Actualité de la recherche : Les monuments publics de Raymond Delamarre (1890-1986)

Le Journal des Arts

Le 14 mars 2012 - 1062 mots

Pour rendre compte de l’actualité de la recherche universitaire, le Journal des Arts ouvre ses colonnes aux jeunes chercheurs en publiant régulièrement des résumés de thèse de doctorat ou de mémoire de master (spécialité histoire de l’art et archéologie, arts plastiques, photographie, esthétique…).
Les étudiants intéressés feront parvenir au journal leur texte d’une longueur maximale de 4 500 caractères (à adresser à Jean-Christophe Castelain, rédacteur en chef :
jchrisc@artclair.com, et Françoise Savatier, secrétaire de rédaction : fsavatier@artclair.com). Nous publions cette quinzaine le texte de Béatrice Haurie, qui rédige sa thèse à l’université de Toulouse-II sous la direction de Luce Barlangue.

Premier grand prix de sculpture en 1919, le Parisien Raymond Delamarre se positionne dans le nouvel ordre plastique néoclassique du groupe des prix de Rome des années 1920 (peintres Dupas, Roganeau, Billotey, Pougheon et Despujols ; sculpteurs Foucault, Janniot, Martial et Vézien ; graveur Decaris ; architectes Carlu, Roux-Spitz et Azéma). Porté par nature au colossal, il se libère de l’académisme de l’école des beaux-arts et concilie sa spécificité de médailleur et d’artiste-décorateur avec celle de la monumentalité. Recevant ses commandes d’architectes souvent prix de Rome, il est avant tout un sculpteur élégant aimant les allégories. Ses œuvres complexes se situent entre tradition décorative, hyperréalisme et modernité classicisante. Il puise sa plasticité volumétrique et ses simplifications aux sources de l’art grec archaïque et ses modèles techniques et stylistiques, à la toreutique romaine. Sensible aux maniéristes italiens, il se réfère aussi à l’art français sous toutes ses formes. Il emprunte leurs sinuosités à Ingres, à Burne-Jones et à l’Art nouveau, au synthétisme de Bourdelle et au style Art déco. La théorie des profils de Rodin lui apprend sa gymnastique de la vue. Janniot lui inspire les étagements des figures dans ses reliefs monumentaux. Sa recherche de références fiables donne une valeur historiciste, didactique et symbolique à ses œuvres qui, après guerre, deviennent parfois trop systématiques. Il excelle dans l’expression de formes lisibles, aux lignes poétiques originales, qui doivent aux audaces des cubistes. Il affirme la continuité d’une identité nationale de l’art et montre qu’elle peut donner naissance à des créations puissantes, rythmées et inventives.

Anatomies flexibles
L’étude approfondie des monuments publics de Delamarre montre combien sa rupture avec les lois de la perspective classique construit un nouveau canon plastique, une mutation de la figuration du corps humain dès la période romaine. Suzanne (1919-1921) a un modelé réel et vivant témoignant d’une subtile perfection technique. David (1923-1924), Adam et Ève ou Tentation (1928), Diadumène (1928-1938) constituent également une synthèse de ses recherches plastiques. La présence puissante et fantomatique de la Douleur du tombeau Vetter au cimetière de la Croix-Rousse à Lyon (1922-1924) est de grande valeur suggestive. Les reliefs de l’Exposition internationale de 1925, la frise des enfants de l’hôtel George V (1928), le décor de la fontaine de la Roseraie au château de Bourbon-Conti (1928) ont des formes d’une parfaite lisibilité. Dans le groupe Persée et Andromède (1925-1935), les formes appartiennent toutes à un registre stylisé et l’information plastique est plus complexe. Un hyperréalisme d’une atmosphère particulière caractérise les reliefs de la mairie annexe du 14e arrondissement de Paris (1934). Les volumes aux modelés aplatis du relief monumental Les Arts et Monuments régionaux dans la salle à manger des premières classes du paquebot Normandie (1935) tiennent avec une efficacité remarquable. Mêlant des sources d’inspiration composites, Delamarre présente cette médaille géante comme un panneau pédagogique sur la richesse iconographique des arts et des monuments normands. Pendant la guerre, il se répète et travaille vite. Dans le chemin de croix d’Orival (1942), certaines anatomies sont fantaisistes, comme le bras gauche du Christ de la XIVe station. Le saint Jean de la XIIe station est redevable des anges de profil du Monument aux morts du Séminaire français à Rome (1921-1922).

Après guerre, l’imagination et la créativité semblent faire défaut à l’artiste. Les reliefs de la façade de la chapelle de l’hôtel-Dieu de Nantes (1957-1963) nous confrontent à un univers qui laisse peu de place à la rêverie. Réutilisés trente-cinq ans après le relief du paquebot Normandie, les chevaliers normands de la mairie de Grand-Couronne (1952-1958) sont caractéristiques de cette absence d’originalité. Le sculpteur invente d’étranges anatomies, surdimensionnées et fragmentées, aux muscles maigres, élastiques et flexibles. Sa compréhension de Mercure, sur le mur nu du Centre des chèques postaux de Dijon (1962), montre un curieux saut de grenouille et Orphée apparaît disloqué, en pièces détachées (1965-1966).

Certes, le nom de Delamarre est lié à la volonté d’intégrer la statuaire dans la continuité de l’art français, mais ses références incessantes à l’art de toutes les époques font de lui un artiste au goût commun, appuyé sur un nationalisme artistique étranger à l’art français auquel il se réfère. Cet art français est fait de beauté et de mesure, alors que ses recherches inventent un formalisme qu’il va répéter. Sa manière de travailler rappelle celle à laquelle pense Eugène Delacroix quand il écrit dans son journal : « Ceux qui ont systématisé leur manière au point de refaire toujours de même, sont ordinairement les plus inférieurs et froids nécessairement. »

Formalisme original
Quelle place donner aujourd’hui, vingt-quatre ans après sa disparition, à Raymond Delamarre ? Certes l’artiste tributaire des commandes officielles, prébendé par les élus de la IIIe République, crée une sculpture peu sensible aux audaces techniques et esthétiques. Il retrouve la valeur décorative de l’art, a recours à sa propre expression lyrique et pousse tellement loin l’analyse de l’allongement du canon pour rechercher la beauté de la ligne que ses déformations d’avant guerre le conduisent à l’invention d’un formalisme original. Mais il reste attaché toute sa vie à des principes entre innovation et tradition. Ses monuments publics sont conventionnels, tout à fait représentatifs de l’ensemble de son œuvre sculpté. Ils identifient un très bon sculpteur, « sérieux » et respecté en tant que directeur des Ateliers d’Art sacré Art monumental qu’il anime de 1961 à 1975 avec la plasticienne Edmée Larnaudie. Sa copie du Mars avec un loup à ses pieds de Guillaume Coustou (devant l’hôtel des Invalides) n’est-elle pas illustrée dans le très savant Principes d’analyse scientifique. La sculpture, méthode et vocabulaire (1978, éd. Imprimerie nationale) de Marie-Thérèse Baudry et Dominique Bozo préfacé par André Chastel ? Son travail trouverait plus aisément place au sein d’une histoire du goût, une histoire sociale des formes, une histoire culturelle, que dans l’histoire de l’art des créations tridimensionnelles du XXe siècle.

Béatrice Haurie
 

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°365 du 16 mars 2012, avec le titre suivant : Actualité de la recherche : Les monuments publics de Raymond Delamarre (1890-1986)

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