Les Français visent le monde

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 31 janvier 2012 - 1246 mots

Malgré quelques réalisations prestigieuses, ce n’est que récemment que l’architecture française commence à s’exporter réellement hors de nos frontières.

Avec ses géants du BTP, la France vend abondamment à l’étranger son savoir-faire en matière de construction. En 2009, selon l’INSEE (Institut national de la statistique et des études économiques), ce sont ainsi plus de 5,5 milliards d’euros qui ont été gagnés à l’export par les quelque 400 000 entreprises françaises œuvrant dans le secteur. Étrange paradoxe : les architectes sont encore très loin d’être les principaux bénéficiaires de ce succès. Tout ce qui se construit à l’étranger n’est pas, loin s’en faut, estampillé du label « création architecturale française ». Si les données chiffrées précises et récentes manquent, l’Association des architectes français à l’export (Afex) estimait pour l’année 2005 à seulement 63,5 millions d’euros le chiffre d’affaires des sociétés françaises d’architecture à l’étranger, soit 3,5 % de leur chiffre d’affaires global. Si, toujours selon l’Afex, ces données sont à relativiser pour ne reposer que sur une base déclarative, elles révèlent aussi l’existence d’un réel fossé. Quelques stars de l’architecture sont bel et bien parvenues à se faire une place au soleil mais le bilan demeure encore perfectible. Le palmarès du prestigieux prix Pritzker, qui honore tous les ans un architecte de stature internationale, en témoigne. Seuls deux architectes français, Christian de Portzamparc (1994) et Jean Nouvel (2008), ont en effet remporté la breloque, sur la trentaine de lauréats primés depuis la création du prix, en 1979.

Faut-il ne s’en tenir qu’aux chiffres pour juger de l’état de l’architecture française à l’export ? Il suffit a contrario de feuilleter les revues spécialisées pour mesurer que les architectes français, de la Chine au Moyen-Orient, en passant par l’Europe de l’Est ou l’Amérique du Sud, ne font pas que de la figuration. En 2008, une exposition temporaire présentée au pavillon de l’Arsenal, à Paris, baptisée « Exo Architectures », tentait d’en dresser un catalogue instructif, en recensant plus de 80 projets, réalisés ou en cours, conçus sous le signe de l’éclectisme par des agences de tailles diverses. Y figuraient notamment les pionniers Charpentier ou Andreu, les stars Portzamparc et Perrault, les spécialistes du tertiaire (ill. ci-dessus) Valode et Pistre, mais aussi quelques agences plus jeunes, telle X-Tu, auteur d’un séduisant Musée de la préhistoire à Jeongok en Corée du Sud. Les temps seraient-ils donc en train de changer ? Le 9 janvier dernier, une délégation de onze cabinets d’architectes français « dotés de solides références » s’envolait vers Hongkong grâce à l’Afex et Ubifrance, l’Agence pour le développement international des entreprises. Ils avaient été invités par le secrétariat chargé du Développement de la région administrative spéciale de Hongkong pour découvrir, en avant-première, le projet d’aménagement culturel de West Kowloon, un nouveau quartier de la ville. Une manière d’approcher les architectes français, avant même le lancement des appels. « Il s’agit d’un signe fort, d’une recherche de propositions différentes de l’offre anglo-saxonne qui domine à Hongkong, pour des raisons historiques évidentes, estime Madeleine Houbart, secrétaire générale de l’Afex. Mais ce type d’invitation reste exceptionnel. »

