Double monographie

Astro-physique de l’image

Par Françoise Chaloin · Le Journal des Arts

Le 13 mars 2012 - 701 mots

TOURS, ORLÉANS - Finaliste du prix Marcel Duchamp 2012, l’artiste Bertrand Lamarche bénéficie d’une double actualité, à Tours et à Orléans.PAR FRANÇOISE CHALOIN

L’urbanisme, les phénomènes météorologiques ou astronomiques sont quelques-unes des sources d’inspiration du travail de Bertrand Lamarche, exposé simultanément au Centre de création contemporaine (CCC) à Tours et au Fonds régional d’art contemporain (Frac) du Centre à Orléans – et nommé cette année pour le prix Marcel Duchamp. Dès le début de son activité, à la fin des années 1980, l’artiste imagine des dispositifs de nature sculpturale ou filmique qui suscitent une pluralité de phénomènes perceptifs. Appuyés sur des données optiques, physiques ou topographiques, ces dispositifs et les expériences qu’ils autorisent se répondent dans une scénographie pensée comme un tout, pour la construction d’un espace fictionnel tout onirique.

Au CCC, le parcours joue du rapport d’échelle d’une œuvre à l’autre et des points de vue qu’elles offrent entre elles. Dans la position de l’observateur devant Map (2011), une table dont la surface noire est gagnée à intervalles réguliers par un nuage de fumée blanche très dense, le visiteur se voit projeté dans une dimension à caractère cosmique avec la vidéo Cosmo Disco (2012). L’image, réalisée en filmant une simple platine, produit un étonnant effet d’ellipse, une forme qui se retourne continuellement sur elle-même. Entre-temps, le visiteur aura traversé le Terrain ombelliférique : l’artiste concrétise ici pour la première fois les rêveries dont les berces du Caucase sont pour lui l’objet depuis longtemps (le film d’animation du même nom est visible à Orléans). Cette variété de plante, issue de la famille très commune des ombelles, présente la double particularité d’atteindre jusqu’à 5 m de haut et de provoquer des brûlures au contact de ses fleurs. Les spécimens soigneusement rapportés, séchés et montés sur pied, une forêt a fait irruption dans l’espace. Entre ses fûts apparaît au loin, en suspension, la maquette d’un modèle emblématique d’architecture aujourd’hui disparu, un immeuble de 400 m de long construit dans les années 1950 à Nancy (Le Haut du Lièvre, 2012). À la dimension du souvenir se mêle celle de la fascination dans le petit film déroulant un travelling le long de cette même barre sur la musique de Kate Bush.

Teneur radiographique
Mais si une exposition de Bertrand Lamarche prend la forme d’une invitation à entrer dans son univers (voire dans l’Univers), elle ne joue pas sur un principe immersif, elle ne cherche pas à plonger son visiteur dans un environnement perturbant totalement ses repères spatio-temporels ou à lui faire éprouver des expériences sensorielles inédites. Sa méthode relève plus de la modélisation de la nature, sans rien dissimuler du principe de fabrication : tout reste visible, sans que la « machine », dispositif de soufflerie ou d’engrenage, n’en soit pour autant magnifiée. Ainsi restons-nous délibérément dans le domaine de la représentation, à l’exemple de Map ou de Lobby (Hyper Tore) [2], modélisation d’un tore par le biais d’un tube fermé sur lui-même, soumis mécaniquement à un mouvement de rotation. L’objet évoque des phénomènes tant tourbillonnaires qu’organiques. Ce motif du tore a aussi donné lieu, à partir d’un tourne-disque éclairé et ralenti, à l’image projetée d’une ellipse déformée et mouvante, galaxie de poussière lumière, accompagnée d’un son à résonance atmosphérique. La pièce est magnifiquement présentée à Orléans, où le Frac Centre s’est concentré sur un ensemble « noir et blanc », quasi radiographique. Le génie de Lamarche, qui consiste à créer un paysage à la fois conceptuel, fantasmagorique et cependant intimement lié aux seuls paramètres physiques des dispositifs, s’y illustre magistralement avec Réplique (Baphomètre) (3), déployée sur la hauteur du mur principal du Frac. L’installation constituée d’un bras mécanique tournant sur une surface miroitante éclairée renvoie sur la paroi opposée un magma lumineux en transformation constante, évoquant pour certains le modèle du Big Bang, pour d’autres la vision d’organismes cellulaires en formation, pour tous un événement poétique en temps réel…

Notes :
(1) coll. du Musée départemental de Rochechouart.
[2] dont une version agrandie a été montrée au Palais de Tokyo en 2010.
(3) 2008, coll. Frac Centre.

Légende photo :
« Bertrand Lamarche » au Frac Centre, avec, à gauche, Tore, 2000, collection Agnès b ; au fond, The Fog Factory, 2005, et Réplique, 2008, collection Frac Centre.
© Photo : Nicolas Brasseur.

BERTRAND LAMARCHE

Nombre de pièces : au CCC, 8 ; au Frac Centre, 4

Jusqu’au 27 mai au CCC, 55, rue Marcel-Tribut, 37000 Tours, 75004 Paris, tél. 02 47 66 50 00, www.ccc-art.com, du mer. au dim. 14h-18h ; jusqu’au 29 avril au Frac Centre, 12, rue de La Tour-Neuve, 45000 Orléans, du lun. au vend. 10h-12h, 14h-18h, le week-end 14h-18h, www.frac-centre.fr. À lire, Bertrand Lamarche, The Funnel, éd. HYX, Orléans, 2009.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°365 du 16 mars 2012, avec le titre suivant : Astro-physique de l’image

Tous les articles dans Création

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque