New York

Le Whitney franchit les limites du formalisme

Très expérimentale, la Biennale du Whitney porte un regard subjectif sur les marges de notre société occidentale.

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 24 avril 2012 - 622 mots

NEW YORK - À l’image de l’installation proposée par Gisèle Vienne, la Biennale du Whitney Museum, à New York, 76e du nom, est un bien curieux objet qui, d’emblée accueille le visiteur à un étage presque vide, où est installé un espace dévolu à la danse, la performance et les projections, dont le programme est vertigineux.

Parmi les cinquante et un artistes invités, Vienne s’est donc associée à l’écrivain Dennis Cooper pour installer, dans le coin d’un espace sombre et étriqué, un mannequin animé déclamant une sorte de phobie face à sa condition d’adolescent et son incapacité à s’échapper des limites fixées par son propre esprit (Last Spring : A Prequel, 2011). La problématique du franchissement des limites est bien ce qui occupe l’essentiel du propos de cette exposition, qui scrute les artistes et leurs travaux à l’aune de stratégies alternatives, où sont mises en exergue la marginalité dans ce qu’elle a de plus vulnérable, socialement, économiquement et visuellement parlant. Ainsi, Wu Tsang, cinéaste et performeur de Los Angeles, a-t-il installé dans une salle, un décor mi-bar mi-loge de théâtre, où deux films proposent des différences d’interprétation et de perspectives quant à la question des transgenres originaires d’Amérique latine (Green Room, 2012). Ou LaToya Ruby Frazier qui, avec ses clichés en noir et blanc, scrute la vie de sa vie famille aujourd’hui, en Pennsylvanie, en période de crise économique. Occasion est donnée de redécouvrir peintures et archives de Forrest Bess (1911-1977), peintre et pêcheur retiré sur la côte du Golfe du Texas, qui élabora une théorie sur l’unité de l’homme et de la femme et pratiqua sur lui-même des opérations afin de devenir un pseudo-hermaphrodite.

L’exposition devient parfois davantage celle de personnalités d’artistes, de leur vision du monde et leur manière d’aborder le cours des choses dans des attitudes et des processus que dans des œuvres envisagées au sens premier de leur seule objectivation. Dawn Kasper s’est ainsi installée pour trois mois dans une salle emplie par un désordre indescriptible, entre atelier et lieu de vie, les deux se confondant sans doute, pour une nouvelle étape de son Expérimentation pour une pratique d’un atelier nomade entamée en 2009.

Visions postapocalyptiques
D’autres artistes émettent des interrogations sur un ralentissement nécessaire au développement technologique ou à l’avancée à marche forcée. Une part de l’exposition distille ainsi une atmosphère entre-deux, à la temporalité indéfinie, entre inconnues liées à la science-fiction ou à la dystopie. Les expériences de Sam Lewitt, où des particules magnétiques suspendues dans un liquide provoquent des agrégats mouvants ayant un aspect solide paraissent bien vaines et fragiles (Fluid Employment, 2012) ; on touche là encore aux limites et à la vaine tentative de définition des choses. Et alors que Luther Price projette des diapositives très anachroniquement exécutées à la main (Handmade Slides, 1999), la très belle salle consacrée à Thom Thayer, entre marionnettes, tableaux composés de pauvres assemblages et carcasses d’ordinateurs diffusant des images à l’esthétique arriérée fait entrer de plain-pied dans une culture post-apocalyptique où la technologie semble à l’agonie.
Mais cette biennale plus expérimentale qu’à l’accoutumée entretient également les défauts de ses qualités. Portée par sa considération des démarches libératrices et à la marge, elle s’embarque vers certains territoires plus formalistes, moins pertinents. Non que le formalisme soit devenu un gros mot, comme semblent l’affirmer certaines critiques à son encontre, mais plutôt à cause d’une certaine coquetterie – dont certainement les intéressés se défendraient – qui semble porter les tableaux d’Andrew Masullo ou les sculptures de Vincent Fecteau ou Cameron Crawford par exemple, dont le résultat apparaît plus maniéré que franchement convaincant. Leur profusion complexifie inutilement un propos déjà peu  limpide à lire.

WHITNEY BIENNAL

Commissariat : Jay Sanders, commissaire indépendant et Elisabeth Sussman, conservatrice au Whitney Museum.
Nombre d’artistes : 51

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°368 du 27 avril 2012, avec le titre suivant : Le Whitney franchit les limites du formalisme

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