Technologies

Les « nouveaux médias » s’écrivent

Par Christophe Domino · Le Journal des Arts

Le 27 mars 2012 - 803 mots

À l’instar du bouillonnement qui agite la culture numérique, de prolifiques publications questionnent cette forme d’art.

Au croisement de nombreuses questions posées aux pratiques artistiques contemporaines, les nouveaux médias sont un territoire d’effervescence éditorial dispersé mais productif. La désignation prudente et bien floue de « nouveau média » couvre des champs de pratiques très distincts que seule la commodité langagière d’une dénomination englobante réunit. Le terme en usage au Québec d’» arts médiatiques » a sans doute d’autres mérites, dont celui d’affirmer l’appartenance au champ de l’art. C’est bien, en tout cas, à partir du point de vue de l’art, et de la manière dont ces nouveaux médias questionnent les formes de l’art en général, qu’il est question ici de croiser quelques lectures, nouvelles ou non, mais recommandables. Le livre demeure bien sûr un support important, à côté des masses d’information, de références et de discussions disponibles en particulier en ligne. Internet permet d’élargir les sources et ressources au-delà des frontières, fort heureusement car la production française dans ce domaine relativement maigre, ou très isolée, est souvent faite de traductions. C’est dans l’ombre de ces textes pionniers, comme ceux de Frank Popper, Jean-Louis Boissier, Edmond Couchot ou d’Anne-Marie Duguet déjà évoqués dans cette chronique, que se creuse un manque de production théorique en France. Faute, sans doute, d’un relais pour la mise en exposition des travaux médiatiques dispersés avant qu’une nouvelle génération d’institutions, dont la Gaîté Lyrique à Paris est la figure émergée permette à ces travaux d’exister au regard d’un public élargi ; condition pour que le travail critique trouve au-delà d’une niche de spécialistes un lectorat tant académique que d’amateurs. C’est dans le sens de cet élargissement et de cette appropriation publique que se présente le petit, mais riche, volume de Dominique Moulon, Art contemporain, nouveaux médias, qui de manière synthétique construit un paysage d’ensemble de pratiques que les chapelles séparent parfois. On y trouve du coup un panorama articulé de formes et de problématiques : depuis les inter-relations corps/machine ou son/image aux multiples dispositifs technologiques, réseaux, robots, surveillance, immersion, et aux préoccupations autour de l’environnement, du vivant ; le tout accompagné d’œuvres plus identifiables en France que dans les ouvrages de synthèse anglo-saxons, qui ne manquent pas de mérite mais souvent d’ancrage dans des œuvres accessibles (Michael Rush chez Thames & Hudson par exemple). C’est d’ailleurs le même éditeur, en partenariat avec le Centre des arts d’Enghien-les-Bains qui présente la monographie d’une figure de la création numérique, parcours de 30 années de travail du prolifique Maurice Benayoun. Pas moins d’une vingtaine d’auteurs sur 145 projets pour situer une démarche de réalisations techniques aventureuses, qui n’en assument pas moins une dimension poétique, projets souvent menés à l’étranger ; et pour cerner l’artiste aussi comme passeur, enseignant, animateur, activiste. La forme du livre elle-même fait écho à une autre somme travaux de Benayoun, The dump (soit, la décharge publique), qui réunit en près de 400 pages sa « décharge » à projets qu’est le blog tenu entre 2006 et 2011, qui a fait aussi l’objet de sa thèse de doctorat. Des plus rêvés au plus concrets, 207 projets « non réalisés à recycler » tracent une aire de préoccupation et d’enjeux, mais aussi une méthode de travail, assumée puisqu’elle répond aux exigences universitaires, qu’elle bouscule cependant. Au point qu’à la lecture, ce n’est pas un pieux ouvrage académique que l’on trouve mais un singulier passage au papier de ce qui demeure disponible en ligne (http://www.The-Dump.net).

Mais c’est aussi du côté de la production théorique venue d’outre-Atlantique que les choses se jouent désormais, souvent du côté des presses universitaires. Au Canada, par exemple, avec les publications de l’université du Québec à Montréal et sa collection « Esthétique des arts médiatiques » (http://www.puq.ca) et aux USA avec The MIT Press (les presses du Massachusetts Institute of Technology, http://mitpress.mit.edu/catalog/) et pas moins de 125 titres consacrés aux nouveaux médias. Les Presses du réel ont publié la traduction de l’un d’entre eux, Le langage des nouveaux médias, qui marque une nouvelle ambition dans la construction historique et théorique du domaine, en situant les arts numériques dans une histoire des médias élargis.

Dominique Moulon, Art contemporain nouveaux médias, 2011, Paris, nouvelles éditions Scala, coll. « Sentiers d’art », 128 p., 14,90 €, ISBN 978-2-35988-038-0

Michael Rush, Les Nouveaux Médias dans l’art, 2005, Paris, Thames & Hudson, coll. « L’univers de l’art », 248 p., 14,95 €, ISBN 978-2-87811-255-9

Collectif Maurice Benayoun, Open Art 1980-2010, 2011, Paris, nouvelles éditions Scala, 196 p. et un DVD, 30 €, ISBN 978-2-35988-046-5

Maurice Benayoun, The dump, 207 hypothèses pour un passage à l’acte, 2011, Limoges, FYP éditions, 384 p., 29 €, ISBN 978-2-916571-64-5

Lev Manovich, Le langage des nouveaux médias, Traduit de l’anglais (américain) par Richard Crevier, 2001, trad. 2010, Dijon, Les Presses du Réel, 608 p., 26 €, ISBN 978-2-84066-342-3

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°366 du 30 mars 2012, avec le titre suivant : Les « nouveaux médias » s’écrivent

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