Archéologie

Anniversaire : l’Inrap tient tête

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 24 avril 2012 - 764 mots

Malgré les critiques persistantes, l’archéologie préventive souffle crânement ses dix bougies sur des années chahutées et fécondes.

PARIS - Plus de 112 000 hectares explorés, près de 17 000 diagnostics et plus de 2 200 fouilles publiées : dix ans après sa création, le 1er février 2002, en application de la loi relative à l’archéologie préventive du 17 janvier 2001, l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) n’a pas à rougir de son bilan. Au contraire, la somme des découvertes majeures que cet opérateur des ministères de la Culture et de la Recherche a pu produire est colossale. En témoigne une floraison de publications et de colloques destinés à célébrer cet anniversaire. « De la préhistoire au XXe siècle, des pans entiers de l’histoire de France ont ainsi pu être réécrits grâce aux archives du sol », explique ainsi Jean-Paul Jacob, président de l’Inrap et lui-même archéologue. Sans parler de sujets pour lesquels ces « légistes de l’histoire » apportent des éléments matériels irréfutables. « Nous savions par exemple que la Grande Guerre avait été engagée dans la précipitation. Mais quand nous retrouvons lors de fouilles des soldats chaussés de chaussures de ville, certains présupposés deviennent irréfutables », poursuit Jean-Paul Jacob.

L’archéologie préventive a en effet ses vertus : elle sonde large et au gré de l’aménagement du territoire, seuls 6 à 8 % des projets étant toutefois précédés d’études. Non dans le but de figer, mais pour « une sauvegarde par l’étude », les sites ayant in fine vocation à être détruits pour laisser place à des infrastructures. C’est le cas des quelque 168 découvertes significatives, de la nécropole des 18 cavaliers gaulois de Gondole (Puy de Dôme), aujourd’hui disparue sous une route, au baptistère paléochrétien d’Ajaccio (Corse), enfoui sous un parking souterrain et un immeuble d’habitation, présentés dans un ouvrage bilan qui constitue, selon l’Inrap, une « véritable rupture épistémologique ».

Un parcours semé d’embûches
La bataille aura pourtant été âpre. Né dans la douleur alors qu’une Convention, dite de Malte, faisait dès 1992 obligation à tous les pays européens d’assurer des fouilles préventives en préalable à tous travaux d’aménagement du territoire, sous-financé dès sa création, l’Inrap a subi en dix années une succession de crises auxquelles bon nombre d’établissements n’auraient pas survécu. Et quelques-uns des remèdes apportés à des maux mal diagnostiqués – des délais trop longs du fait d’une surprescription de diagnostics et d’un plafonnement d’emplois – pourraient encore le handicaper. Amendée en 2003 sous l’égide du ministre de la Culture Jean-Jacques Aillagon, l’Inrap doit depuis composer avec d’autres intervenants : les diagnostics peuvent être pilotés par des services de collectivités locales et les fouilles menées par des opérateurs privés. Une ouverture à la concurrence qui laisse sceptique la communauté des archéologues. « L’aménageur n’achète pas de la recherche archéologique : il achète les services d’une entreprise qui l’aide à libérer ses terrains au moindre coût et au plus vite », relève Jean-Paul Demoule, président de l’Inrap de 2002 à 2008, dans un ouvrage sans concessions publié l’occasion de ces dix ans (voir page livre).

Quelques saccages de sites, comme celui de la villa gallo-romaine de la Garanne (Bouches-du-Rhône), menés par un opérateur parti depuis prospérer en Chine, ont confirmé ces craintes (lire Le Journal des Arts, n° 325, 14 mai 2010). L’Inrap a donc résisté – il effectue encore 70 % des fouilles –, mais les assauts contre ce dispositif réglementaire n’ont de cesse de revenir, inlassablement, tous les ans, telle une lame de fond. Fin 2011, une tentative de réforme du financement de l’archéologique préventive s’est soldée par une demi-victoire : l’Inrap, qui n’avait jamais reçu de dotation initiale, a été recapitalisé à hauteur de 21 millions d’euros, mais le taux de la redevance d’archéologie préventive (RAP), pourtant déficitaire, n’a pas été revu. Les mêmes poncifs ont été entendus, du Parlement à la Rue de Valois, comme le rappelle Jean-Paul Demoule, citant Frédéric Mitterrand, déclarant en juin 2011 dans Le Nouvel Observateur au sujet du château de Blérancourt : « Puis l’archéologie préventive est venue, a creusé des trous pour rechercher trois os de poulet mérovingiens, qu’elle n’a pas trouvés. Mais le trou est là. » Un tel mépris semble pourtant bien disproportionné eu égard au coût très relatif de l’archéologie préventive : entre 150 et 200 millions d’euros par an, soit 3 euros par an et par habitant. Ou 0,2 % du budget du sacro-saint secteur du Bâtiment et des travaux publics.

Livre

Cyril Marcigny et Daphné Bétard, La France racontée par les archéologues. Fouilles et découvertes au XXIe siècle, Gallimard/Inrap, 222 p., 28 euros, ISBN 978-2-07-013725-1

Légende photo

Vue générale d’inhumation en pleine terre à la Ciotat au XVIIe siècle. © Photo : Thierry Maziers/Inrap

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°368 du 27 avril 2012, avec le titre suivant : Anniversaire : l’Inrap tient tête

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