Confrontation

Un pâle face-à-face Lorrain-Turner

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 10 avril 2012 - 684 mots

La National Gallery de Londres revient sur la fascination de Turner pour le maître du paysage français.

LONDRES - Petit sujet, bel accrochage, exposition moyenne. Le régime sec imposé aux musées britanniques pour cause de restrictions budgétaires mais aussi de dépenses liées à l’organisation des Jeux olympiques commencerait-il à se faire sentir à la National Gallery ? L’exposition de printemps de l’institution londonienne peut le laisser penser. Elle peine à tenir ses promesses en se contentant de confronter deux monstres des collections publiques et privées britanniques : le Français Claude Gellée dit le Lorrain (1600-1682) et l’Anglais Joseph Mallord William Turner (1775-1851). Que le second ait été influencé par le premier n’est en soi pas un scoop. Le fait est revendiqué par le peintre lui-même. La grande exposition monographique sur Turner présentée au Grand Palais, à Paris, en 2010, y avait consacré l’un de ses brillants chapitres. Qui est devenu là le sujet d’une exposition un peu courte.

Fervents amateurs de peinture de paysage, les Britanniques ont su acquérir au fil des années les œuvres majeures des maîtres du genre. Parmi eux, Claude le Lorrain occupe logiquement une place de choix. À tel point qu’au début du XIXe siècle, la moitié de ses tableaux se trouvaient déjà dans les mains des collectionneurs d’outre-Manche. Son célèbre cahier de dessins, recopiant avec soin et par ordre chronologique tous ses tableaux, le Liber Veritatis, avait quant à lui été acheté dès 1720 par le second duc de Devonshire. Il est aujourd’hui conservé au British Museum, à Londres. Autant dire que tout le corpus de Claude se trouvait bel et bien en Angleterre. Très tôt, le jeune Turner, formé à la Royal Academy, a donc pu s’immerger dans le bain du paysage classique, scrutant patiemment les spécificités de l’art de Claude : cadrages élargis, compositions sévères, rendu atmosphérique, profondeur de l’espace. Et surtout cette lumière, inspirée par l’Italie, qui irradie les tableaux et fascinera d’emblée Turner. Dans ses carnets, le jeune peintre, par ailleurs arpenteur insatiable de l’Angleterre et du Continent, note méticuleusement les détails, recopie les compositions. Les choses sont évidentes : il tente de les reproduire, forçant parfois le trait, y ajoutant aussi une grande liberté technique qui a pu dérouter ses contemporains.

Monologue
Bénéficiant d’un accrochage au cordeau, comme toujours à la National Gallery, l’exposition permet indubitablement d’apprécier quelques belles œuvres issues des collections britanniques. Si La Traversée du ruisseau (1815) constitue l’une des plus grandes réussites de Turner dans sa volonté d’égaler Claude, le dialogue tourne rapidement au monologue tant les paysages inachevés de Turner semblent en décalage par rapport au propos de l’exposition. Toujours plus abstraites quand Claude parvient à idéaliser des paysages pourtant naturalistes, les œuvres des années 1840 ne montrent-elles pas la vanité de cette volonté de se mesurer ainsi à un maître du passé ?

La dernière salle du parcours explique en grande partie le choix du sujet de cette exposition. Elle rappelle qu’à sa mort Turner a légué 300 de ses toiles et 3 000 de ses dessins aux collections publiques anglaises. Le peintre avait néanmoins une exigence : que deux de ses tableaux, La Fondation de Carthage par Didon (1815) et Lever de soleil dans la brume : pêcheurs nettoyant et vendant du poisson (avant 1807), soient accrochés entre deux toiles du Lorrain, Paysage avec l’embarquement de la reine de Saba (1648) et Paysage avec le mariage d’Isaac et Rebecca. Ces œuvres réunies offrent l’une des meilleures séquences du parcours. Cela même si elles peuvent être vues d’ordinaire dans le parcours permanent du musée, où elles sont demeurées accrochées, malgré un partage du legs entre la Tate Gallery et la National Gallery. L’exposition ne requérait donc pas d’importants mouvements de tableaux. Ce qui rend d’autant plus difficilement compréhensible l’absence dans la démonstration de l’un des tableaux les plus évocateurs de la synthèse « claudienne », Ulysse narguant Polyphème (1829). Pourtant accroché quelques étages plus haut.

TURNER : DANS LA LUMIÈRE DE CLAUDE LORRAIN

Jusqu’au 5 juin, National Gallery, aile Sainsbury, Trafalgar Square, Londres, tlj 10h-18h, 21h le vendredi. Catalogue (en anglais), 144 p., 25 £ (env. 30 €), ISBN 978-185-7095371.

Turner

- Commissaire : Susan Foister, directrice des collections, National Gallery
- Nombre d’œuvres : 79

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°367 du 13 avril 2012, avec le titre suivant : Un pâle face-à-face Lorrain-Turner

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