Art moderne

Impressionniste

Berthe Morisot en son palais

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 27 mars 2012 - 818 mots

PARIS

À Paris, le Musée Marmottan-Claude Monet présente la peintre impressionniste Berthe Morisot sous son jour le plus moderne.

PARIS - Berthe Morisot (1841-1895) est particulièrement à son aise dans l’ancien pavillon de chasse du duc de Valmy devenu le Musée Marmottan-Monet. Parisienne d’adoption, le village de Passy, dans le XVIe arrondissement, est son quartier et le Bois de Boulogne, tout proche, son coin de verdure préféré. Cette mise en abîme est d’autant plus à propos que Paul Valéry (l’époux de sa nièce) avait noté chez elle cette absence de frontière entre l’art et la vie : « […] la singularité de Berthe Morisot fut […] de vivre sa peinture et de peindre sa vie, comme si ce lui fût une fonction naturelle et nécessaire, liée à son régime vital, que cet échange d’observation contre action, de volonté créatrice contre lumière. » Disparue prématurément à l’âge de 53 ans, Berthe Morisot est la seule femme à avoir participé à la première exposition impressionniste de 1874, dans l’atelier de Nadar. En quelque cent cinquante tableaux et œuvres graphiques, sa carrière est retracée à Marmottan, dans un hommage qui célèbre sa modernité sans en prononcer une seule fois le mot.

Sous l’aile de Degas
« […] Nous trouvons que le nom et le talent de Mlle Berthe Morisot font trop notre affaire pour pouvoir nous en passer », écrivait Degas, pourtant réputé misogyne, à Mme Morisot mère, plaidant pour la participation de la jeune Berthe à l’exposition de 1874. Peut-on rêver meilleur parrainage ? La peintre n’en est pourtant pas à son premier fait d’arme : elle expose depuis dix ans au Salon et compte parmi ses amis et admirateurs tous les membres de l’avant-garde parisienne. Ces derniers ont vu chez elle une artiste à leur mesure, dont le talent fait taire toute remarque désobligeante – « petite fille à son papa » préfet ; un peintre soit, mais une femme ; bourgeoise qui s’occupe en barbouillant… L’exposition du Musée Marmottan a elle aussi dépassé ces clichés de mièvrerie que l’on a longtemps accolés à Morisot sans se donner la peine de voir qu’il s’agit d’une artiste d’une audace et d’une liberté confondantes. Édouard Manet, son beau-frère, lui a consacré une série de portraits saisissants, où la séduction le dispute au mystère. Morisot est tour à tour charmeuse, distante, secrète, dissimulant son visage derrière un éventail ou une voilette, quand elle n’est pas perdue dans ses pensées. Dans son regard noir brille l’intelligence. Le peintre d’Olympia ne s’est pas trompé en décelant chez Morisot cette force et cette détermination qui font les grands artistes.

Sensibilité et maîtrise du trait
Le rendez-vous est donc donné avec une peintre radicale, dont la formation classique demeure visible dans la maîtrise de la composition. Morisot peint son cercle familial ; sa sœur puis sa fille sont ses modèles préférés. Si son pinceau refuse les effets nacrés d’un Renoir, sa palette claire déclinant les pastels lui vaut d’être « comparée à Watteau, Bonington et Fragonard ». Avec les années, son trait gagne en rapidité et, à la fin de sa vie, en impatience. Ce geste est pourtant préparé, cette spontanéité n’est que calcul. Cette évolution est préhensible au fil d’un parcours qui fait – heureuse surprise – la part belle aux paysages. Malgré quelques manques (Le Berceau, L’Enfant au chat d’Auguste Renoir…) dus aux pauvres relations (retissées depuis) entre Marmottan et le Musée d’Orsay au moment du montage de l’exposition, l’accrochage rend sensible ce travail que lui reproche son ancien professeur Joseph Guichard : « faire dire à l’huile ce qui est exclusivement du domaine de l’eau ».
L’histoire de l’art a trop longtemps relégué le travail de Morisot à la périphérie : les thèmes de la maternité ou de la vie de famille méritaient mieux que l’intitulé fallacieux et sans imagination de « peinture féminine ». C’est confondre le fond et la forme, mais cela peut expliquer son succès (tout relatif) lors de la vente (catastrophique) organisée à Drouot avec Renoir, Monet et Sisley en 1875, où elle a obtenu la meilleure enchère. Ou l’entrée de son vivant dans les collections du Musée du Luxembourg, en 1894, à l’occasion de l’achat par l’État de Jeune femme en toilette de bal (1879) – sage par son sujet, sauvage par son traitement –, alors que deux ans plus tard, l’État ne savait que faire du legs Caillebotte. Une infection pulmonaire aura raison de sa santé en 1895 et Morisot repose depuis au cimetière de Passy. Deux ans plus tard, les femmes étaient acceptées à l’École des beaux-arts.

BERTHE MORISOT (1841-1895)

Commissaires : Marianne Mathieu, adjointe au directeur, chargée des collections et de la communication au musée Marmottan-Monet
Nombre d’œuvres : 150

Jusqu’au 1er juillet, Musée Marmottan-Monet, 2, rue Louis-Boilly, 75016 Paris, tél. 01 44 96 50 33, www.marmottan.com, tlj sauf lundi et 1er mai, 10h-18h, jeudi 10h-20h. Catalogue, Hazan, 264 p., 200 ill., 35 €, ISBN 978-2-7541-06047

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°366 du 30 mars 2012, avec le titre suivant : Berthe Morisot en son palais

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