Restauration

Le Louvre dévoile sa Sainte-Anne

Le Musée du Louvre retrace la genèse et la destinée du chef-d’œuvre de Léonard de Vinci dont la restauration ne fait toujours pas l’unanimité

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 24 avril 2012 - 1066 mots

PARIS

Au terme d’une campagne de restauration controversée, le Musée du Louvre présente au grand public le nouveau visage de « La Vierge, l’enfant Jésus et Sainte-Anne ». À l’occasion de l’exposition qui encadre l’événement, Ségolène Bergeon Langle revient sur les raisons précises de sa démission du Comité scientifique qui a guidé la restauration du chef-d’œuvre de Léonard de Vinci.

PARIS - Bénéficiant d’une impressionnante campagne de communication, la Sainte Anne de Léonard s’affiche partout dans Paris, en unes des magazines, devantures de kiosques, dans le métro, à l’arrière des bus. L’événement était pour le moins attendu. D’une opération de restauration devant aboutir à une exposition dossier, le projet a pris une ampleur telle qu’il occupe aujourd’hui tout l’espace d’exposition du hall Napoléon du Louvre. Le commissaire de la manifestation, Vincent Delieuvin, jeune recrue du département des Peintures, s’est lancé dans une vaste enquête retraçant la genèse de ce chef-d’œuvre auquel Léonard de Vinci consacra la fin de sa vie. « C’est en quelque sorte la suite de l’exposition organisée à Londres. Le parcours vise à faire comprendre l’évolution de l’œuvre, et faire entrer le visiteur dans l’atelier de Léonard, pour essayer de voir tout ce qui s’y est passé », explique-t-il. Pas à pas, le parcours suit l’élaboration du tableau pour en révéler les grandes étapes avant d’évoquer son influence au XVIe et jusqu’au XXe siècle – une deuxième partie d’exposition un peu longue dans laquelle le conservateur s’est fait plaisir en associant à son propos rien de moins que des œuvres de Michel-Ange ou Raphaël. Discrète et efficace, jouant sur les différents points de vue, la scénographie sert au mieux le discours scientifique. Bénéficiant de prêts exceptionnels, comme les 22 dessins de la collection de la Reine Elizabeth II, la démonstration débute avec trois études de proposition témoignant de la technique expérimentale de Léonard pour disséquer le mouvement. Aux côtés des divers dessins préparatoires de la main du maître, des versions d’atelier, copies d’époque et variantes, de qualités très inégales, montrent comment la composition a évolué au fil du temps. Au cœur de l’espace, point d’orgue de l’exposition, la Sainte Anne s’offre au visiteur aux côtés du très fragile carton de Burlington House exceptionnellement prêté par la National Gallery, à Londres.

L’éclairage, très délicat qui enveloppe les deux œuvres ne permet pas de mesurer pleinement l’intervention réalisée sur le tableau du Louvre, mais, pour Ségolène Bergeon Langle, ancienne directrice du service de restauration des peintures des musées nationaux et de l’Ifroa (actuel Institut national du Patrimoine), qui avait donné sa démission du Comité scientifique constitué pour l’occasion, la restauration a été trop interventionniste. Les panneaux explicatifs indiquent, a contrario, une opération exemplaire. Dans le catalogue, Pierre Curie, responsable de la filière Peinture du département de restauration du C2RMF, et la restauratrice du tableau, Cinzia Pasquali, affirment que la fragilité des tableaux de Léonard n’est pas avérée – la couche picturale serait une « matière extrêmement résistante » – et que le sfumato est une vue de l’esprit – ce ne serait « ni une technique, ni une façon de peindre, ni une matière ». Interrogé sur ce point, l’historien et chercheur Jacques Franck, s’en étonne : « L’emploi du mot sfumato pour désigner un modelé très fondu fut adopté en Italie dès le XVIe siècle. Léonard lui-même utilise le verbe sfumare (faire vaporeux, fondre) et son participe passé substantivé sfumato pour en parler ». Relativiser la fragilité des œuvres de Léonard, de même que nier l’incroyable finesse du sfumato, n’a rien de fortuit : cela balaye d’un trait les craintes à vouloir les restaurer… D’ailleurs, la présentation du Saint Jean Baptiste ou de La Vierge aux rochers, peu mis en valeur relativement à la Sainte Anne, ne constitue-t-elle pas un appel, à peine dissimulé, pour restaurer les autres Léonard du Louvre ? Encore faudrait-il être disposé à porter un regard critique sur l’acte accompli, et, enfin, lancer le débat qui s’impose sur les méthodes et moyens actuels de la restauration.

