Réponses pour François Hollande, PS (Parti socialiste)

« Rendre la culture plus accessible passe par l’école »

Par Le Journal des Arts · Le Journal des Arts

Le 11 avril 2012 - 2009 mots

Ces réponses ont été rédigées par Aurélie Filippetti, responsable du pôle culture, audiovisuel, médias.

Le Journal des Arts : Quel bilan tirez-vous de la politique culturelle des cinq années qui viennent de s’écouler ?
Aurélie Filippetti : Je suis frappée par l’absence de tout grand dessein pour la culture qui a marqué les cinq dernières années.
C’est d’ailleurs une rupture dans l’histoire récente de notre pays tant les présidents de droite comme de gauche avaient toujours démontré, jusqu’à ce dernier quinquennat, une grande ambition pour les arts. Que l’on songe aux maisons de la culture lancées par Malraux et le Général de Gaulle, au Centre Pompidou qui a replacé Paris au cœur de la création moderne et contemporaine, au Musée d’Orsay voulu par Valéry Giscard d’Estaing, au Grand Louvre ou à la nouvelle Bibliothèque nationale voulue par François Mitterrand et à la formidable dynamique portée par Jack Lang pour l’accès de tous à la culture après 1981. Que l’on songe aussi au succès public du Musée du quai Branly né de la passion de Jacques Chirac pour le dialogue de toutes les cultures.
Aujourd’hui, les acteurs du monde culturel que je rencontre me disent surtout l’indifférence voire le mépris qu’ils ont ressenti ces dernières années au-delà des effets d’annonce si nombreux. Je ne parle pas seulement des professionnels de l’édition et des libraires avec qui nous avons échangé avec François Hollande au Salon du livre et pour qui La Princesse de Clèves est devenue un livre de chevet ! Je pense aux professionnels du spectacle vivant, des arts de la scène et de la rue qui sont fragilisés, aux grandes scènes nationales dont le budget a été rogné sans cesse.
Où en est-on de la décentralisation culturelle ? Elle a été oubliée. Où en est-on de l’éducation artistique ? Elle a été négligée. Et notre action pour accompagner les créateurs français sur la scène internationale ? Elle a été littéralement abandonnée et a subi de plein fouet les fermetures de nos centres culturels à travers le monde. Alain Juppé, avant son retour au gouvernement, et Hubert Védrine s’étaient d’ailleurs insurgés contre cette amputation déraisonnable du budget de notre réseau de coopération culturelle à l’étranger.

JdA : Allez-vous modifier le périmètre et les missions du ministère de la Culture ?
A. F. : L’administration centrale du ministère de la Culture vient de subir une de ces grandes réformes de structure consommatrice de temps et d’énergie, pour un bienfait aléatoire, qui a démobilisé beaucoup de ses agents. Avant de s’inquiéter d’un nouveau périmètre ou d’un nouvel organigramme, je voudrais qu’on me démontre l’efficacité de cette réforme et qu’on corrige le cas échéant ce qui doit l’être. À cet égard, je note que le Comité professionnel des galeries d’art s’est justement élevé contre cette restructuration et s’inquiète de la place désormais secondaire dévolue aux arts plastiques au sein du ministère.

JdA : Si vous, socialistes, êtes élus, allez-vous, diminuer, conserver ou augmenter et dans quelles proportions le budget de la mission « Culture ». Dans cette dernière hypothèse, comment allez-vous financer cette augmentation ?
A. F. : D’abord un constat : celui d’une stagnation du budget de la Culture, voire dans certains cas d’une régression en cours même de gestion qui a été ressentie durement par de nombreux acteurs culturels. Dans certains secteurs, je pense au spectacle vivant qui a payé un lourd tribut, ou à la restauration du patrimoine, cette gestion pour le moins imprudente a compromis l’équilibre financier de certaines structures, de festivals, de compagnies bien implantées.
Dès lors, il va falloir remettre à plat ces différents budgets, déceler les impasses budgétaires et les risques engendrés par la désinvolture qui a marqué la politique culturelle de ces cinq dernières années. Je note que de nombreux projets ont été annoncés et lancés sans même que les financements nécessaires soient réunis. C’est le cas du Palais de Tokyo, même si je connais le talent de Jean de Loisy. C’est évidemment le cas de cette fameuse « Maison de l’histoire de France » si contestée dans son principe même.
Dans le contexte économique que l’on connaît, qui est évidemment très difficile, nous voulons sanctuariser le budget de la Culture et lui rendre des marges de manœuvre indispensables au service du patrimoine, de la création et de la diffusion culturelles, de l’éducation artistique… Je suis convaincue que la culture, la création contemporaine ont partie liée avec l’innovation, avec l’attractivité de notre pays. La culture est aussi un formidable levier de dynamisme économique.
Un autre enjeu sera de poser les bases d’un nouveau contrat entre les collectivités territoriales et l’État tant je crois nécessaire une nouvelle étape de la décentralisation qui n’a pas été poursuivie ces dernières années. Je pense aux écoles d’art par exemple, qui sont déjà largement financées par les collectivités : un nouveau partenariat avec l’État s’impose.

JdA : Avez-vous prévu de lancer la construction d’un ou de plusieurs grands équipements culturels au cours de votre quinquennat ? Si oui, comment allez-vous la financer ?
A. F. : De grands équipements viennent d’ouvrir, je pense au nouveau Centre Pompidou à Metz dont le formidable succès démontre l’avidité, la soif de création et d’art contemporain partout sur notre territoire et de la part de tous les publics, et pas des seuls « initiés ». D’autres ouvriront bientôt comme ce nouveau Louvre à Lens auquel je sais mon ami Daniel Percheron, le président de la Région Nord - Pas-de-Calais, si passionnément attaché. D’autres grands chantiers sont ouverts qui devront être menés à bien avec autant de rigueur et d’enthousiasme. Je pense au très beau projet du MuCEM par Rudy Riccioti à Marseille qui peut devenir demain le musée de référence pour la Méditerranée et confirmer dès 2013 que Marseille est un lieu privilégié du dialogue des cultures. Il nous faut aussi achever la construction de la grande salle philharmonique imaginée par Jean Nouvel à la Villette et dont Paris a besoin pour s’imposer de nouveau comme une grande capitale pour la musique classique.
Et je n’oublie pas que six nouveaux Frac [Fonds régionaux d’art contemporain] dont le projet avait été lancé pendant la présidence de Jacques Chirac, sont actuellement en construction. Encore faut-il que les Frac, dont la situation budgétaire a été fragilisée ces dernières années, puissent conserver les moyens de leur action en faveur de la création contemporaine au cœur de nos territoires. C’est d’ailleurs un des enjeux du nouveau contrat que je souhaite entre les collectivités et l’État dans le domaine culturel.
Les chantiers, vous le voyez, ne manquent pas. Le préalable sera de dresser la liste des projets à poursuivre et d’évaluer les besoins de financement sur la période 2012-2017.

JdA : Allez-vous maintenir la Maison de l’histoire de France ?
A. F. : De musée, le projet s’est mué en simple « Maison ». Une querelle de mots qui dissimule surtout l’embarras général face à ce projet que personne n’a vraiment compris. Je note que la communauté des scientifiques et des historiens a manifesté sa défiance et ses inquiétudes.

JdA
: Quelles mesures concrètes allez-vous prendre pour rendre la culture plus accessible à ceux qui en sont éloignés ?
A. F. : Comme François Hollande a déjà eu l’occasion de le dire, démocratiser l’accès de tous à la culture est pour nous une priorité impérieuse. Une priorité à la hauteur de l’échec évident dont tous les professionnels font le constat aujourd’hui.
Rendre la culture plus accessible aujourd’hui, cela passe par l’école, j’en suis convaincue. C’est pourquoi je propose un véritable plan d’éducation artistique qui doit permettre à tous les enfants de la République, quel que soit leur quartier ou leur région, d’avoir accès à cette connaissance des arts, de son histoire, de ses pratiques. Aucun enfant ne doit se dire : la peinture, la sculpture ou bien l’art numérique, les nouveaux médias, le design, ce n’est pas pour moi. L’École peut leur offrir l’accès à cet émerveillement, à cette joie profonde que l’art nous procure. Et puis ces enfants, ils seront les artistes, les designers, les créateurs de demain, les visiteurs des Frac, des musées et des galeries !

