Confrontations

Les grands maîtres et les femmes

Le Journal des Arts

Le 24 avril 2012 - 644 mots

À Munich, une spectaculaire exposition réunit les femmes tantôt sensuelles,
maternelles ou menaçantes de Picasso, Beckmann et De Kooning.

MUNICH - Pour ses dix ans d’existence, la Pinakothek der Moderne de Munich a vu les choses en grand. Quatre ans de préparation furent nécessaires à l’institution pour exposer jusqu’en juillet les « femmes » (« Frauen ») de Pablo Picasso, Max Beckmann et Willem de Kooning, grâce à des prêts de prestige venus du monde entier. Pourquoi ces trois artistes ? « Le point de départ a été Beckmann, largement représenté dans les collections du musée », explique Carla Schulz-Hoffmann, commissaire de l’exposition et grande spécialiste du peintre. « Ensuite, Picasso s’est imposé en contrepoint, tellement leurs rapports à la féminité s’entrecroisent et se confrontent aux expérimentations artistiques de l’époque. Puis de Kooning, leur cadet, est logiquement venu, poussant la représentation du féminin à son extrême. »
Le parcours thématique confronte les regards de ces trois artistes sur les femmes, tour à tour fantasmes, mystères, compagnes, muses ou modèles, simple motif ou sujet primordial. D’entrée, l’élément biographique a été placé au second plan. Au fil des salles, on croise Minna et Quappi, les épouses de Max Beckmann, parfois Olga ou Dora Maar qui traversèrent la vie de Picasso, sans s’appesantir sur leurs histoires personnelles. Tout juste le visiteur aura droit en fin de visite à de brèves notices biographiques sur les femmes de l’entourage des peintres.  Entre « Portrait, type, Idole », « Harmonie, tranquillité » ou « Passion, extase, exubérance », les sections thématiques s’enchaînent, égrainant avec élégance les chefs-d’œuvre dans un accrochage qui entremêle avec subtilité les œuvres de Beckmann et Picasso, mais laisse De Kooning relativement isolé, à l’image de ses femmes-paysages  si éloignées des préoccupations de ses deux aînés.

Les « femmes » de Picasso et de Beckmann conversent
De Picasso, on retiendra une image kaléidoscopique, tant la femme qu’il peint change, se transforme, à l’image de son art : entre la dryade de Nu dans la forêt (1908, Musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg), figure cubiste déifiée et monumentale, et La pisseuse (1965, Centre Pompidou), représentation scandaleuse et détournée du nu féminin dans son intimité la plus prosaïque, le maître avance et crée l’art du XXe siècle. Dans Le peintre et son modèle, (1963, Munich), elle est la figure à peine esquissée de l’œuvre en devenir, tandis que les couples s’étreignent dans une sensualité extrême. Beckmann, et c’est la grande réussite de l’exposition, n’est pas diminué par la confrontation avec Picasso. Alors que ses autoportraits sont incisifs et sans concession, lorsqu’il se penche sur la représentation féminine, son œuvre se teinte de douceur. Des femmes, il préfère représenter l’élément de stabilité dans le quotidien : Siesta (1924-1931, Collection privée) en est la démonstration manifeste, moment de calme et de sérénité dans un couple. Mais, ses œuvres peuvent se faire plus inquiétantes et menaçantes, telles ses figures de carnaval, motif cher au peintre, montrant la dualité et la confusion des identités. Dans un étonnant triptyque, La tentation de saint Antoine (1936-1937, Pinakothek der Moderne, Munich), la femme n’est pas vue comme la tentatrice de la Genèse, mais comme une vision onirique qui échappe à la compréhension de l’homme, sans cesse hors de portée malgré les tentatives d’enfermement. Le catalogue fait la part belle aux essais d’écrivains. Siri Hustvedt, romancière et compagne de Paul Auster, signe notamment un texte sur les regards superposés : son propre regard de femme posé sur l’œuvre de ces hommes qui regardent et peignent les femmes ; les gender studies ne sont pas loin. On pourrait regretter que ces perspectives ne soient pas mieux explicitées dans l’exposition. Au sortir de « Frauen », le mystère féminin n’aura pas été résolu, mais la vision de trois artistes mise en lumière de belle manière.

Frauen

Commissaire d’exposition : Carla Schulz-Hoffman, conservatrice et directrice adjointe des musées de Bavière
Nombre d’oeuvres : 91

FRAUEN, PABLO PICASSO, MAX BECKMANN, WILLEM DE KOONING

Jusqu’au 15 juillet, Pinakothek der Moderne, Barer Straße 40, Munich, tél. 49 892 3805-360, www.pinakothek.de, tlj. sauf lundi 10h-18h, jeudi jusqu’à 20h. Catalogue (en anglais), éd. Hatje Kantz, 348 p. 49,80 €, ISBN 978-3-7757-3266-6

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°368 du 27 avril 2012, avec le titre suivant : Les grands maîtres et les femmes

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