L’effet contraire de la commande publique
Pour bon nombre d’agences françaises, se lancer sur le marché étranger reste encore du domaine de la gageure. En 1995, date du dernier rapport officiel en date sur le sujet (Florence Contenay, Rapport du groupe de travail Architecture et exportation, Ministère de l’aménagement du territoire, de l’équipement et des transports, mai 1995), le constat était assez sévère. « La commande publique française, par son prestige et sa qualité, a polarisé, sans doute à l’excès, les marchés de l’architecture sur certains créneaux, comme les équipements publics ou la construction neuve de logement social, et a monopolisé les efforts de recherche de nouveaux marchés sur les concours et sur les pratiques trop exclusivement «nationales» ». Ce « repli » aurait donc eu des conséquences fâcheuses. « Ce phénomène a sans doute influencé, y compris dans sa recherche d’excellence, la formation des jeunes architectes qui s’avère peu adaptée à l’approche des marchés extérieurs » poursuivaient les rapporteurs. Depuis, les écoles ont indéniablement progressé sur ce sujet, le programme d’échange Erasmus ayant de son côté contribué à l’internationalisation des pratiques. Mais la taille des agences peut toujours constituer un frein. Dans ses guides publiés pour accompagner les impétrants, l’Afex le précise bien : au-dessous de vingt salariés, il sera difficile de tenir à l’étranger. « L’export ne s’adresse pas à n’importe qui, explique Madeleine Houbart. Il peut convenir soit à de très grosses agences pouvant assumer ce risque, soit à des agences travaillant sur un savoir-faire de niche, et réputées pour cela. Mais dans tous les cas, il faudra faire preuve de ténacité. »

Le produit phare ? Le produit culturel
La situation a malgré tout évolué sensiblement depuis 1995. « Les agences s’organisent aujourd’hui plus systématiquement en sociétés poursuit Madeleine Houbart, ce qui leur offre notamment la possibilité d’avoir accès aux aides de la Coface, ce qui est impossible dans le cadre d’un exercice en libéral. Mais c’est aussi l’état d’esprit des architectes qui a changé. » Ceux-ci acceptent désormais plus volontiers de voyager dans le cadre de conférences pour développer, patiemment, leur notoriété. Certains jeunes professionnels français ont aussi fait le choix de s’établir d’emblée à l’étranger (lire l’encadré). En novembre 2011, NDA New Design Associates, agence de design et d’architecture française créée en 2001 à Shanghai par Emmanuel Delarue, recevait le prix PME de la Chambre de commerce et d’industrie Française en Chine. Une première : le prix n’avait encore jamais été décerné à une agence d’architecture.

Reste enfin à savoir ce qui pousse les commanditaires à choisir un architecte français plutôt qu’un de leurs homologues néerlandais ou britanniques. « Les architectes français jouissent d’une forte image culturelle mais aussi une image très associée au luxe et au savoir vivre » note Madeleine Houbart. De fait, si des sociétés telles que ADPi et AREP ont longtemps été les principaux exportateurs français d’architecture par le biais d’aéroports et de gares, le produit phare est désormais le grand projet culturel qui représente aujourd’hui le quart de la production architecturale française exportée.

Triptyque, un pied entre France et Brésil

C’est une agence au profil quelque peu différent de celui des poids lourds de l’exportation. Créée par Grégory Bousquet, Carolina Bueno, Guillaume Sibaud et Olivier Raffaelli, tous diplômés de l’École d’architecture Paris-La-Seine, Triptyque Architecture s’est faite remarquer, en 2010, dans le cadre du Grand Prix de l’Afex. L’un de ses projets, Harmonia 57, y a été distingué parmi les réalisations signées Perrault, Viguier, Mimram, Lion ou Tschumi. Cette construction, relativement modeste en termes de mètres carrés, est un immeuble d’ateliers d’artistes doté d’un système hydrique complexe permettant de réutiliser l’eau de pluie et du sol – le terrain est inondable — situé à Sao Paulo. Car c’est aussi la spécificité de cette agence : son caractère franco-brésilien. Ouverte d’abord à São Paulo en 2000, c’est dans un second temps qu’un bureau a été créé à Paris, en 2008. Entre-temps, la notoriété s’est conquise par le travail mais aussi par la participation à des expositions aux quatre coins du monde : Venise en 2008, Hong Kong et Shenzen en 2009, New York et Londres en 2010…

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Typologie des principaux projets exportés

Grands projets culturels (théâtres, opéras, musées, bâtiments éducatifs) : 25 %
Tourisme (hôtels et complexes de loisirs) : 12,8 %
Bâtiments tertiaires : 11,8 %
Aménagement urbain : 8,2 %
Complexes hospitaliers : 8 %
Infrastructures (aéroports, gares) : 5,7 %

Source : AFEX

Lire les autre articles du dossier du Journal des Arts numéro 362 « Les architectes français à l’assaut du monde » :

- Neuf fois ailleurs

- L’herbe du voisin

- L’ami américain

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°362 du 3 février 2012, avec le titre suivant : Les Français visent le monde

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