JdA : Quelles mesures concrètes allez-vous prendre pour favoriser l’enseignement de l’histoire de l’art dans les lycées et collèges ?
A. F. : J’ai parlé d’un compagnonnage du XXIe siècle en faveur de l’emploi. Cette idée doit être au cœur de notre projet pour l’éducation artistique tant l’histoire de l’art repose justement sur cette notion de transmission d’une connaissance et d’un savoir-faire. Favoriser la rencontre avec les créateurs, multiplier les résidences d’artistes au sein des institutions afin de favoriser ce passage de témoin avec les plus jeunes, ce sont des pistes auxquelles je crois.
Un autre enjeu à mes yeux, c’est ce que j’ai appelé « l’exigence d’un regard nouveau ». Il s’agit d’être complice des nouvelles formes de la création et d’abord de ces formes d’art dites « émergentes » et que l’institution reconnaît mal ou tard. Je pense aux cultures urbaines, aux cultures métissées, aux formes d’expression qui jaillissent dans les quartiers. L’éducation artistique doit bien sûr intégrer pleinement toutes ces formes de la création la plus contemporaine. L’enjeu, on le voit bien, c’est aussi d’aller dans les quartiers, en particulier ceux menacés de relégation sociale, mais aussi dans les territoires ruraux, de permettre à la culture sous toutes ses formes d’y avoir pleinement sa place, sans cloisonner ni « sectoriser » les publics en fonction de leurs goûts supposés.

JdA : Comment augmenter la notoriété internationale de nos artistes contemporains ?
A. F. : Certainement pas en fermant les centres culturels français à l’étranger ! Le budget de notre réseau de coopération et d’action culturelle a tellement été raboté qu’il n’est plus en état d’assurer ses missions. Ce réseau est un formidable outil qui ne doit pas être cassé.
La réforme engagée de CulturesFrance, devenu « Institut français », est bien timide et inaboutie. Nos artistes, nos designers, nos plasticiens sont attendus partout dans le monde : je pense au succès rencontré par la jeune génération des artistes du prix Marcel Duchamp à Séoul, à Jean-Michel Othoniel exposé récemment au Japon, à ce jumelage des galeries de Paris et Berlin initié par notre ambassade en Allemagne. À nous de les accompagner, il en va du rayonnement, de l’influence de notre pays.
Et puis la culture, c’est l’échange. La scène artistique est mondialisée et les artistes d’aujourd’hui sont de grands voyageurs. Que des étudiants ou des créateurs étrangers soient empêchés de venir en France car on leur a refusé un visa, c’est notre attractivité qui est remise en cause. C’est oublier aussi que Picasso, Chagall, Brancusi et quelques autres artistes étrangers avaient fait de Paris la capitale des arts…

JdA : Comment encourager les collectionneurs ?
A. F. : Je me réjouis que Paris retrouve aujourd’hui son rang parmi les capitales artistiques. Je note d’ailleurs le nombre croissant des initiatives de collectionneurs ou de fondations qui ouvrent des espaces au public, qui donnent leur chance aux jeunes créateurs. Ils jouent un rôle essentiel.
Martin Bethenod, qui a d’ailleurs contribué à faire de la Fiac [Foire internationale d’art contemporain] à Paris un rendez-vous international majeur de l’art contemporain avant de rejoindre un grand collectionneur, avait, en 2008, ouvert des pistes de réflexion non suivies d’effet. J’entends examiner ce qui peut être fait et ce qui peut aussi favoriser les donations aux collections nationales.

JdA : Quels sont vos goûts particuliers concernant les arts ?
A. F. : Je suis particulièrement sensible aux œuvres de Sol LeWitt (actuellement au Centre Pompidou-Metz), Mark Rothko, Annette Messager mais aussi d’Henri Matisse ou de Christian Boltanski. J’aime également les photographies des Becher, de Nan Goldin ou de Chris Marker.

Légende photo

Aurélie Filippetti, responsable du pôle culture, audiovisuel, médias, dans l’équipe de campagne. © Ph. Grangeaud/solfé communications

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°367 du 13 avril 2012, avec le titre suivant : Réponses pour François Hollande, PS (Parti socialiste)

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