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Portrait : Jean-François Hebert, président du château de Fontainebleau

Par Vincent Noce · Le Journal des Arts

Le 18 janvier 2012 - 1713 mots

Chargé de la préfiguration de la Maison de l’histoire de France, l’ancien directeur de cabinet de Christine Albanel a manœuvré habilement pour donner corps au projet .

À un officier qui lui demandait de se définir, il a répondu : « On peut compter sur moi. » Il fut appelé dans ces pages « le colonel ». Disons le commandant de bord. On peut donc supposer que Jean-François Hébert est sensible aux reproches qui lui sont faits de quitter la Maison de l’histoire de France au moment où le navire devait prendre le large. C’est peut-être la seule fois de sa vie publique où il est sorti d’une réserve bien ancrée. [L’ex-président de l’Établissement public du musée et du domaine national de Versailles] Jean-Jacques Aillagon, avec lequel il entretient pourtant des liens d’amitié nés d’une histoire commune, a moqué ce « petit projet qui ne saurait satisfaire une grande idée, bizarrement installé » au quadrilatère des Archives nationales dans le Marais, « sans doute pour donner le sentiment que, tout en ne faisant pas grand-chose, on n’avait tout de même pas renoncé à faire quelque chose ». Réplique du pilote : « Jean-Jacques fait partie de ces personnalités brillantes qui ne conçoivent pas qu’on réussisse là où elles ont échoué. » C’est à peu près la pire méchanceté dont il doit être capable. Il en fallait plus pour désarmer Aillagon : « Mon ami Hébert n’en pense pas moins, et il attend la première occasion pour partir. » Il devait s’en douter : deux semaines plus tard, avalisant les statuts du nouvel établissement, le gouvernement en remettait la présidence à Maryvonne de Saint-Pulgent. Une autorité volubile, contrastant avec la discrétion de celui qui lui a ouvert la voie. Jean-François Hébert n’a jamais aimé les projecteurs, et encore moins les contorsions auxquelles il faut se prêter pour y parvenir.

Fontainebleau par choix
Évidemment, le récit de bord était déjà écrit. Il lui était impossible de présider deux établissements publics à la fois. Il a préféré demeurer au château de Fontainebleau, qu’il dirige en parallèle depuis deux ans. « Au chaud », commente le quotidien suisse La Tribune de Genève, comme quoi le sort des châteaux de la royauté intéresse toujours nos amis de l’étranger. L’intéressé s’offusque : « Il ne s’agit en aucun cas de démission, comme on a pu l’écrire. » De ses motifs personnels, le personnage, toujours pudique, n’a rien voulu dire. Le choix s’explique assez naturellement en fait. Il suffit de calculer l’âge du capitaine. La Maison de l’histoire de France ouvrira au mieux en 2016. Après un parcours déjà bien riche, à 56 ans, son promoteur est plus heureux de développer une résidence royale que de s’impliquer pour des années dans un projet théorique dont il est bien placé pour en mesurer les complications. Il est sans doute aussi soulagé de s’écarter un peu des allées du pouvoir qu’il a si longtemps fréquentées : sorti parmi les dix premiers de l’ENA [École nationale d’administration], il a passé cinq ans à la Cour des comptes, dix au ministère de la Défense et quinze à celui de la Culture.

On peut être pour, par principe, contre pour les mêmes raisons, ou quelque part entre les deux ; mais il est indéniable que le seul projet culturel qui puisse être valablement rattaché à Nicolas Sarkozy est aujourd’hui renforcé. Même lesté par un nom aussi invraisemblablement passéiste et un logo un peu ridicule, on voit mal la gauche enterrer la Maison de l’histoire, au risque de s’opposer à une tradition bien établie de la République. En cas d’élection de François Hollande, le pire soupçon qui pèse sur le projet, celui d’être manipulé par Sarkozy, tomberait de lui-même. Hébert a su donner corps à l’idée émise par le directeur du service des Archives de France, Hervé Lemoine, au début du quinquennat, et reprise au vol par le président. Affichant l’indépendance de l’institution par rapport au pouvoir, il a pérennisé un conseil scientifique éclectique, plutôt porté à gauche. Le jardin de l’hôtel particulier, qui abrita les complots de l’infâme duc de Guise, a pu être ouvert cet été, malgré la résistance des personnels. Hébert a obtenu le déplacement d’une directrice qui ne cachait pas ses sympathies pour leur mouvement.

Rien n’était acquis, dans le fracas des proclamations d’une identité française mal digérée, du recul de l’enseignement de l’histoire, de la démagogie électorale des lois mémorielles et des appels à glorifier l’histoire coloniale ; et dans le désordre invraisemblable dans lequel est tombé le ministère. L’engagement de Frédéric Mitterrand a été réel, mais tardif. Incapable de braver son collègue de la Défense, il a manqué l’occasion historique de proposer l’Hôtel de la marine, qui aurait rallié tout le monde, y compris l’historien Olivier Nora, passé chef de file des opposants.

Comme il avait besoin de collections pour les expositions, Hébert a pu créer un réseau englobant neuf musées, en surmontant les mécontentements, et, quoi qu’on en dise, bien chapeauté par la maison mère. Il s’est montré assez agile pour proposer un calendrier permettant une inauguration symbolique pour Sarkozy avant la fin de son mandat, pratiquement sans dépenser un sou, les investissements sérieux étant sagement reportés aux années suivantes. Même le projet soporifique issu du conseil scientifique peut être vu comme une habileté, dans la mesure où personne ne pouvait s’offusquer d’une compilation aussi consensuelle.

Détermination et doigté
Pour parvenir à ce résultat, Hébert a manœuvré au plus près des écueils avec un mélange de détermination, de doigté et de savoir-faire, en usant de son expérience dans les administrations de la Défense et la Culture. Disant « détester le sectarisme », il a travaillé dans le cabinet de cinq ministres, servant aussi bien des gouvernements de droite que de gauche. Mais toujours avec une certaine distance, sans entrer dans leur intimité. Il a manifestement aimé la sincérité et l’allure de Christine Albanel, qu’il vouvoyait dès qu’il y avait du monde, tutoyant par ailleurs. L’Institut des sciences politiques, où il a adoré enseigner, lui a permis d’« articuler un discours ». La Cour des comptes lui a transmis « la rigueur » d’une tradition « de jugements équilibrés ». « Une école de l’austérité », ajoute-t-il. On doute qu’il en ait eu tellement besoin, tant ce catholique, né d’une mère allemande, affiche un tempérament protestant. Rue de Valois, alors qu’il devait désamorcer chaque jour les pétards partis de l’Élysée, que les directeurs n’en faisaient qu’à leur tête, qu’il était appelé à réformer l’administration la plus centraliste de l’État, tout en appliquant les délires de la RGPP [révision générale des politiques publiques], son bureau était toujours net. À la maison, c’est sûr, il doit faire la vaisselle avant l’arrivée de la femme de ménage.

Il assume ce côté vieille France, mais l’attitude cache une angoisse existentielle, celle qui nourrit le travail compulsif et le perfectionnisme, la peur de ne pas se montrer à la hauteur des opportunités. Directeur de cabinet d’Albanel, « il s’est montré très courageux, d’une parfaite loyauté envers la ministre, mais aussi très fédérateur envers les conseillers, et même d’une patience angélique envers certains directeurs », témoigne son adjoint, Christophe Tardieu. L’intéressé estime « n’avoir pas à rougir d’une période durant laquelle nous avons refusé la démagogie de l’aliénabilité des collections, du transfert des monuments aux collectivités ou de la gratuité des musées, tout en l’offrant aux jeunes, mais aussi augmenté d’un quart les crédits d’entretien du patrimoine, renforcé la loi contre le trafic d’art, réformé le ministère, tout en maintenant les directions régionales ». Son grand regret cependant est « l’hypertrophie de la technostructure ». Au fond, il en sort avec un sentiment ambivalent, celui d’avoir « vécu l’avènement d’une époque dans laquelle la communication prend le pas sur le contenu », et les intérêts personnels sur « le collectif » et « le sens de l’État », qui lui sont si chers. Il avoue ainsi « ne pas se reconnaître dans ces dirigeants qui ne se mettent pas au service de leur établissement mais d’eux-mêmes ». « Finalement, la politique n’est pas mon monde. Se trouver au plus proche de la décision m’a enthousiasmé, mais je n’aimerais pas passer de l’autre côté du miroir. » Il a eu son lot des huit années de « vie monastique », à rentrer à minuit pour repartir à l’aube.

Ce raffiné, qui a la passion de l’opéra et de la peinture abstraite, dont l’appartement est empli des couleurs de Marcel Burtin, ancien ouvrier chez Renault gagné à la peinture, a pu rêver de Versailles ou du Centre Pompidou. Le voici finalement à Fontainebleau, où il dispose d’un condensé d’histoire. Aimant à rappeler que le château dispose d’une superficie proche de celle de Versailles, il veut définir un programme pluriannuel d’investissement lui permettant de le placer au même rang que les grands établissements de la capitale. Depuis son arrivée, la fréquentation est passée de 350 000 à 430 000 visiteurs, une hausse de 25 % en dépit d’une grève résultant de la pression sur les personnels accrue par la RGPP. La doubler d’ici à la fin de la décennie lui semble un objectif plausible. Cette année, il y dispose de 20 millions d’euros d’investissement, pour lancer notamment la restauration du beau théâtre impérial. En même temps, il fait face au manque de moyens réguliers. Devant se battre pour quelques postes indispensables, il regrette que « tout aille aux riches », victime à son tour du centralisme d’un ministère qu’il a pourtant incarné. Il aime se promener dans la forêt où ont été dispersées les cendres de sa mère, l’Allemande mal aimée dans la France de l’après-guerre dont il n’a pas appris la langue.

JEAN-FRANÇOIS HEBERT EN DATES

1955 : Naissance à Paris.
1981 : Promotion ENA « Droits de l’homme » ; entre à la Cour des comptes.
1986 : Conseiller budgétaire de François Léotard, ministre de la Culture.
1989 : Directeur de l’association de préfiguration de la nouvelle Bibliothèque nationale de France.
1993 : Entre au ministère de la Défense, comme conseiller budgétaire puis secrétaire général.
2002 : Président de la Cité des sciences et de l’industrie.
2007 : Directeur de cabinet de Christine Albanel, ministre de la Culture.
2009 : Président du château de Fontainebleau ; chargé de la préfiguration de la Maison de l’histoire de France.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°361 du 20 janvier 2012, avec le titre suivant : Portrait : Jean-François Hebert, président du château de Fontainebleau

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