Economie

Enquête

Les emplois précaires de la culture

Par Francine Guillou · Le Journal des Arts

Le 27 mars 2012 - 954 mots

PARIS

Une nouvelle loi tente de résorber la précarité dans l’emploi public, un phénomène qui va croissant ces dernières années. L’entreprise s’avère ardue pour la filière culturelle où la situation est très complexe avec une multiplicité de types de contrats et de situations.

Le 13 mars, le ministre de la Fonction publique, François Sauvadet, s’est réjoui de la publication d’une loi sur la précarité dans la fonction publique. Ce texte, issu d’un protocole d’accord élaboré en mars 2011, doit faciliter l’amélioration des conditions d’emploi des agents contractuels ou « agents non-titulaires » (ANT), dont l’augmentation ces dernières années (environ 2,5 % d’augmentation chaque année jusqu’en 2008) est devenue un problème de fond, et un casse-tête administratif dans tous les ministères et les collectivités territoriales.

Le recours aux contractuels dans la Fonction publique est encadré par la loi : leur nombre est évalué à 891 000 dans les trois fonctions publiques (de l’État, territoriale et hospitalière) soit 17 % des 5,3 millions d’agents publics en France. Dans la filière culturelle, les derniers chiffres datent de 2008 : on recensait alors près 35 % d’ANT sur les 80 000 agents des collectivités territoriales. Au ministère de la Culture, ces ANT représentent, selon les estimations du comité de suivi du protocole, près de 13 000 personnes. La difficulté de recensement de ces agents est liée à la mosaïque de métiers et de statuts induits par les contrats de droit public qui vont de la vacation courte au contrat à durée indéterminée.

La disparité des situations est liée à la multiplication des statuts permis par la loi depuis une dizaine d’années. Le contrat à durée déterminée (CDD) est entré en vigueur dans la fonction publique en 1984, le CDI en 2005. Selon la loi, les agents recrutés par la voie contractuelle (non titulaires d’un grade obtenu par concours) ne peuvent l’être que selon des dispositions dérogatoires. Pour les CDD à temps complet, le besoin doit être ponctuel (un délai de remplacement d’un titulaire, par exemple) ou occasionnel (pour les emplois saisonniers : guide conférencier…). L’introduction du CDI avait pour vocation de permettre l’amélioration du statut du CDD, renouvelé automatiquement dans bien des cas. L’embauche d’un CDI est permise « lorsqu’il n’existe pas de cadre d’emplois de fonctionnaires susceptibles d’assurer les fonctions correspondantes » ou « pour les emplois du niveau de la catégorie A, lorsque la nature des fonctions ou les besoins des services le justifient ». Le flou entretenu autour des termes employés laisse un pouvoir discrétionnaire à l’employeur public. De plus, la complexité des emplois dans la filière culturelle s’est accrue ces dernières années, et peu de concours se sont ouvert pour pourvoir des postes permanents, ce qui explique en partie le recours au CDI dans la fonction publique. Certains chantiers au sein des musées nécessitent également le recours à des agents non-titulaires, comme les chantiers des collections, le récolement général ou l’élaboration d’une exposition temporaire si les services internes au musée ne peuvent assurer la surcharge de travail.

Le contrat d’activité
Mais la position précaire de ces emplois non titulaires est bien réelle : leurs contrats n’ouvrent pas de possibilités d’avancement, leurs droits à la retraite sont inférieurs à ceux des agents titulaires et dans le cas des CDD, l’obligation à la prime de précarité n’est pas applicable à l’employeur public. La création d’un Observatoire de la précarité au sein du ministère de la Culture dès 1998 n’a pas vraiment eu l’impact escompté, faute de refonte sérieuse de l’emploi public et d’une prise en compte de la spécificité de la filière culturelle. L’expérimentation en 2010 d’un nouveau type de contrat de travail, le « contrat d’activité » (CDA) à l’Inrap a déchaîné les passions sur un contrat sans durée fixe, et non reconductible. Le CDA a été retiré au bout de dix mois d’expérimentation, accusé d’accroître encore un peu plus la précarité dans un secteur déjà soumis aux aléas de la « flexibilité ».

À la CGT Culture, on veut croire à l’efficacité du nouveau texte de loi. « Il y a un principe écrit, une réelle volonté de mettre fin au dévoiement de l’emploi public » souligne Vincent Krier, son secrétaire national. Avec cette nouvelle loi, environ 500 agents en CDD sous tutelle de la rue de Valois sont « CDIsables » immédiatement : ils attestent d’un contrat auprès du même employeur depuis au moins six ans sur huit ans. La titularisation concernerait 2 500 agents, pour lesquels des concours dédiés ainsi que des listes d’aptitudes seront ouverts dans les années à venir. « Les besoins existent, ils sont permanents. Il faudrait ouvrir une quantité de postes » pour réduire le nombre de non-titulaires selon Vincent Krier.

Au sein du ministère de la Culture existe également un autre écueil sur lequel se heurtent les syndicats : l’existence des « établissements dérogatoires » fixés par décret pour lesquels la règle selon laquelle les emplois permanents doivent être occupés par des fonctionnaires ne s’applique pas. Parmi les 48 établissements publics, tous ministères confondus, on trouve le Musée du Louvre, le Musée du Quai Branly, le Centre Pompidou, la Bibliothèque nationale de France, Versailles et le Centre des monuments nationaux. Peu de restrictions en matière d’emplois pour ces établissements, notamment en ce qui concerne les services accueil, entretien ou surveillance, et ce, en toute légalité. Les vacations sont légions, notamment à la BnF, qui emploie des CDD ponctuels essentiellement dans les catégories C (magasiniers). La nouvelle loi ne devrait donc pas impacter ces établissements dans l’immédiat.

Mais les syndicats ont déjà une autre bête noire dans leur ligne de mire : les sociétés de prestations de services. En matière d’accueil, de surveillance ou de communication, les sociétés privées et les entreprises de travail intérimaire sont de plus en plus sollicitées par l’employeur public. La Révision générale des politiques publiques, entraînant une baisse des moyens et le non-remplacement d’un agent sur deux n’y est peut-être pas étrangère.

Légende photo :

Contractuels en mission de récolement des collections au Musée des beaux-arts de Rennes. © Musée du Louvre / SRDAI.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°366 du 30 mars 2012, avec le titre suivant : Les emplois précaires de la culture

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