Paris

Un Mexique à rebours des clichés

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 27 mars 2012 - 728 mots

Une jeune génération d’artistes mexicains reprend le flambeau de la protestation
et relate sans détours les tourments de son pays.PAR FRÉDÉRIC BONNET

PARIS - Le Mexique est dans la m… Pour ceux à qui cela aurait échappé, c’est à l’ARC-Musée d’art moderne de la ville de Paris qu’il faut se rendre. Rescapée de la défunte année du Mexique en France, qui aurait dû se tenir en 2011, mais fut annulée pour cause de tensions diplomatiques liées à l’affaire Florence Cassez, l’exposition « Resisting the Present. Mexico, 2000-2012 » y dresse un portrait édifiant de ce pays si attachant. Un portrait qui est le fait d’une génération des années 2000, des artistes et cinéastes ayant aujourd’hui entre 30 et 40 ans, artistiquement nés après que la scène mexicaine contemporaine se fit un nom à la suite de Gabriel Orozco et de ses pairs.

Rarement aura-t-on vu une exposition dédiée à une scène locale porteuse d’une tonalité aussi sombre. Loin des clichés rebattus des pyramides, sombreros et mariachis fleurant bon la tequila, la principale qualité de cette proposition est d’aborder sans détours les affres sociopolitiques d’un pays enlisé dans ses contradictions. Un pays où, lorsque près d’un Mexicain sur deux vit dans la pauvreté un petit cimetière de Culiacán s’est peuplé de mausolées exubérants dont le coût de construction a pu atteindre les 100 000 dollars pièce (soit environ 75 500 €). C’est ce que donne à voir le captivant film de Natalia Almada, El Velador (Le Veilleur de nuit, 2011), qui sous une lumière presque irréelle invite à explorer ce lieu de repos ultime qui n’est pas celui de nantis mais de narcotrafiquants !

Indignados
Un modèle politique en crise marqué par la violence, la corruption, les déséquilibres économiques et le narcotrafic prospérant sur le terreau de la pauvreté et d’une certaine incurie du pouvoir. Voilà ce qui fait le lit d’une génération lucide qui, à l’instar de ses glorieux aînés révolutionnaires, est toujours à même de déployer efficacement l’énergie de la protestation. En témoigne Bayrol Jiménez qui, dans une installation graphique nerveuse et hallucinée, contaminant sol et murs, évoque dans un torrent visuel la relation ambiguë avec les États-Unis, les petits et les grands truands ainsi que la collusion des pouvoirs : politiques, religieux, mafieux… (Maldito, 2012).

Certains artistes se concentrent sur l’image à l’état brut, tel Ilán Lieberman, qui en une centaine de vignettes minutieusement exécutées, a reproduit à la mine des portraits d’enfants disparus tels que publiés dans les journaux (Niño perdido, 2005-2009). L’image c’est aussi celle du pouvoir et de sa mise en scène à force d’anecdotes et de démagogie. Ainsi Diego Berruecos aligne-t-il des clichés d’archives pris lors de la campagne présidentielle de José López Pórtillo en 1976, dont le Parti Révolutionnaire Institutionnel, chassé du pouvoir en 2000 après soixante-dix ans de règne hégémonique est, dit-on, en passe de reprendre les rênes cette année (La Solución Somos Todos, 2011).

Si la protestation implique une nécessaire résistance, l’idée de cette dernière se montre la plus convaincante lorsque abordée de manière elliptique. Ainsi par Jorge Mendéz Blake, subtil, qui emprisonne sous un mur de brique un exemplaire du Château de Kafka qui lui-même narre un double enfermement (El Castillo, 2008) ; l’une des plus belles œuvres du parcours, dont il est regrettable que l’appréhension de loin soit entravée par des manches à air d’Hector Zamora, au caractère multidirectionnel évoquant trop littéralement la navigation à vue des autorités (Credibility Crisis, 2010). Toujours fascinant, entre réel et irréel, le cinéaste Carlos Reygadas propose avec acuité et légèreté de suivre un match de football féminin dans ce pays encore si machiste (Serenghetti, 2009). Et Juan Pablo Macías, d’en appeler à une forme de rébellion en faisant revivre une bibliothèque anarchiste dont les ouvrages recouverts de papier de verre de couleur noire vont s’altérer à l’usage (Biblioteca de anarquismo y anarquistas, 2009-2010). Évoquer ou documenter un réel épineux nécessite bien une bonne dose d’abstraction et de charge symbolique, de celles dont les Mexicains ont toujours eu le secret !

RESISTING THE PRESENT. MEXICO 2000-2012

Commissaires : Angeline Scherf, Angeles Alonso Espinosa, Maxime Hourdequin
Nombre d’artistes : 24
Nombre d’œuvres : 50

Jusqu’au 8 juillet, ARC-Musée d’art moderne de la Ville de Paris, 11, avenue du Président Wilson, 75116 Paris, tél. 01 53 67 40 00, www.mam.paris.fr, tlj sauf lundi 10h-18h, jeudi 10h-22h. Catalogue éd. Paris Musées, 360 p., 30 €, ISBN 978-84-15118-18-3-2

Légende photo

Natalia Almada, El Velador, 2011, film couleur HD 72’. © Altamura Films, Courtesy Doc & Film International.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°366 du 30 mars 2012, avec le titre suivant : Un Mexique à rebours des clichés

Tous les articles dans Création

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque