l’objet d’une rénovation totale tandis que le MuCEM, le Musée des civilisations pour l’Europe et la Méditerranée, ex-Musée des arts et traditions populaires, est le premier musée national à être décentralisé. C’est la scénographe Adeline Rispal qui a remporté les deux concours (présentés indépendamment l’un de l’autre) pour réaliser leurs espaces permanents respectifs. Visite en avant-première de parcours conçus avant tout comme des lieux de rencontres, de débats, de regards croisés.

Une ouverture sur la Méditerranée
Si l’architecture du MuCEM, imaginée par Rudy Ricciotti, est désormais connue de tous, les 1 800 m2 de l’espace permanent installé au rez-de-chaussée demeurent confidentiels. Et Zeev Gourarier, directeur scientifique et culturel de l’institution, ne tient pas à déflorer une démonstration en cours de finalisation. Néanmoins, les grandes lignes sont d’ores et déjà arrêtées. La visite s’agencera autour de quatre grands axes : la domestication du territoire, les monothéismes, la citoyenneté et l’étendue du patrimoine du bassin méditerranéen. Avant même d’y réfléchir avec les équipes du musée, Adeline Rispal a dû respecter le cahier des charges, très précis, de Ricciotti qui ne voulait surtout pas d’un musée parisianiste parachuté à Marseille.

La scénographe a séduit l’architecte en choisissant de ne pas clore l’espace. La circulation principale se fait le long des façades – ce qui permet d’apprécier pleinement le site –, tandis qu’un cheminement thématique approfondit certains sujets. « Comme dans les calanques, on s’enfonce dans les collections, avec des espaces plus confinés », précise-t-elle. Pour répondre à l’architecture puissante de Ricciotti, la scénographie s’est construite « en douceur » en conservant l’amplitude de la salle. Quasi immatérielles, les cloisons de tissus dessinent un parcours lourd de sens. Ici, il est bien question du voile, des voiles, et, surtout d’une Méditerranée qui s’est construite sur la base de nombreux échanges, de multiples cultures. Les voiles fixés aux poutres de béton de Riciotti filtrent la lumière directe et permettent au visiteur de prendre le large dans un espace totalement flexible, modulable, laissant le bâtiment visible. « Il faut donner la parole aux acteurs de la Méditerranée et s’adresser à des publics les plus larges possibles. Je pense aux jeunes de plus de 13 ans. Pour capter leur attention, le musée ne pourra se passer du numérique », note Adeline Rispal. Parmi les dispositifs novateurs qu’elle a proposés, de vastes écrans LED pourraient diffuser, en temps réel, des images filmées dans d’autres institutions comme le Musée de Jérusalem, le Musée des arts islamiques du Caire et celui du Vatican, et ainsi, tisser des liens de part et d’autre de la Méditerranée.

Un écrin pour le Port antique ressuscité
Pour le Musée de l’Histoire de Marseille, on retrouve la marque de fabrique d’Adeline Rispal et sa propension à « cloisonner les grandes sections sans cloisonner le regard » selon ses propres termes. Installé dans un vilain centre commercial du quartier de la Bourse, le musée a été créé suite à la découverte fortuite, en 1967, au moment de la construction du complexe, des vestiges archéologiques du port où débarquèrent les Grecs, il y a quelque 2 600 ans. Sauvés in extremis de la destruction par André Malraux qui les fit classer, les restes du Port antique toujours visibles dans le jardin du Centre Bourse, sont au cœur du projet imaginé par l’architecte Roland Carta. Le musée été pensé comme un écrin protégeant et unifiant le site.

De nouveaux espaces ont pu être récupérés afin d’agrandir et refondre totalement l’institution, pour un budget global de 21 millions d’euros. Désormais le musée se déploie sur 7 000 m2 dont 3 400 m2 de salles d’exposition qui présenteront, notamment, les vestiges de bateaux grecs. Adeline Rispal et ses équipes ont travaillé en étroite relation avec Roland Carta et le directeur du musée Laurent Védrine. Malgré une apparence peu gracieuse, le bâtiment des années 1960 a l’avantage d’offrir de grands volumes, donc de nombreuses possibilités d’aménagement. La scénographe ne s’y est pas trompée et, plutôt que de chercher à lutter contre l’édifice, elle a décidé de jouer avec.

Elle a ainsi utilisé les lourds poteaux du rez-de-chaussée pour compartimenter les espaces d’exposition et présenter les vestiges des embarcations grecques, comme si elles étaient prêtes à partir. D’un seul coup d’œil, le visiteur pourra prendre la mesure du passé de l’antique Massilia, gigantesque port du monde Méditerranée. Le mobilier a, lui, été imaginé à échelle humaine, comme autant de ballots de dockers, servant aussi bien d’assises que de supports multimédias, de parcours enfants ou de signalétiques. Le long du musée, des façades de verre sérigraphié, référence directe à l’eau, ont été conçues avec Roland Carta. Les lignes verticales dessinées sur ces façades tout en transparence forment un écran apaisant qui expose le site archéologique comme s’il était mis sous vitrine. À l’intérieur, des écrans de réalité augmentée y seront accrochés, diffusant les images du le site tel qu’il pouvait se présenter au temps de la ville grecque. Depuis l’extérieur, ils seront perçus comme des sortes de fenêtres sur le musée. Ici encore, la scénographie crée des liens subtils, plus ou moins visibles, entre l’œuvre et le visiteur ; elle travers le temps et l’espace pour inciter à la découverte de l’autre.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°368 du 27 avril 2012, avec le titre suivant : Marseille joue l’ouverture

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