Exposition

L’art délicat de la mise en espace

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 24 avril 2012 - 1166 mots

Chargée de donner du sens aux salles temporaires ou permanentes des musées, la scénographie d’exposition est une discipline qui manque encore de lisibilité.

L’exposition qui vient d’ouvrir ses portes à Paris au Musée du quai Branly convie ses visiteurs à une expérience sensorielle déroutante née d’une réflexion sur le désordre du monde et le rôle de l’artiste. Pour mettre en forme et en espace ses idées, le commissaire de la manifestation Jean de Loisy, président du Palais de Tokyo, a fait appel aux scénographes de l’agence Jakob MacFarlane. Ils ont conçu une structure d’acier et de plâtre, souvent laissée brute, pour créer un parcours dynamique composé de multiples cellules où les œuvres se révèlent au regard de façon singulière et inattendue. La scénographie joue ici sur les notions de transformation, d’inachevé ; elle fait partie intégrante du projet. De fait, elle se remarque, ses intentions sont visibles, alors que, le plus souvent, la scénographie est vécue par le public sans qu’il y prête une attention particulière.

Redéfinir la discipline
Quelles réalités recouvrent aujourd’hui la scénographie d’exposition ? Comment mettre en espace un propos dans des salles d’exposition permanente ou temporaire ? Comment travaille le scénographe, à la fois technicien et créateur, mandaté par des musées ou autres institutions culturelles, faisant lui-même appel à différents corps de métiers ? Créée il y a quatre ans pour tenter de fédérer la profession, l’association des scénographes apporte quelques éléments de réponse dans la charte qu’elle a publiée en janvier 2010 : « Une scénographie est une œuvre de l’esprit, c’est le résultat d’une démarche intellectuelle et artistique et d’un dialogue entre les œuvres, le programme historique ou scientifique, les messages pédagogiques et les lieux d’exposition contemporains ou patrimoniaux. » Ainsi, « le scénographe crée, interprète, poétise, rythme, cadence, souligne et structure des espaces, des univers, des ambiances autour des œuvres de collection et des messages pédagogiques » ; c’est lui qui assure « la cohérence globale de l’exposition ».
Le terme même de scénographie est loin de faire l’unanimité et correspond à une discipline dont l’origine demeure floue. Kinga Grege, jeune scénographe indépendante, a consacré son mémoire de fin de diplôme au sujet. Pour elle, la scénographie prend corps à la Renaissance, avec l’apparition des collections exposées dans les galeries privées et des cabinets de curiosité, bien avant la création, au XVIIIe siècle, du musée dans son acception moderne, avec l’inauguration du Louvre. En choisissant d’exposer leurs œuvres comme ils le souhaitaient, les artistes des avant-gardes du XXe siècle ont développé de nouvelles perspectives tandis que les musées d’ethnographie ont introduit des innovations dans la muséographie en cherchant à contextualiser l’objet. George-Henri Rivière, fondateur du Musée national des arts et traditions populaires, réinventeur du Musée de l’Homme avec Paul Rivet, a élaboré de nouveaux outils de médiation à destination du public. Le terme de muséographie était alors mis en avant pour évoquer ce que l’on nomme aujourd’hui scénographie, d’où une confusion toujours existante entre les deux termes. Les années 1970 marquent un grand tournant avec le Centre Pompidou dont la politique d’exposition novatrice s’appuyait sur les concepts d’espace modulable, d’événementiel et sur l’importance accordée aux publics. Avec les années 1980, les contours de la scénographie se précisent : il s’agit de la mise en espace ; la muséographie, elle, concerne l’élaboration du contenu. Mais de nombreux contresens demeurent car le terme même de scénographie provient du monde du théâtre. Si bien qu’aujourd’hui, il existe trois types de scénographes : les scénographes d’équipement, ceux qui sont en charge d’exposition et les scénographes de théâtre, cette dernière catégorie ayant tendance à empiéter sur le territoire de la seconde, avec des résultats plus ou moins heureux. « Le terme scénographe n’est pas clair. Les Anglo-Saxons ont résolu le problème avec le terme exhibition designer ou Museum architect, tandis qu’en Allemagne, on utilise celui d’Ausstellungsartchitekt. Personnellement, je trouve qu’architecte d’exposition conviendrait mieux », considère la scénographe Adeline Rispal. Les scénographes viennent ainsi d’horizons différents : la mise en scène de théâtre, l’architecture et d’autres domaines, comme l’architecture d’intérieur. C’est le cas de Nathalie Crinière, à qui l’on doit la scénographie de l’exposition sur les plans-reliefs organisés l’hiver dernier au Grand Palais ou, actuellement, celle de « Phares » au Musée national de la Marine. Chargée d’assurer la scénographie du Louvre Abou Dhabi, le projet lui aurait finalement été retiré pour revenir dans l’escarcelle de l’architecte Jean Nouvel, auteur de la future antenne de l’établissement public. Hubert le Gall, auquel font régulièrement appel le Grand Palais ou le Musée Jacquemart-André, lui, se définit comme un designer, créateur et sculpteur. Autre cas de figure, la scénographie de l’exposition « URSS, fin de partie » qui s’est terminée fin février aux Invalides, au Musée d’histoire contemporaine, était le fruit du travail d’un collectif prénommé Au fond à gauche, composé de graphistes et plasticiens…

Encadrer la profession
Ne disposant pas de formation précise (lire l’article p. 21), la profession se trouve ainsi éparpillée et relativement isolée, alors qu’il existe, à l’étranger, d’importantes entreprises réunissant les différentes compétences techniques et artistiques nécessaires à la réalisation d’un projet. Ainsi en est-il de Ralph Appelbaum aux États-Unis ou de l’atelier Brückner, en Allemagne, une agence d’architectes scénographes qui emploie quelque 70 personnes. En France, quelques rares établissements à l’image de la Cité des sciences à la Villette disposent de leurs propres équipes, mais ils font figure d’exception. Afin de « faire connaître et reconnaître » le métier de scénographe et « éclairer ses missions et son rôle dans un projet d’exposition temporaire ou permanente », l’association des scénographes a vu le jour en 2008. La Charte des scénographes qu’elle est parvenue à rédiger, deux ans plus tard, vise aussi à mettre de l’ordre dans les procédures d’appels d’offres et à mieux encadrer ce métier affilié à la loi MOP (Maîtrise d’ouvrage publique). Le choix du scénographe est en effet soumis au code des marchés publics, et certains maîtres d’ouvrage, comme le Centre des monuments nationaux, ne rémunèrent pas le travail fourni lors des consultations. Les scénographes pourraient bientôt refuser de concourir dans de telles conditions. Autre point qui pose problème : le calcul des honoraires, calqué sur celui des architectes (alors que les budgets qui leur sont dévolus n’ont rien à voir), qui se fait sur la base d’un pourcentage du coût des travaux (environ 10 à 15 %). Or, pour l’association, ce mode de calcul est devenu « irréaliste » étant donné que les compétences requises se sont multipliées et les aspects techniques, largement enrichis. Pour l’heure, à part quelques pointures qui ont su tirer leurs épingles du jeu et multiplier les chantiers, notamment en s’ouvrant au privé, ce métier de la Culture rencontre, lui aussi, des difficultés économiques tangibles, toutes générations confondues. Les musées ne sauraient pourtant se passer de ces professionnels pluridisciplinaires, sensibles à la fois aux aspects techniques, aux considérations scientifiques ou artistiques, et dont la mission principale consiste à donner du sens.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°368 du 27 avril 2012, avec le titre suivant : L’art délicat de la mise en espace

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