Guggenheim Museum

Expressionnisme choisi

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 10 avril 2012 - 498 mots

Le musée d’art moderne new-yorkais rend hommage à un John Chamberlain en quête constante de l’accord juste.

NEW YORK - Le versant sculptural de l’expressionnisme abstrait américain. C’est ainsi que fut longtemps présenté le travail de John Chamberlain (1927-2011), immense figure décédée quelques semaines seulement avant l’ouverture de sa rétrospective au Solomon R. Guggenheim Museum, à New York. Si l’assertion n’est pas fausse, elle est toutefois réductrice tant l’artiste s’est ingénié à manier le contre-pied avec un certain brio ; il confère sensualité voire féminité à une pratique volontiers vue comme machiste, rend parfois vulnérable la masse, ne rechigne pas à jouer la séduction à travers son esthétique brute, ou expérimente au tournant des années 1960, dans des œuvres presque précieuses, des matériaux tels la mousse d’uréthane, les sacs en papier ou les feuilles de résine polymère irisées.

La fougue de l’expressionnisme abstrait donc, soudain devenue tridimensionnelle. La filiation est évidente pour quelqu’un, qui, dès 1959, se met à assembler des fragments d’automobile pliés, tordus, compressés… dont certains sont par ailleurs accrochés au mur (Essex, 1960), rendant manifeste l’attention portée au tableau. Cette analogie au pictural est en outre perceptible dans de délicieux petits collages mêlant papiers, tissus ou fragments métalliques sur des plaques d’aggloméré.

Passé par le Black Mountain College en 1955-1956, l’homme en a gardé une évidente sensibilité pour l’écriture intuitive et l’intrusion du langage dans le processus formaliste (un « formalisme renégat » selon l’artiste), qui le fait s’amuser de la sonorité visuelle comme de la puissance d’évocation des mots dans des titres déconnectés de ce qui est donné à voir. Mais ici la seule intuition ne suffit pas et la gestuelle ne prime pas sur le tout. Car si le balayage rétrospectif permet d’insister sur un Chamberlain extraordinaire coloriste, cette caractéristique rend compte de la quête presque obsessionnelle du « fit », soit de ce qui va bien, de ce qui s’accorde. La pratique n’est donc pas dictée par le seul hasard, mais s’affirme comme une affaire de choix, ainsi que le pointe avec justesse le titre « Choices » donné à la manifestation.

Preuve de la solidité du personnage et de sa maîtrise des vents contraires, la gestuelle se renforce pourtant à partir de la fin des années 1970 et lors de la décennie suivante, lorsqu’il se montre toujours plus interventionniste avec la couleur et la surface. Il manie notamment le « dripping » et introduit des teintes brillantes et saturées, un procédé qui engendre des jeux de motifs toujours plus complexes. Des motifs qui, lors des dernières années, seront plus le fait de découpages et de manipulation des couleurs existantes, sans ajouts. Ou comment innover sans cesse en maniant le contre-pied avec brio, en effet.

JOHN CHAMBERLAIN : CHOICES

Jusqu’au 13 mai, Solomon R. Guggenheim Museum, 1071 Fifth Avenue, New York, New York, tél. 1 212 423 3840, www.guggenheim.org, tlj sauf jeudi 10h-17h45, samedi 10h-19h45. Catalogue, 248 p., relié 75 $ (env. 56 €), couverture souple 45 $ (env. 33 €), ISBN 978-0-89207-426-6.

CHAMBERLAIN

- Commissariat : Susan Davidson et Helen Hsu, Solomon R. Guggenheim Museum
- Nombre d’œuvres : environ 100

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°367 du 13 avril 2012, avec le titre suivant : Expressionnisme choisi

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