Entretien avec Ségolène Bergeon Langle

Daphné Bétard : Pourquoi avoir démissionné du comité scientifique constitué pour la restauration de la Sainte Anne ?
Ségolène Bergeon Langle : En janvier 2011, le comité était d’accord pour un allègement modéré des vernis et la suppression des taches du manteau de la Vierge. Mais entre juillet et octobre 2011 un degré plus prononcé a été réalisé et présenté comme « nécessaire », ce que j’ai contesté. Je me suis retrouvée face à des personnes qui récusaient mon avis plus technique qu’esthétique. Mes douze lettres demandant des précisions sur certains aspects de l’opération et sur les matières de retouche à utiliser sont restées sans réponse. J’ai dû donner ma démission (le 20 décembre) pour, enfin, être écoutée, du moins sur un point : on a renoncé aux couleurs Gamblin dont l’innocuité n’est pas prouvée. Dès le départ, des idées fausses ont été avancées, comme d’appeler repeints des reprises par l’artiste dans l’ébauche ou d’attribuer les soulèvements de la couche picturale au « vernis qui tire » alors qu’ils étaient dus au débitage du bois…

D.B. : Que pensez-vous du travail accompli ?
S.B.L. : Pour moi, le principe de précaution n’a pas été respecté. Il faut se rendre à l’évidence, il y a moins de modelé dans le visage de la Vierge. Le nettoyage aurait du aller moins loin. J’ai été, cela dit, heureuse que l’on conserve le bosquet et la matière du terrain que certains « sentaient » non originale (d’ailleurs entre janvier et avril 2011, une zone brun-vert de terrain, sous le coude de Sainte Anne, avait déjà été enlevée). Cause de profondes divergences, le blanchiment sur le corps de l’Enfant a été pris pour un chanci (de vernis tardif). Je penchais plutôt pour l’altération irréversible du matériau original d’un glacis et me prononçais pour la conservation de cette couche ; je n’ai pas été entendue.

D.B. : À mots couverts, l’exposition suggère de restaurer les autres peintures que le Louvre possède de Léonard de Vinci, qu’en pensez-vous ?
S.B.L. : Surtout pas ! Dans Saint Jean Baptiste, la matière picturale originale, riche en huile, présente des craquelures prématurées et peut s’avérer fragile au nettoyage. Les méthodes scientifiques sont indispensables, encore faut-il savoir les interpréter et faire preuve de sagesse… Il y a actuellement trop de hardiesse source d’erreurs et une fascination inquiétante pour l’infrarouge qui révèle une sous-couche qui, jamais, n’a été faite pour être vue.

LA SAINTE ANNE, jusqu’au 25 juin, Musée du Louvre, 75001 Paris, tél. 01 40 20 52 63, www.louvre.fr, tlj sauf mardi, 9h-17h45, 19h45 le week-end et 21h45 mercredi et vendredi. Catalogue Musée du Louvre/Officina Libraria, 444 p., 45 €, ISBN 978-88-89854-87-7

Légende Photo :
Léonard de Vinci, Sainte Anne, la Vierge et l’Enfant jouant avec un agneau dit La Sainte Anne, dans la phase finale de sa restauration, huile sur bois, musée du Louvre, Paris. © Photo : RMN, musée du Louvre / René-Gabriel Ojéda.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°368 du 27 avril 2012, avec le titre suivant : Le Louvre dévoile sa Sainte-Anne

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