Sculpture

Le geste virtuose de Nicolas de Leyde

À Strasbourg, le musée de l’Œuvre Notre-Dame tente de reconstituer le parcours lacunaire d’un sculpteur en avance sur son époque.

Par Suzanne Lemardelé · Le Journal des Arts

Le 24 avril 2012 - 643 mots

STRASBOURG - De la vie de Nicolas de Leyde (vers 1430-1473), on ne sait rien ou presque. Sa naissance supposée aux Pays-Bas, son court séjour à Strasbourg entre 1462 et 1467 et sa mort en Autriche, au service de l’empereur Frédéric III, sont les seuls jalons connus de sa carrière de sculpteur.

Au vu de certains de ses travaux, on suppose des voyages en Bourgogne, ou dans le nord de la France, mais faute de sources et d’œuvres conservées, onze années de sa vie seulement sont documentées. Un oubli qui contraste avec la notoriété dont l’artiste jouissait de son vivant, lui qui était sollicité par les plus grands. Dès 1462, l’archevêque de Trêves lui confie la réalisation de son tombeau. Cinq ans plus tard, c’est l’empereur en personne qui réclame sa venue à la cour de Vienne. La chose n’est pas aisée, Frédéric III devra adresser deux lettres à la Ville de Strasbourg avant de convaincre l’artiste de venir exécuter son tombeau dans la cathédrale de Vienne.
Première présentation monographique consacrée au sculpteur, l’exposition a d’abord été montrée au Musée Liebieghaus Skulpturensammlung de Francfort (du 27 octobre 2011 au 4 mars 2012), avant de rejoindre le Musée de l’Œuvre Notre-Dame dans une version quelque peu différente. Si l’ambition reste la même, à savoir rassembler le plus grand nombre possible d’œuvres de l’artiste, le musée strasbourgeois compense l’absence de quelques sculptures par une belle démonstration des aspects novateurs de l’art de Nicolas de Leyde.

Des bustes tout en mouvement
Inspiré par les peintres des Pays-Bas méridionaux, le sculpteur témoigne d’un intérêt assurément moderne pour l’homme et sa physionomie. Ce regard nouveau que portent alors certains artistes sur le monde qui les entoure, il le transpose dans l’espace tridimensionnel. En témoigne son célèbre Buste d’homme accoudé (1463 ?), dont les yeux clos et le menton posé dans la paume de sa main évoquent une méditation et une introspection qui contrastent avec le dynamisme tourbillonnant de sa position. Statique et pourtant en mouvement, ce penseur médiéval est l’un des nombreux bustes présentés dans l’exposition. Car s’il n’invente pas la formule, Nicolas de Leyde l’utilise avec brio. Ses bustes de saintes ne sont plus des femmes en pied coupées sous les épaules. Elles se penchent, s’accoudent à une balustrade imaginaire, tournent la tête et appellent le spectateur du regard. L’un des points forts du parcours est la réunion de la Tête d’homme barbu ou prophète (1463, conservée à Strasbourg) et de la Tête d’une sibylle (1463, conservée à Francfort), seuls fragments encore existants du portail de la Chancellerie de Strasbourg. Endommagé dans un incendie puis détruit après la Révolution, ce grand ensemble sculpté fut l’une des commandes les plus importantes passées à Nicolas de Leyde lors de son séjour strasbourgeois. Disparus en 1870, lors du bombardement de la ville, les deux fragments refont surface au début du XXe siècle et suscitent alors une rivalité entre conservateurs allemands et français, les premiers n’hésitant pas à qualifier de « Néfertiti de l’art germanique » la délicate figure de jeune femme. En plus des têtes originales, des moulages des bustes complets, exposés en hauteur, permettent au visiteur d’appréhender l’installation des deux personnages dans le portail et la manière dont leurs regards surplombaient l’arrivant. Dans la même salle, une copie moderne du Crucifix de Baden-Baden (1467) impressionne par sa monumentalité et le traitement virtuose du périzonium du Christ. La hardiesse du sculpteur, qui réalise l’ensemble de plus de quatre mètres cinquante dans un seul bloc de grès, prouve encore une fois la virtuosité technique de Nicolas de Leyde. L’influence de cette audace sur l’évolution de la sculpture germanique est abondamment illustrée dans les salles, notamment à travers l’œuvre de Tilman Riemenschneider, dont une adorable petite Vierge à l’enfant (1495-1500) clôture le parcours de l’exposition.

Nicolas de Leyde

Commissariat : Cécile Dupeux, Roland Recht et Stefan Roller
Nombre d’œuvres : environ 70

Nicolas de Leyde - Sculpteur du XVe siècle. Un regard moderne

Jusqu’au 6 juillet 2012. Musée de l’œuvre Notre-Dame, 3 place du Château, 67 000 Strasbourg, tél. 03 88 52 50 00, www.musees.strasbourg.eu, tlj sauf lundi 10h-18h, jusqu’à 20h le jeudi. Catalogue, édité par les Éditions des Musées de Strasbourg, 384 p., 36 €, ISBN 978-3-94321-500-7

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°368 du 27 avril 2012, avec le titre suivant : Le geste virtuose de Nicolas de Leyde

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