New Museum

La révolution dans un fauteuil

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 10 avril 2012 - 714 mots

Sans socle politique ou idéologique, la Triennale du New Museum aborde le thème de la résistance sur un mode lisse et policé.

NEW YORK - Un manuel à l’usage d’une jeune génération qui souhaiterait faire la révolution assise dans son fauteuil. C’est la bien triste image que renvoie la seconde Triennale du New Museum, à New York. Sous le très beau titre « Les Ingouvernables » (« The Ungovernables »), elle prétend « embrasser l’énergie des urgences de cette génération. Des urgences [qui] sont formelles et philosophiques, matérielles et idéologiques », et « suggère à la fois la résistance anarchique et organisée et l’humour sombre […] de cette génération ». Le programme est alléchant. Las !, le terme d’« urgences » apparaît inapproprié tant celles-ci se montrent bien plates et leur caractère impérieux, nullement lisible. Quant à la résistance, face à qui ou à quoi se dresse-t-elle ? Les arguments sont recuits pour la plupart !

De tensions on ne perçoit point. Formes et contenus ressassés pullulent. À croire qu’artistes et organisateurs imaginent les visiteurs comme étant ignorants ou amnésiques. Créer du lien à travers le rapport à la nourriture et renverser les rôles et les perspectives, cela ne vous rappelle rien ? La Coréenne Bona Park se saisit des deux questions en interrogeant les personnels du musée sur leurs habitudes alimentaires, avant de les envoyer faire le tour du vernissage leur doggy bag à la main (The Box in a Plastic Bag, 2012). L’usage et la manipulation d’objets du quotidien rangés sur des étagères, cela ne vous évoque-t-il rien non plus ? C’est la proposition de l’Argentine Mariana Telleria (Days of Truth, 2012). Et que dire du journal intime déployant sur les murs une centaine de cadres qui mêlent notes et photographies d’archives ? Le Brésilien Jonathas de Andrade en livre une énième version avec sa gueule de bois tropicale (Tropical Hangover, 2009) qui entend s’interroger sur la vitalité urbaine et la permanence du passé.

Gabriel Serra à contresens
Parfois l’accrochage vire au contresens, comme avec les œuvres de Gabriel Sierra : une table, une échelle, un niveau… repliés et insérés dans des incisions faites dans le mur. Sierra travaille sur l’infiltration, les interstices, la surprise, les apparences. Ces quatre pièces auraient idéalement dues être dispersées ; les aligner comme à la parade leur fait perdre toute substance.

Autre écueil, et non des moindres, le complet « merchandising » (marchandisage) tant de l’exposition que de beaucoup d’œuvres exposées. Tout semble formaté pour une facilité d’usage, une lecture rassurante. À l’exception d’une installation d’Abigail DeVille, coincée dans un espace malhabile dans les escaliers, et qui constitue une échappée belle sombre et onirique (Dark Day, 2012), rien ne dépasse. Tout ou presque est lisse, aseptisé, sans aspérités aucune, ce qui dans une proposition évoquant la résistance, qui plus est émanant d’une génération de trentenaires, en serait presque à pleurer… mais pas de rire.

Les impératifs du marché ne sont pas loin. La plupart des œuvres qui ne seraient pas déjà en mains privées sont prêtes à l’emploi et pourront rejoindre immédiatement le domicile de leur nouveau propriétaire ou le stockage des galeries qui ne seront pas parvenues à les écouler pendant la durée de l’exposition. Elles possèdent le format idéal et ne saliront rien !

Heureusement quelques propositions émergent. Adrían Villar Rojas et sa gigantesque sculpture d’argile, mi-robot mi-animal, dont les fissures pointent la fragilité et l’échec (A Person Loved Me, 2012). Hassan Khan et son film indescriptible où deux hommes entrent dans une curieuse danse, entre gestuelle traditionnelle et musique électronique (Jewel, 2010). Ou les tableaux volontairement mal finis de Lynette Yiadom-Boakye, des portraits percutants d’où sourd une inquiétude indéfinissable.
Au terme du parcours, une question demeure irrésolue : au-delà des quelques constats vaguement posés qui peinent à définir une vision du monde, que veulent ces artistes et quelles sont leurs attentes ? Les « ingouvernables » sont bien sages et ne font pas de vagues. Reste à espérer que les plus talentueux d’entre eux n’aient pas pâti de l’ensemble et parviendront à s’exprimer mieux, ailleurs.

THE UNGOVERNABLES

Jusqu’au 22 avril, New Museum, 235 Bowery, New York, NY 10002, tél. 1 212 219 1222, www.newmuseum.org, tlj sauf lundi-mardi 11h-18h, jeudi 11h-21h. Catalogue, éd. Rizzoli, New York, 256 p., 60 $ (env. 45 €) ISBN 978-0-8478-3899-8.

THE UNGOVERNABLES

- Commissaire : Eungie Joo, « Keith-Haring Director and Curator of Education and Public Programs » au New Museum
- Nombre d’artistes et collectifs : 34

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°367 du 13 avril 2012, avec le titre suivant : La révolution dans un fauteuil

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